Cas clinique

Une femme de pierre…

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Publié le 27/06/2019
mains FPO

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Crédit photo : DR

Une patiente de 34 ans, suivie depuis l’âge de 12 ans pour une fibrodysplasie ossifiante progressive (FOP), prise en charge initialement à Necker. Sa mère et son frère aîné sont également atteints de cette maladie.

Les manifestations initiales caractéristiques, avec plusieurs poussées douloureuses, touchent successivement le rachis cervical, la ceinture scapulaire surtout à gauche, la ceinture pelvienne et les genoux. La poussée la plus récente a eu lieu dans la région scapulaire gauche.

Des interventions pour exérèse de « calcifications » en 2003 et 2010 ont été suivies de récidive. Le handicap est maintenant important, la patiente se déplaçant en fauteuil à l’extérieur, avec des béquilles chez elle, et avec un retentissement respiratoire sous forme d’une dyspnée dès le moindre effort.

Les radiographies confirment le phénotype osseux : ossifications hétérotopiques des muscles paravertébraux (figure 1), de la ceinture scapulaire (figure 2) ; ankylose de la hanche droite par ossification des structures périarticulaires (figure 3) ; pseudo-exostoses de l’extrémité inférieure du fémur et de l’extrémité supérieure du tibia (figure 4) ; malformations des premiers rayons des pieds et mains (figures 5A et 5B).
 

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L’association de ces anomalies malformatives et des ossifications hétérotopiques progressives constitue le phénotype caractéristique de la FOP, confirmée par la présence de la mutation c.617G > A (p.R206H) dans l’exon 6 du gène ACVR1.

Une maladie génétique rare

La FOP est aussi appelée myosite ossifiante progressive, maladie de l'homme de pierre ou de Münchmeyer (1). Il s’agit d’une maladie génétique (mutation du gène ACVR1) (2), transmise sur un mode autosomique dominant. Elle touche 1,3 personne par million, soit 89 patients identifiés en France (3).

Les progrès des connaissances physiopathologiques ont permis de comprendre que la mutation entraîne une forte dérégulation de la voie de signalisation BMP, facteur de croissance majeur de l’ostéoformation dont l’activation permanente rend compte des ossifications irréversibles (1). 

Une ossification par poussées

La FOP est caractérisée par une ossification progressive des muscles squelettiques et des tendons les rattachant aux os, le plus souvent précédée de poussées inflammatoires. Les malformations associées complètent le phénotype et sont une aide précieuse pour le diagnostic précoce, en particulier la malformation congénitale du gros orteil, constante et présente dès la naissance (figure 5), et les ostéochondromes médiaux, en particulier du tibia proximal (4).

Les poussées à l’origine du développement des ossifications sont déclenchées par des « traumatismes » souvent mineurs : traumatismes musculaires (chutes, chocs, injections…), fatigue musculaire ou myalgies à l’occasion d’un épisode viral. Les agressions chirurgicales ou interventionnelles sont particulièrement « toxiques »... donc à éviter !

Ces poussées transforment les muscles, tendons, ligaments, fascias et aponévroses, en os hétérotopique rendant progressivement les mouvements impossibles. Il en résulte un handicap croissant, souvent majeur, avec en particulier une insuffisance respiratoire restrictive progressive multifactorielle (ankylose costovertébrale, ossification des muscles intercostaux et paravertébraux, déformation progressive du rachis en cyphoscoliose ou lordose thoracique), puis une insuffisance cardiaque droite (5). Le pronostic est aggravé par les épisodes de surinfection ou les pneumopathies de déglutition, la malnutrition liée aux difficultés d’alimentation par ankylose de la mâchoire.

Vers de nouvelles pistes thérapeutiques

L’imagerie est importante : le scanner corps entier faible dose permet d’évaluer l’ensemble des anomalies osseuses (figure 6) et le TEP scanner au fluor ([18F]NaF-TEP/CT) de connaître l’activité de la maladie et d’identifier des ossifications asymptomatiques mais progressives (6, 7).
 

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Les traitements sont actuellement uniquement palliatifs et préventifs des poussées : antalgiques, mobilisation douce, aides techniques, prévention des poussées en évitant toute « agression » des tissus mous. Des pistes thérapeutiques prometteuses sont en cours de développement : agoniste du récepteur γ de l’acide rétinoïque (palovarotène) pour inhiber la chondrogenèse, anticorps anti-activine A (protocole multinational en cours) pour bloquer la signalisation du récepteur ACVR1… (8)

Centre Viggo Petersen, Hôpital Lariboisière, Paris
1. Kaplan FS, Le Merrer M, Glaser DL, et al. Fibrodysplasia ossificans progressiva. Best Pract Res Clin Rheumatol 2008;22:191-205.
2. Shore EM, Xu M, Feldman GJ, Fenstermacher DA et al. A recurrent mutation in the BMP type I receptor ACVR1 causes inherited and sporadic fibrodysplasia ossificans progressiva. Nat Genet 2006;38:525-7.
3. Baujat G, Choquet R, Bouée S et al. Prevalence of fibrodysplasia ossificans progressiva (FOP) in France: an estimate based on a record linkage of two national databases. Orphanet J Rare Dis 2017;12:123.
4. Pignolo RJ, Shore EM, Kaplan FS. Fibrodysplasia ossificans progressiva: diagnosis, management, and therapeutic horizons. Pediatr Endocrinol Rev 2013;10 Suppl 2:437-48.
5. Kaplan FS, Zasloff MA, Kitterman JA, Shore EM, Hong CC, Rocke DM. Early mortality and cardiorespiratory failure in patients with fibrodysplasia ossificans progressiva. J Bone Joint Surg Am 2010;92:686-91.
6. Chabernaud-Négrier A, Funck-Brentano T, Burns R, Taihi L, Bousson V. Fibrodysplasia ossificans progressiva at whole-body low-dose computed tomography. Joint Bone Spine 2019 ; https://doi.org/10.1016/j.jbspin.2019.05.001 [Epub ahead of print]
7. Botman E, Raijmakers PGHM, Yaqub M et al. Evolution of heterotopic bone in fibrodysplasia ossificans progressiva: An [18F]NaF PET/CT study. Bone 2019;124:1-6.
8. Wentworth KL, Masharani U, Hsiao EC. Therapeutic advances for blocking heterotopic ossification in fibrodysplasia ossificans progressiva. Br J Clin Pharmacol 2019;85:1180-1187.

Pr Philippe Orcel, Dr Thomas Funck Brentano

Source : lequotidiendumedecin.fr