Cas clinique

Une fuite à l’effort...

Publié le 15/05/2019
Fuite urinaire

Fuite urinaire
Crédit photo : phanie

Un patient de 56 ans, d’origine chinoise, vivant en France depuis 2016, rapportait des troubles de la marche d’installation progressive sur un an, à type de faiblesse des membres inférieurs, survenant à l’effort. Deux semaines avant son hospitalisation, il a eu une aggravation brutale, rendant nécessaire le recours à une canne. Des douleurs des cuisses, non systématisées, se sont ajoutées ainsi que la présence de troubles sphinctériens : impériosités, fuites urinaires, et deux épisodes de fuites anales. À noter, l’absence de fièvre ou d’altération de l’état général. Une IRM panmédullaire, a révélé un hypersignal intramédullaire T2 et STIR étendu des vertèbres thoraciques jusqu’au cône médullaire. Le patient est alors rapidement adressé dans notre service pour suspicion de myélite…

Une hypothèse de myélite remise en cause

À son arrivée, l'examen clinique n’a pas révélé d’anomalie de la motricité, ni de syndrome pyramidal. La sensibilité épicritique était diminuée à la face postérieure des cuisses et le tonus anal diminué, avec une hypotonie en selle. Le reste de l’examen était strictement normal.

Les examens paracliniques on permit d’écarter une myélite infectieuse, et carentielle. L’hypothèse d’une myélite inflammatoire paraissait peu probable devant l’absence le tableau clinique évocateur et la normalité des explorations.

Une fistule artérioveineuse détectée

Après relecture de l’IRM panmédullaire, la présence de vaisseaux périmédullaires, nombreux et trop bien visibles, en hyposignal STIR, a fait suspecter une malformation vasculaire spinale (voir figure). Une artériographie médullaire sélective a finalement révélé la présence d’une fistule artérioveineuse durale T6 gauche. La malformation n’était pas accessible à une embolisation, une exclusion chirurgicale de la fistule durale a été réalisée. L'évolution neurologique a été rapidement favorable. 
 

[[asset:image:7543 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["S\u00e9quence STIR sagittale (de gauche \u00e0 droite cervico-dorsal, et dorso-lombaire) et axiale montrant un hypersignal intram\u00e9dullaire \u00e9tendu du niveau thoracique 6 jusqu\u2019au c\u00f4ne terminal, associ\u00e9 \u00e0 des vaisseaux p\u00e9rim\u00e9dullaires dilat\u00e9s, sans compression extradurale du cordon m\u00e9dullaire"]}]]

Deux types de malformations vasculaires spinales

Les malformations vasculaires spinales sont 4 fois moins fréquentes que les malformations intracrâniennes, et représentent environ 4 % de l’ensemble des lésions du cordon médullaire. Ces dernières, sont des entités complexes et très variables, caractérisées systématiquement par la présence d’un shunt, à savoir une communication anormale entre une artère et une veine, responsable d’un hémodétournement et d’un retour veineux précoce.

De nombreuses classifications ont été décrites, basées sur les connaissances apportées par l’artériographie et plus récemment par la microchirurgie. Celles-ci sont schématiquement divisées en deux grands types : les fistules artérioveineuses et les malformations artérioveineuses.

Les fistules artérioveineuses sont caractérisées par la présence d’un shunt unique direct, de localisation durale ou extra-durale et systématiquement extra-médullaire, dans la plupart des cas entre une artère médullaire segmentaire afférente et une veine radiculaire. Elles représentent 70 % des malformations vasculaires spinales. Elles surviennent préférentiellement entre 50 et 70 ans, faisant suspecter une origine acquise (traumatisme ou geste iatrogénique), avec une nette prédominance masculine. 80% des fistules durales concernent la région entre T6 et L2 et sont solitaires.

Une pathologie évolutive nécessitant une ablation

Cliniquement, elles se manifestent par un tableau lentement évolutif, s’installant en deux à trois ans, pouvant associer des troubles sensitifs, une faiblesse des membres inférieurs, un syndrome pyramidal, et plus tardivement des troubles vésicosphinctériens. Il est fréquemment rapporté une aggravation des symptômes à l’effort.

Plusieurs mécanismes peuvent être retenus pour expliquer la souffrance neurologique : une hyperpression veineuse résultant d’un retour veineux précoce, responsable d’un engorgement médullaire et d’une myélopathie, probablement le phénomène prépondérant ; une ischémie en lien avec l’hémodétournement et dans de rares cas par hémorragie intramédullaire, responsable d’un tableau neurologique aigu, ou par compression médullaire des vaisseaux dilatés.

L’IRM médullaire met bien en évidence les vaisseaux périmédullaires de drainage, et le retentissement sur la moelle sous forme d’un hypersignal T2 et STIR souvent très étendu, se rehaussant après injection de produit de contraste. Cependant, ce diagnostic reste largement méconnu, et une myélite est souvent avancée à tort. L’artériographie constitue l’examen de référence permettant de confirmer, de localiser précisément le shunt, et d’évaluer son accessibilité à une embolisation. Elle peut être diagnostique et thérapeutique dans un même temps.

Les diagnostics différentiels, plus rares, sont éliminés grâce à l’artériographie : malformations artérioveineuses spinales congénitales, les plus dangereuses et les plus imprévisibles ; cavernome ou cavernomatose familiales, beaucoup plus rares et caractérisées par la présence d’une agglomération bien circonscrite de capillaire.

Compte tenu du potentiel évolutif, l’ablation de la fistule doit être rapidement envisagée, soit par embolisation permettant l'exclusion du shunt après cathétérisation hypersélective de l’artère radiculaire, soit par chirurgie avec coagulation et section de la veine de drainage. Ces deux techniques ont l’avantage d’offrir une faible morbidité, et un bon pronostic fonctionnel. Il n’existe pas d’essai comparatif randomisé, cependant les études rétrospectives montrent un succès et un risque de récidive nettement en faveur de la chirurgie. Le pronostic dépend essentiellement de la gravité de l’atteinte initiale, et de la rapidité d’intervention.

En conclusion, la fistule durale artérioveineuse spinale constitue l’entité la plus fréquente des malformations vasculaires spinales, la plus accessible à un traitement et à un meilleur pronostic. Bien que rare, elle doit être recherchée devant une souffrance médullaire étendue, en particulier si visualisation des vaisseaux périmédullaires. La chirurgie d’exclusion du shunt permet un bon pronostic fonctionnel et offre de très rare risque de récidive. 

*Service de Rhumatologie, Hôpital Lariboisière  
**Imagerie Médicale Léonard de Vinci - Centre Cortambert, Paris 16
Krings et al. American Journal of neuroradiology, 2009
Takai et al.  Neurologia Medico-Chirurgica, 2017
Zalewski et al. JAMA Neurology, 2018
Kang et al. World Neurosurgery, 2019.

Pauline Richebé*, Philippe Orcel*, Bertrand Naveau*, Marc Wybier**

Source : lequotidiendumedecin.fr