Le marché de l’amélioration humaine

Vers un dopage généralisé de la cognition ?

Publié le 17/12/2015
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Des recherches sont menées depuis plus de 20 ans pour découvrir comment réduire, voire inverser le déclin cognitif et même prévenir certaines maladies neurodégénératives. Les substances développées, comme le piracétam (1) ou le ginseng (2) n’ont montré qu’une efficacité limitée. Surfant sur cette vague, les éditeurs de logiciels et de jeux vidéo vendent des programmes d’entraînement cognitif informatisés de plus en plus sophistiqués. Si ces derniers permettent une amélioration de certaines fonctions cognitives (3,4), la généralisation de ces bénéfices aux tâches de la vie quotidienne semble limitée (5).

Mais ce phénomène ne touche pas que les personnes qui avancent en âge. C’est un véritable marché du dopage cognitif qui émerge depuis une dizaine d’années. Son objectif à terme : surmonter temporairement ou de manière permanente les limitations actuelles de la cognition.

La première étape du dopage cognitif commence par la consommation de café, de thé, de cigarette voire de boisson énergisante pour optimiser nos performances cognitives. Cet objectif serait en partie atteignable, également en manipulant la teneur en macronutriments de notre régime alimentaire (6).

On observe, chez les étudiants, le développement de pratiques beaucoup plus troublantes comme la consommation de smart drugs, study drugs ou nootropiques, des substances naturelles ou synthétiques en vente quasiment libre sur internet. Ainsi, les alicaments, comme le ginseng, le ginkgo biloba ou le bacopa, amélioreraient la cognition (7), même si l’on connaît encore mal leurs mécanismes d’action. Plus inquiétante encore, la consommation d’amphétamines ou apparentés (méthylphénidate, modafinil, bupropion) détournées de leur indication et sans prescription, sont utilisées par un nombre croissant d’étudiants (jusqu’à 20 %, [8]) qui veulent diminuer le stress en période de révision, acquérir des facultés de concentration plus importantes ou tout simplement réussir (9), quels que soient les risques d’effets secondaires et de dépendance (10).

On trouve, sur le marché de l’amélioration humaine, des technologies plus ou moins validées comme les battements binauraux (fichiers audio numériques) qui permettraient de réduire les troubles de l’attention (11) ou d’autres, comme la stimulation cérébrale, qui, tout en renforçant certaines fonctions, pourrait provoquer un effet délétère sur d’autres (12). La vente libre de certains de ces dispositifs (stimulation transcrânienne à courant direct par exemple), la distribution sur internet d’amphétamines sans contrôle, l’accès à ces produits indexé sur le niveau de richesse et l’application de ces techniques dans des conditions non pathologiques posent des questions juridiques et éthiques nouvelles (13).

Psychologue. CHU de Caen, centre Esquirol. CNRS, ISTS group. CEA, DSV/I2BM, UMR 6301 et université de Caen Basse-Normandie, UMR 6301 (Caen)

(1) Flicker Cochrane Database Syst Rev 2012

(2) Geng Cochrane Database Syst Rev 2010

(3) Anguera Nature 2013

(4) Au Psychon Bull Rev 2014

(5) Anguera Curr Opin Behav Sci 2015

(6) Jones Biol Psychol 2011

(7) Neale Br J Clin Pharmacol 2012

(8) Francke Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci 2014

(9) Battleday Eur Neuropsychopharmacol 2015

(10) Hildt BioMed Res Int 2015

(11) Reedjik Front Psychiatry 2015

(12) Brem NeuroImage 2014

(13) Maslen J Law Biosci 2014

Laurent Lecardeur

Source : Bilan spécialiste