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VIH : vers des traitements simplifiés

Par Irène Lacamp - Publié le 29/03/2021
VIH : vers des traitements simplifiés


RAWPIXEL LTD./ADOBE STOCK

Pandémie oblige, la dernière conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI, 6-10 mars 2021) a consacré une large place au SARS-CoV-2. Mais cette 28e édition a aussi permis de revenir sur les progrès thérapeutiques récents en matière de lutte contre le VIH. Molécules longue durée d’action, bithérapie plutôt que trithérapie, espacement des prises, etc. : l’heure est au développement de stratégies allégées mieux tolérées et plus simples pour les patients.

« À l’heure actuelle, 90 % de nos patients VIH + voient leur charge virale bien contrôlée », s’enthousiasme le Dr Roland Landman (Paris). Dans ces conditions, explique-t-il, la recherche porte désormais moins sur la découverte de nouveaux traitements que sur le développement de stratégies thérapeutiques à la fois mieux tolérées et plus simples. Une tendance forte illustrée par plusieurs communications de la dernière conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI, 6-10 mars 2021).

Des bithérapies en curatif

À ce titre, une des principales avancées réalisées ces dernières années concerne la réduction du nombre de prises hebdomadaires du traitement antirétroviral. En la matière, un nouveau pas semble encore avoir été réalisé cette année avec l’essai ANRS Quatuor, qui a comparé chez 621 patients les performances d’une trithérapie prise 4 jours par semaine à celles d’un traitement classique pris 7 jours sur 7. Résultat : « à 96 semaines, l’efficacité se maintient pour les 93 % des patients qui ont maintenu la stratégie pendant 2 ans », se félicite le Dr Landman, qui a pris part à cette étude. Autrement dit, la réduction des prises apparaît bien efficace au long cours. Et ce, pour de rares cas d’échappement virologique, qui ont surtout concerné des patients traités par des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse, soit « des molécules à faible barrière génétique ». « Nous sommes maintenant persuadés que cette stratégie d’allègement de traitement, dont bénéficient déjà de nombreux patients, peut s’implémenter dans la pratique clinique », prévoit le Dr Landman pour qui cette approche pourrait également s’accompagner d’une réduction de 40 % du coût des traitements concernés.

Autre progrès récent dans le domaine de la simplification des traitements : le passage des trithérapies aux bithérapies — « qui sont maintenant complètement intégrées au paysage thérapeutique », juge le Dr Landman. Une stratégie d’autant plus intéressante que des bithérapies injectables, à longue durée d’action, ont pu être développées (et sont déjà disponibles à titre compassionnel), afin notamment de renforcer l’observance des traitements. Or les données confirmant l’efficacité, la sécurité et plus généralement l’intérêt d’une de ces bithérapies — l’association du cabotégravir et de la rilpivirine — se multiplient. En particulier, il vient d’être montré que son efficacité ne dépend pas de l’âge, et n’a pas pour contrepartie d’effets secondaires de type prise de poids – pourtant à craindre avec le cabotégravir du fait de sa classe pharmacologique (inhibiteur de l’intégrase du VIH).

La PrEP « longue durée d’action » à l’étude

Si, au niveau thérapeutique, les traitements tendent à se simplifier, c’est également le cas dans le domaine de la prévention, et en particulier de la prophylaxie pré-exposition du VIH (PrEP) « où on ne dispose aujourd’hui que de comprimés qui combinent deux antirétroviraux – ténofovir et emtricitabine (à prendre quotidiennement, ndlr) », analyse l’infectiologue Jean-Michel Molina (Paris). Ainsi beaucoup de travaux visant à diversifier et alléger la PrEP ont-ils été présentés lors de la CROI. À commencer par l’étude Prévenir de l’ANRS, qui a confirmé en conditions de vie réelle l’efficacité de la PrEP dite à la demande, c’est-à-dire prise seulement avant et après chaque rapport sexuel à risque plutôt qu’en continu. Après 2 ans de suivi de 3 000 volontaires franciliens, dont une moitié avait choisi d’utiliser la PrEP à la demande et l’autre en continu, un taux de contamination extrêmement faible, de l’ordre d’1 pour 1 000 patients-années, a été mise en évidence dans chacun des bras de l’étude. Une efficacité importante donc, et ce, pour un risque de survenue de mutations de résistance faible — seul un cas ayant été détecté sur un total de 6 volontaires infectés à la suite d’une interruption de la prophylaxie — et pour un profil de tolérance très satisfaisant.

Des travaux menés à l’étranger sur d’autres modalités potentielles de la PrEP, qui pourraient conduire en particulier à n’administrer le traitement que quelques fois par an, permettant de renforcer l’observance, ont également montré des résultats prometteurs. Ainsi la preuve de l’efficacité préventive du cabotégravir à longue durée d’action, administré seul, par injection intramusculaire tous les deux mois, a-t-elle été apportée par deux études — l’une réalisée chez des hommes ayant des rapports avec des hommes, et l’autre chez des femmes vivant en Afrique. C’est d’ailleurs sans doute « l’élément le plus important de l’année 2020-2021 » en matière de prévention, juge le Pr Molina. Seul bémol : chez les participants qui ont contracté le VIH malgré le traitement, le plus souvent à cause de retards d’injection, la prévalence des mutations de résistance éventuellement croisées avec le dolutégravir pourrait atteindre 30 %. Par ailleurs, de rares cas, encore mal compris, d’infection survenue malgré l’administration correcte des injections nécessitent de plus amples investigations avant que des AMM soient attribuées — probablement au cours de 2021, voire 2022 en Europe, estime le Pr Molina.

D’autres molécules à demi-vie longue apparaissent en outre prometteuses en prophylaxie, à l’instar de l’islatravir — qui a pour le moment fait l’objet d’études préliminaires de pharmacocinétiques par voie orale et sous forme d’implant — et du lénacapavir — pour lequel des études chez l’animal suggèrent qu’il pourrait être administré par voie sous-cutanée seulement deux fois par an et permettre d’éviter l’émergence de résistances croisées avec d’autres médicaments. Un nouvel anneau vaginal à base de dapivirine — type de dispositif qui vient d’être recommandé par l’OMS chez les femmes en contexte d’indisponibilité de la PrEP classique — pouvant être utilisé pendant 3 mois (contre 1 mois pour les précédents anneaux étudiés) a par ailleurs montré des données « très favorables » juge le Pr Molina.

À très long terme, le spectre de la fragilité
Les progrès en matière de lutte contre le VIH ne se résument pas à la simplification des traitements curatifs ou prophylactiques. En effet, des efforts sont aussi déployés, dans une perspective plus globale, pour mieux prévenir et prendre en charge des comorbidités qui se développent, parfois à très long terme, parallèlement au VIH. À ce titre, la fragilité, suspectée d’être favorisée par le VIH, fait l’objet d’intenses recherches.
« On dispose aujourd’hui de beaucoup de données sur la fragilité chez les personnes qui vivent avec le VIH », rappelle l’infectiologue Clotilde Allavena (CHU de Nantes). Cependant, alors même que la fragilité se définit comme un syndrome gériatrique marqué par un état de vulnérabilité et un défaut d’adaptation liés à une réduction des réserves physiologiques, peu d’investigations ont paradoxalement été conduites chez les plus de 70 ans.
Étude SeptaVIH Ainsi, la présentation des résultats de l’étude SeptaVIH
de l’ANRS visant à évaluer la fragilité des patients VIH + de plus de 70 ans était très attendue. Ses conclusions ont de quoi surprendre. D’abord, les facteurs associés à cette fragilité, qui relèvent en particulier de l’âge, du niveau d’éducation et de la présence de comorbidités, apparaissent peu liés au VIH, le niveau de CD4 semblant avoir peu d’impact dans l’étude. Mais surtout, sur les 710 patients de 73 ans d’âge médian présentant une longue histoire VIH inclus dans l’étude, la prévalence de la fragilité ne dépasse pas 13,5 %, s’enthousiasme le Dr Allavena, qui a participé à l’étude, alors que « les études conduites auprès de patients plus jeunes trouvent pourtant souvent des pourcentages plus élevés, de l’ordre de 14, 30, voire parfois 40 % sur des profils particuliers », souligne-t-elle.
Toutefois, ce chiffre encourageant ne doit pas masquer des données plus inquiétantes : les participants présentaient en médiane trois comorbidités, et parmi les sujets fragiles, deux tiers pouvaient être considérés comme très fragiles. Si les facteurs associés à cette fragilité semblent bien identifiés, reste encore à comprendre la dynamique d’installation, d’aggravation, voire au contraire de correction de la fragilité.