Os et cartilage

Liaisons vertueuses

Publié le 07/04/2015
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« Nous nous sommes intéressés au rôle du tissu osseux sur le cartilage car plusieurs observations montrent que l’os peut contribuer soit à l’initiation, soit au développement d’une arthrose. C’est ainsi que dans un genou arthrosique par exemple, on observe une perte du cartilage et une augmentation de la masse osseuse sous ce cartilage. Pendant très longtemps, on a pensé qu’il s’agissait d’une condensation osseuse secondaire à la contrainte mécanique. Ce n’est pas aussi simple. De récentes études américaines ont notamment montré que lorsque l’on suivait des genoux arthrosiques dès le début, des lésions osseuses telles que des microcracks ou/et une néovascularisation ou/et une nécrose, étaient déjà présentes et prédictives de la perte de cartilage. Ce constat nous a poussés à analyser ce qui se passait au départ sur des modèles animaux et nous avons pu mettre en évidence une augmentation du nombre d’ostéoclastes, ces cellules qui détruisent l’os sous-jacent » explique le Pr Martine Cohen-Solal. Fort de ce constat, l’expérimentation a été poursuivie afin d’en savoir plus …

Des relations étroites

«Nous avons utilisé des modèles animaux chez qui nous avons induit une arthrose en produisant une instabilité articulaire, explique le Pr Cohen-Solal. Dans une première étude, nous avons utilisé l’ostéoprotégérine (in inhibiteur des ostéoclastes) et montré que cette molécule pouvait prévenir les modifications de l’os sous chondral et du cartilage au cours de l’arthrose débutante. Nous avons réitéré l’expérience, mais sur un autre modèle animal où existe une hyperrésorption osseuse (souris ovariectomisées) et obtenu des résultats similaires et ensuite, dans une troisième expérience réalisée chez des souris génétiquement modifiées pour présenter un hyperremodelage osseux. Ces trois expérimentations sur différents modèles animaux ont ainsi permis de montrer qu’il existe une hyperrésorption de l’os sous chondral et que l’inhibition de la résorption induit une prévention de l’arthrose. Cet effet préventif se voit sur le plan structural et au niveau des protéases : en effet, la production de métalloprotéases à l’origine de la dégradation du cartilage est inhibée. Agir au niveau du tissu osseux a donc bien un impact sur le cartilage ».

Un inhibiteur de Wnt pour agir sur l’os et sur le cartilage ?

L’équipe du Pr Cohen-Solal s’est aussi penchée sur l’identification d’une molécule susceptible de faire le lien entre l’os et le cartilage. «Nous nous sommes naturellement intéressés à une molécule appelée Wnt car cette molécule joue un rôle clé dans l’activation de la formation osseuse, mais elle est inhibée dans l’arthrose. Nous avons notamment voulu savoir s’il existait une molécule capable d’inhiber Wnt à la fois dans le tissu osseux et dans le cartilage. Nous avons ainsi choisi deux inhibiteurs naturels de Wnt : Dkk1 et la sclérostine. La question était de savoir si ces antagonistes produits par l’os pouvaient inhiber Wnt dans le cartilage ». Pour répondre à cette question, l’équipe du Pr Cohen-Solal a utilisé un modèle animal qui surexprime Dkk1 par les ostéoblastes (d’où une masse osseuse importante). « Nous avons pu montrer que Dkk1 osseux induit une prévention de l’arthrose, ce qui confirme notre hypothèse ».

Dans une autre expérience, « nous avons utilisé des souris qui n’ont plus de sclérotine, un inhibiteur de Wnt qui entraîne une masse osseuse élevée mais pas d’arthrose. Or quand on induit une instabilité articulaire chez ces souris, l’arthrose se développe. Il y a donc une possibilité d’agir à partir de l’os sous chondral sur le cartilage. Encore faut-il arriver à cibler l’os sous chondral et non l’os en général. C’est notre prochaine étape : chercher à mettre en évidence les facteurs plus spécifiquement produits par l’os sous chondral » conclut le Pr Cohen- Solal.

D’après un entretien avec le Pr Martine Cohen-Solal, Inserm U1132 & USPC Paris-Diderot Département of rhumatologie, Hôpital Lariboisière Paris.

• Encadré = La réciprocité existe !

Il existe une autre approche, suivie par d’autres équipes dans le monde, qui consiste à montrer que le cartilage va lui aussi interagir avec l’os sous chondral (réciprocité). Mais comme il existe assez peu de molécules capables de pénétrer dans le cartilage, il est plus difficile de travailler dans ce sens.

Dr Nathalie Szapiro,

Source : Bilan spécialiste