Pr Alain Cantagrel, CHU de Toulouse

Quel risque de surtraitement dans la polyarthrite rhumatoïde ?

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Publié le 27/02/2020
Le risque iatrogène et le coût des traitements de la polyarthrite rhumatoïde (PR) ont amené à se poser la question des risques de surdiagnostic et de surtraitement, et de leur impact éventuel. Actuellement, les recommandations des sociétés savantes nationales ou internationales restreignent le risque de surtraitement à l’initiation du médicament, mais on pourrait mieux faire lors du suivi thérapeutique.

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La séquence de la prise en charge d'une PR débutante est bien codifiée : faire un diagnostic précoce, mettre en route un premier traitement synthétique par méthotrexate (MTX) le plus souvent, évaluer la réponse thérapeutique après 3 à 6 mois. Si la rémission est obtenue, on maintient la réponse pendant au moins 12 mois avant d'essayer de diminuer le MTX. En cas de réponse bonne mais partielle, on cherche à optimiser le MTX en augmentant la posologie, en changeant de voie d'administration ou en le combinant avec un autre traitement synthétique conventionnel. Par contre, en cas de réponse jugée insuffisante au MTX, on envisage une combinaison avec un médicament biologique ou un traitement synthétique ciblé.

Un risque de surdiagnostic limité

Le principe dans la PR actuellement est d’instaurer un traitement le plus tôt possible, idéalement dans les 6 semaines qui suivent le début des symptômes selon les recommandations de la Société Française de Rhumatologie, afin de limiter le développement de lésions structurales. Il est certain que le délai pour porter le diagnostic de PR a diminué en France au cours de ces dernières années grâce à une meilleure information auprès des médecins généralistes.

Existe-t-il un risque de surdiagnostic ? Les critères de classification ACR/EULAR 2010, souvent utilisés comme critères du diagnostic, permettent actuellement un diagnostic plus précoce qu'auparavant, dès le stade de monoarthrite. Mais moins les critères diagnostiques sont spécifiques et plus le risque de porter à tort un diagnostic de PR est grand, devant des arthrites qui seraient spontanément résolutives. « Ce risque de surdiagnostic est en fait limité par la biologie et en particulier par la recherche des ACPA (anticorps dirigés contre des protéines citrullinées), fortement spécifiques de la maladie et souvent marqueurs des formes les plus actives et les plus sévères » explique le Pr Cantagrel. S’ils sont positifs, le risque de surdiagnostic est faible, mais devient réel si le facteur rhumatoïde et les ACPA sont négatifs ».

Le désir serait actuellement d'être encore plus précoce et de faire un diagnostic à un stade dit de "pré-PR", chez des patients souffrant d'arthralgies sans aucune arthrite. Dans une telle situation, la positivité des ACPA et la présence d'épaississements synoviaux associés à un signal doppler positif à l'échographie articulaire sont des éléments prédictifs de l'évolution vers une authentique PR. Mais le délai avant l'apparition des arthrites est très variable selon les patients, de quelques semaines à plusieurs années et aucun traitement n'a montré pour l'instant son efficacité à prévenir l'évolution des arthralgies vers des arthrites. L’existence d’au moins une arthrite clinique, pré-requis indispensable pour porter un diagnostic de PR, est un élément important limitant le risque de surdiagnostic de la maladie.

Le diagnostic de PR étant posé, il est recommandé d'initier sans retard un traitement de fond synthétique conventionnel, généralement par MTX, à une posologie optimale. En cas de sur-diagnostic, la résolution de l’atteinte articulaire sera suivie d'une diminution puis de l’arrêt du MTX, ayant peut-être exposé un patient à un risque iatrogène modéré. En contrepartie, la mise en route de ce traitement avant l'apparition de toute destruction articulaire est la seule stratégie possible pour obtenir une éventuelle rémission sans séquelle. L'initiation d'une biothérapie ne sera envisagée que dans un second temps, chez des patients conservant des manifestations articulaires inflammatoires. Ainsi, le risque de surprescription de ces médicaments est limité dans une telle situation. « Le problème n’est pas le même que dans la SpA. Les outils diagnostiques et d'évaluation sont plus stricts et objectifs pour la PR, et le MTX constitue une étape intermédiaire avant le passage aux biothérapies, étape qui corrobore le bien-fondé de notre prise en charge ».       

Envisager la décroissance thérapeutique

Dans la PR, il n’est jamais trop tôt pour traiter, mais il faut aussi savoir réduire le traitement lorsqu’on a obtenu la cible thérapeutique, c’est-à-dire la rémission, qui constitue le meilleur élément du pronostic. Le risque de surtraitement dans la PR serait surtout lié au maintien d’un traitement à l’identique chez une personne en rémission. « Pour limiter ce risque, il est essentiel de rechercher la posologie efficace la plus faible possible et de savoir en permanence adapter le traitement : l’espacer, voire l'arrêter, chez un patient en rémission et le reprendre si un évènement intercurrent provoque une nouvelle poussée », insiste le rhumatologue.

            Toute la question actuellement est de définir la rémission ! Plus on se base sur des critères stricts, comme la disparation de l’inflammation à l’échographie, plus on va tendre à intensifier le traitement. Cependant, comme deux études l’ont montré, cette intensification n’apporte pas de bénéfice sur la qualité de vie, ni sur le maintien de l’intégrité articulaire. Faut-il baser la rémission sur un DAS28-VS inférieur à 2,6 ou sur les critères booléens ACR/EULAR 2011 ? Le débat n’est pas encore tranché…

D’après un entretien avec le Pr Alain Cantagrel, CHU de Toulouse

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr