Supplémentation en calcium à la ménopause

Un risque cardio-vasculaire controversé.

Publié le 07/04/2011
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Crédit photo : PHANIE

PAR LE FRANÇOISE DEBIAIS*

BOLLAND MJ et coll. ont en effet rapporté récemment qu’une supplémentation calcique augmentait le risque d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral (AVC), respectivement de 25-30 % et de 15-20 % (1, 2, 3). Cet auteur a initialement étudié les effets d’une supplémentation de 1 g/j de calcium versus placebo sur la densité minérale osseuse (DMO) et l’incidence des fractures chez 1 471 femmes ménopausées en bonne santé, d’âge moyen de 74 ans et pendant une période de 5 ans. L’analyse des effets secondaires observés au cours de cette étude randomisée contrôlée a permis de montrer que le groupe recevant le supplément en calcium présentait une augmentation significative du risque d’infarctus du myocarde (RR = 2,12 ; IC 95 % : 1,01-4,47). Le RR pour un indice composite (infarctus du myocarde, AVC et mort subite) était de 1,43 (p = 0,043) si l’on considère les événements rapportés par le patient ou sa famille, mais n’est plus significatif après vérification médicale (p = 0,08). Il est précisé que le nombre de femmes à traiter pendant cinq ans pour entraîner un infarctus du myocarde était de 44 et un événement cardio-vasculaire de 29, comparé à 50 pour prévenir une fracture clinique (1). Cet auteur retrouve également une augmentation significative de l’incidence d’infarctus du myocarde dans une méta-analyse de 15 essais randomisés concernant la supplémentation en calcium (2).

Le rôle de l’obésité.

Par ailleurs, Bolland et coll. ont effectué une nouvelle analyse des données d’une large cohorte de femmes ménopausées issue de la Women‘s Health Initiative (WHI) (3). Les données initiales publiées par Hsia et coll en 2007 (4) n’avaient pas montré d’effet d’une supplémentation vitamino-calcique (500 mg de calcium et 200 UI de vitamine D deux fois par jour) sur l’incidence des événements cardio-vasculaires par rapport à la prise d’un placebo avec un suivi de sept ans. Une interaction entre l’indice de masse corporelle (IMC) et le risque cardiovasculaire était cependant associée avec la supplémentation vitamino-calcique. Par ailleurs, plus de 50 % des patients prenaient des suppléments en calcium en dehors du protocole, ce qui pourrait avoir faussé l’estimation des risques. La ré-analyse des résultats chez 15 788 patientes ne prenant pas de suppléments en dehors du protocole a montré une association de la supplémentation en calcium et vitamine D avec une augmentation d’effets cardiovasculaires. L’interaction avec l’obésité peut être liée à la plus forte incidence de déficit vitaminique D chez les chez les patientes obèses et à un possible rôle protecteur de la vitamine D.

Dans une étude observationnelle finlandaise (Kuopio Observational Study), une supplémentation en calcium ou calcium et vitamine D a été retrouvée chez 2 723 (25,8 %) des 10 555 femmes sans maladie coronarienne à l’inclusion. Après une période de suivi de 6,6 ans, 513 nouveaux cas de maladie coronarienne ont été notés, avec une augmentation du risque en cas de supplémentation en calcium ou calcium/vitamine D (HR = 1,24 ; IC 95 % : 1,02-1,52) (5).

Reid IR et coll. (6) précisent que la concentration de calcium ionisé augmente de façon plus importante avec une supplémentation en calcium qu’après l’ingestion d’aliments lactés, ce qui pourrait avoir un rôle dans les calcifications vasculaires.

Une étude à décharge.

Très récemment, Lewis JR et coll. (7) ont analysé la survenue d’effets cardio-vasculaires dans une étude australienne menée chez 1 460 patientes âgées en moyenne de 75,1 ans et recevant 1 200 mg/j de calcium ou un placebo pendant cinq ans et un suivi supplémentaire de 4,5 ans (Étude CAIFOS). Ils n’ont pas retrouvé de différence concernant un indice composite de maladie vasculaire athéroscléreuse, incluant également des éléments tels que l’insuffisance cardiaque et une AC/FA. Les patientes recevant la supplémentation calcique n’ont pas présenté un risque plus élevé de décès ou d’hospitalisation à ces deux temps de suivi.

Une discussion concernant la tolérance cardiaque entre ces auteurs a été rapportée dans des lettres récentes (8, 9) : Bolland MJ et coll. (8) soulignent notamment le faible taux d’événements rapportés dans l’étude de Lewis JR et coll. (7) et le manque de puissance statistique pour pouvoir détecter une différence entre les deux groupes de patientes. Quant à Lewis JR et coll. (9), ils discutent également les résultats de Bolland MJ (1) et précisent notamment que le critère composite retenu n’est finalement pas celui qui était initialement prévu (angor et douleur thoracique ayant été retirés). L’étude de Bolland MJ et coll. (1) présente en effet des limites : il faut rappeler également que la survenue des effets cardio-vasculaires n’était pas un objectif principal de l’étude et que ces effets secondaires cardiovasculaires sont rapportés initialement par les patients ou leur famille. Tang BMP et coll. soulignent par ailleurs qu’il n’y a pas de preuve d’augmentation de la mortalité secondaire à la supplémentation en calcium (10).

Les résultats restent donc actuellement contradictoires et il est sans doute prématuré de conclure avec les données dont nous disposons.

Il faut cependant rappeler que la prescription systématique de calcium est inutile chez les femmes ayant un apport alimentaire calcique suffisant. Un interrogatoire avec un questionnaire permettant de chiffrer les apports alimentaires doit être effectué pour apprécier l’existence ou non d’apports insuffisants. Une carence en calcium sera alors à corriger, en particulier chez les patientes âgées ou ostéoporotiques, si possible en privilégiant les apports calciques alimentaires, et tout en corrigeant les carences en vitamine D.

*CHU de Poitiers, Poitiers.

Références :

(1)Bolland MJ, et al. BMJ 2008 ; 336 : 262-6

(2)Bolland MJ, et al. BMJ 2010 ; 341 : c3691

(3)Bolland M, et al. J Bone Miner Res 2010 ; 25 (suppl 1) : S50

(4)Hsia J, et al. Circulation 2007; 115 : 846-54.

(5)Pentti K, et al. Maturitas 2009 ; 63 : 73-8.

(6)Reid IR, et al.Clinical Endocrinol 2010 ; 73 : 689-95.

(7)Lewis JR, et al. J Bone Miner Res 2011; 26 : 35-41.

(8)Bolland MJ, et al. J Bone Miner Res 2011 (epub ahead of print).

(9)Lewis JR, et al. J Bone Miner Res 2011(epub ahead of print).

(10)Tang BMP, et al. MJA 2008 ; 188 : 547.


Source : Bilan spécialistes