Cas clinique

Rhumatologie, une spécialité ouverte !

Publié le 29/06/2021

Au-delà des frontières internistes de la rhumatologie, les confrontations anatomo-radio-cliniques sont essentielles pour arriver au juste diagnostic ! Ce cas clinique, qui flirte avec la dermatologie, en est l’illustration…

Coupe histologique : aspect de granule nodulaire profond ou de nodule rhumatoïde

Coupe histologique : aspect de granule nodulaire profond ou de nodule rhumatoïde
Crédit photo : phanie

Une jeune femme de 21 ans, sans aucun antécédent médical ou chirurgical, consulte en raison d’une tuméfaction en regard du tendon patellaire droit. Bien que cette lésion sous cutanée (non douloureuse) soit présente depuis quatre ans, elle s’inquiète car son volume croît lentement et une deuxième lésion est apparue plus récemment. De plus petite taille et indolore, celle-ci est située au-dessus de la première.

La patiente n’a pas d’antécédent personnel d’arthrite mais rapporte des épisodes de douleurs et gonflement des mains, spontanément résolutifs. Elle n’a pas, non plus, d’antécédent familial de rhumatisme inflammatoire. Il n’y a pas de contexte traumatique ou microtraumatique local.

À l’examen, on ne constate aucune synovite, ni ténosynovite ou signe extra-articulaire évocateur de rhumatisme inflammatoire.

Deux nodules suspects…

Un scanner confirme la présence de deux formations grossièrement nodulaires du tissu cellulaire sous-cutané au contact du ligament patellaire, mesurant 13 mm pour la plus haute et 20 mm pour la seconde (photos ci-dessous). Il n’y a pas de calcification ou lésion osseuse associée, pas d’épanchement articulaire du genou.

cas clinique Fig 2

cas clinique Fig 3

Une biopsie est réalisée sous contrôle échographique. On observe un tissu fibreux, dense, comportant de petits foyers de dégénérescence (voire de nécrose du collagène), entourés de macrophages d’aspect parfois un peu palissadique. Quelques polynucléaires neutrophiles sont vus au contact du collagène nécrosé. Plus en périphérie, on observe quelques lymphocytes et macrophages et d’exceptionnels éosinophiles. Il n’y a pas de dépôt de mucine, de germe ou de parasite sur les colorations utilisées, aucune prolifération tumorale. L’aspect est compatible avec un granule nodulaire profond ou un nodule rhumatoïde (voir coupes histologiques).

cas clinique Fig 4

Devant l’aspect totalement isolé cliniquement, sans aucune manifestation articulaire de polyarthrite et sans facteur rhumatoïde ou anticorps anti-CCP, le diagnostic de granulome annulaire profond est retenu.

Une dermatose encore inexpliquée

Le granulome annulaire est une dermatose fréquente et bénigne, de cause inconnue (1).

Ses localisations habituelles sont superficielles : dos des mains et des pieds, poignets, chevilles et faces dorso-latérales des doigts (2). Les formes profondes sont plus rares et observées davantage chez l’enfant. Elles sont plus trompeuses et leur diagnostic clinique est rarement évoqué. Elles peuvent poser des problèmes diagnostiques et pronostiques parfois difficiles à résoudre, en particulier en cas de tumeur infiltrante des tissus mous ou de mycose. Dans ces cas, la biopsie est utile.

Dans la forme profonde, le granulome annulaire a la même structure histologique que le nodule rhumatoïde (NR). Certains auteurs estiment fréquents les NR chez l’enfant sans symptômes de rhumatisme inflammatoire : nodules rhumatismaux bénins de l’enfant (3). Pour d’autres, le NR pourrait précéder de longue date l’installation d’une polyarthrite rhumatoïde, dont il n’est pas spécifique, ou entrer dans le cadre de la nodulite rhumatoïde (polyarthrite non destructrice bénigne, récidivante osseuse avec géodes osseuses).

En cas de doute histologique avec un NR, c’est l’ensemble du tableau clinique et les examens paracliniques (immunologiques) qui permettent de trancher (4).

Sur le plan thérapeutique, l’exérèse n’est pas recommandée en dehors d’une gêne fonctionnelle marquée. Les nodules du granulome annulaire peuvent disparaître spontanément en quelques mois ou années.

*Service de Rhumatologie, hôpital Lariboisière, Paris
**Service d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, hôpital Lariboisière, Paris

(1) McDermott MB, Lind AC, Marley EF, Dehner LP. Deep granuloma annulare (pseudorheumatoid nodule) in children: clinicopathologic study of 35 cases. Pediatr Dev Pathol 1998;1:300-8.

(2) André R, Ibrahim Y, Hsieh A, Kaya G. Pseudolymphomatous granuloma annulare: a case report. Dermatopathology (Basel) 2020;7:38-40.

(3) Sturm B, Blaise B, Wilson M, Stone SP. Pseudorheumatoid nodule: a variant of granuloma annulare? Dermatol Online J 2020;26:13030/qt2pn3m129.

(4) Barzilai A, Huszar M, Shpiro D, Nass D, Trau H. Pseudorheumatoid nodules in adults:  a juxta-articular form of nodular granuloma annulare. Am J Dermatopathol 2005;27:1-5.

Pierre Delzongle*, Pr Philippe Orcel*, Dr Marc Polivka**

Source : lequotidiendumedecin.fr