Courrier des lecteurs

Tournoi des six nations : réformer le rugby avant qu'il ne soit trop tard

Publié le 27/01/2020

Alors que s'ouvre le 1er février le Tournoi des six nations, deux indices confirment le marasme que traverse aujourd'hui le rugby français. L'un concerne le rang occupé par notre équipe nationale dans le concert mondial : la 7ème place. Nous nous situons désormais derrière des nations beaucoup moins peuplées que la France comme le Pays de Galles et l'Irlande. On a connu des jours plus fastes !

L'autre indice est plus inquiétant car il porte sur le développement du sport de masse : entre 2016 et 2019, il a perdu environ la moitié de ses licenciés  (256 000 au lieu de 540 000 selon le rapport de la World Rugby). Ce total nous classe désormais au 4ème rang mondial alors que nous occupions le 1er en 2016. Même s'il est contesté par la FFR, ce recul évident montre que, chez nous, l'attractivité du rugby a baissé : il est clair que les parents refusent de plus en plus souvent d'autoriser leurs enfants à s'engager dans un sport qu'ils jugent trop violent et peu spectaculaire.

Les principaux déterminants de la crise doivent être recherchés dans deux aspects de l'activité : le recrutement et la façon de jouer.

Les clubs de haut niveau (Top 14 et Pro D2) poussent jusqu'à l'excès le souci de prospecter des morphologies surdimensionnées. Le poids croissant des lignes d'avants en témoigne : le total de 900 Kg n'est pas rare aujourd'hui ! Frénésie du gigantisme aggravée par la musculation intensive. Où s'arrêtera-t-on ?

Autre tendance : les clubs puisent largement dans les rangs des joueurs étrangers : fin 2018, on en dénombrait 250 sur la masse de 600 pratiquants professionnels. Ces mercenaires issus d'Afrique du Sud, de Nouvelle-Zélande, des Iles Fidji, d'Australie … offrent souvent une garantie de puissance de pénétration et de pugnacité qui les rendent particulièrement redoutables. Mais leur nombre est trop élevé : c'est si vrai que la FFR a dû limiter le taux de compétiteurs d'origine étrangère.

Le rugby est par ailleurs devenu un sport à risques : aux accidents traditionnels (entorses, déchirures, luxations, fractures) s'ajoutent désormais les commotions cérébrales engendrées par les chocs trop rudes, des chocs pouvant à la limite provoquer des accidents mortels (quatre en 2018). Pendant quelques années la FFR a veillé à rendre ces accidents moins destructeurs (avec l'application du « protocole commotion » établi par des médecins) mais petit à petit ces K.O sont devenus familiers. Plus grave encore, certains joueurs ont poursuivi leur saison après avoir subi plusieurs blessures de ce type. Ce problème de la dangerosité reste entier et on ne doit pas admettre que des traumatismes aussi invalidants (risque d'encéphalopathie chronique) puissent ponctuer des luttes théoriquement conçues comme relevant du jeu agonal (Roger Caillois), j'ai bien dit du jeu. Bref le combat ne devrait jamais conduire à la bataille rangée.

Autre faiblesse du jeu actuel : la monotonie. Le rugby d'évitement a fait place au rugby de tamponnement. La stéréotypie qui caractérise le déroulement du « pick and go » et du jeu « à une passe ! » fait ressembler la lutte des avants à des parties de rentre-dedans inspirées des joutes de béliers. Le fameux « rugby champagne » n'est plus d'actualité. Le professionnalisme instauré en 1995 n'a pas créé ces dérives du rugby actuel mais il les a accentuées.

Quelles mesures prendre ?

Prenant appui sur de longues années de joueur et d'éducateur, je suggèrerai quelques réformes à mettre en œuvre pour redresser la barre.

Disons d'abord que le recrutement devrait se conformer au principe de biodiversité humaine et s'ouvrir à toutes les morphologies. Certains joueurs aux dimensions ordinaires ( Kolbe, M'Tamak, Dulin par exemple) tiennent parfaitement leur place dans des équipes de l'élite (Toulouse, Paris etc) et n'ont rien à envier aux colosses qu'ils rencontrent sur les terrains. Le rugby des origines était d'ailleurs conçu comme un jeu d'opposition pouvant intégrer tous les individus, tous les formats.

La seconde transformation devrait concerner la qualité du jeu. Il faut encourager l'acquisition d'un répertoire technique qui autorise un jeu déployé : les jeunes des écoles de rugby devraient apprendre le crochet, la feinte de passe, le raffut, le cadrage-débordement etc. Quelques équipes françaises sont d'ailleurs capables d'offrir des actions collectives spectaculaires et efficaces : c'est le cas en ce moment pour Toulouse, Clermont … Il faudrait que les autres clubs s'en inspirent et que les entraîneurs privilégient la mobilité et la créativité, même chez les avants. La recherche des intervalles et la circulation du ballon doivent rester les objectifs essentiels à atteindre.

Le troisième facteur de l'évolution devrait porter sur les règles du jeu, notamment celles qui ont été conçues pour mieux protéger les joueurs. Ces temps derniers les arbitres ont clairement sanctionné les joueurs fautifs en cas de placage haut, de placage de l'épaule et de placage « cathédrale » mais il y aurait à mon avis deux améliorations à introduire.

Dans les cas de jeu dangereux, il faudrait se montrer plus sévère : ne pas se limiter au carton « jaune » (exclusion de 10 minutes) ou au carton « rouge » (exclusion définitive) et recourir à la suspension pour un ou plusieurs matches.

En dehors du placage, on relève des phases où le degré de tolérance des arbitres me semble exagéré. Je veux parler de l'entrée dans les mêlées ouvertes (les rucks) et les épisodes confus qui portent le nom ambigu de «déblayages». Le règlement ne mentionne pas clairement ces infractions. Il faudrait combler cette lacune.

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Jean Le Camus, Ancien joueur à Montauban et au Bataillon de Joinville

Source : Le Quotidien du médecin