Comme son nouveau nom l’indique, la chondrocalcinose articulaire est liée à des dépôts de cristaux de pyrophosphate de calcium (PPC), notamment sur la surface des cartilages. À l’instar des cristaux d’urate monosodique dans la goutte, ces dépôts sont capables d’activer une réponse inflammatoire, notamment via l’inflammasome (1). Cette inflammation peut se présenter soit de manière très aiguë et bruyante (ancienne « pseudo-goutte »), soit sous forme d’arthrites chroniques (aiguës récurrentes ou persistantes). Faute de traitement capable de dissoudre les dépôts existants de cristaux de PPC (contrairement à la goutte), l’objectif principal de la prise en charge du rhumatisme est de contrôler l’inflammation induite.
Contrôler l’inflammation de l’arthrite aiguë
Dans l’arthrite aiguë, la prise en charge était jusqu’en 2022 essentiellement empirique et déduite des connaissances sur la goutte. L’essai randomisé COLCHICORT, dont nous avons présenté les résultats aux congrès américain (American College of rheumatology) et français (Société française de rhumatologie), a enfin permis l’obtention de données avec un niveau de preuve suffisant pour guider la pratique quotidienne (2). Dans cet essai, 112 patients (86 ans de moyenne d’âge) ont été randomisés pour recevoir de la prednisone (30 mg à J0 et J1) ou de la colchicine (1,5 mg à J0 et 1 mg à J1). L’hypothèse d’une équivalence d’efficacité entre les traitements était testée, sur la différence de réduction de l’échelle visuelle analogique (EVA) de la douleur à 24 heures (critère de jugement principal). Elle a été vérifiée, puisque cette différence était d’à peine 1 mm (/100) entre les groupes. L’un des messages clés de l’étude était que les deux traitements permettaient une bonne réponse thérapeutique en 48 heures, chez plus de deux tiers des patients. Il laisse donc envisager la possibilité de raccourcir largement nos durées de traitement, qui jusqu’ici étaient habituellement plus longues. Les données de tolérance ont toutefois distingué les traitements. En effet, plus de 20 % des patients traités par colchicine présentaient des diarrhées, certes légères, mais d’installation rapide, qui peuvent rapidement conduire à la déshydratation chez la personne âgée. Quant aux effets indésirables de la prednisone, ils étaient anecdotiques.
Les autres options conventionnelles sont en théorie les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Mais leur précaution d’emploi chez la personne âgée fait pencher la balance bénéfices-risques du côté des risques. Une fois l’hypothèse de l’arthrite septique éliminée, l’infiltration d’un dérivé cortisoné est une option efficace, qui permet d’éviter le recours à un traitement systémique. Par ailleurs, une équipe suisse avait commencé, il y a plusieurs années, un essai comparant l’anakinra (anti-IL-1) à la prednisone dans la crise à cristaux de PPC. Celui-ci a été interrompu faute de recrutement, et n’a pu que suggérer ce qui était déjà suspecté : l’anakinra est une option légitime dans les crises réfractaires (3).
Formes chroniques : quelles options thérapeutiques ?
Selon des données anciennes, la prise quotidienne de colchicine est susceptible de réduire la récurrence des crises, ainsi que la douleur dans la gonarthrose associée à la chondrocalcinose (d’après un petit essai clinique). Dans les formes chroniques, une étude pilote menée sur l’hydroxychloroquine a montré des résultats positifs, qui n’ont cependant pas été réévalués par la suite. Concernant le méthotrexate, un petit essai, manquant de puissance, révèle des résultats plutôt décevants. D’autre part, plusieurs séries de cas ont suggéré l’efficacité de l’anakinra, notamment en cas de syndrome inflammatoire biologique initial (4,5).
Des données plus récentes évoquent l’intérêt potentiel du tocilizumab (et de l’inhibition de l’IL-6 en général), suite notamment à la série de 11 cas rapportée par l’équipe de l’hôpital Lariboisière (6). Celle-ci met en évidence son efficacité par voie intraveineuse, dans des formes chroniques associées à des crises récurrentes, souvent en échec de plusieurs traitements (y compris anti-IL1). Dans ce contexte, un travail collectif a réévalué 129 patients atteints de formes inflammatoires chroniques (arthrites persistantes et/ou crises récurrentes), cumulant 194 lignes thérapeutiques. Ils étaient pris en charge dans des centres experts pour maladies microcristallines en France, Espagne et Italie (2). L’étude a montré que la colchicine quotidienne était le traitement de première ligne le plus fréquent, et permettait un bon contrôle de la maladie chez un tiers à la moitié des patients. Le méthotrexate, l’anakinra et le tocilizumab étaient ensuite les thérapies les plus utilisées. Concernant les biothérapies, le maintien thérapeutique avait tendance à être davantage prolongé chez les patients traités par tocilizumab que par anakinra. Un programme hospitalier de recherche clinique débutera prochainement pour tester le tocilizumab, versus placebo, dans cette indication chronique.
Service de rhumatologie, Groupe Hospitalier de l’Institut Catholique de Lille
(1) Martinon F et al. Nature. 2006;440(7081):237-41.
(2) Pascart T et al. ACR Convergence 2022 Abstract 1584
(3) Dumusc A et al. Joint Bone Spine. 2021;88(2):105088.
(4) Parperis K et al. Semin Arthritis Rheum. 2021;51(1):84-94.
(5) Cipolletta E et al. Clin Exp Rheumatol. 2020;38(5):1001-7.
(6) Latourte A et al. Ann Rheum Dis. 2020;79(8):1126-8.
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