Cent vingt-cinq ans après la parution de L’Interprétation des rêves, de Sigmund Freud, l’intérêt de la psychiatrie et de la psychologie pour les productions oniriques se renouvelle. En particulier, la question de la fonction des rêves suscite de nouvelles explorations. La théorie d’un rôle des rêves sur la gestion des émotions, notamment, est de plus en plus étayée, et des hypothèses mécanistiques sont avancées.
Un outil de régulation émotionnelle physiologique
Les rêves pourraient produire, pour mieux les évacuer, certaines émotions négatives, dans une logique de catharsis. Ainsi, des individus sains rapportant fréquemment des rêves associés à un sentiment de peur présenteraient une réponse plus basse à des stimuli effrayants à l’éveil que les autres (Sterpenich et al, 2019).
Les rêves pourraient par ailleurs atténuer la charge émotionnelle des souvenirs par association entre réminiscences de forte et de moindre intensité émotionnelle.
Un phénomène de compensation des émotions négatives de l’éveil par des rêves positifs est aussi avancé. Ainsi, une vaste enquête diffusée pendant le premier confinement (Ruby, 2021) a décrit non seulement une prévalence importante des thèmes de rêves liés à la pandémie et des cauchemars pendant cette période, mais aussi une fréquence élevée de rêves très positifs. Des publications plus anciennes (Sándor, 2014) avaient déjà noté un moindre risque de stress post-traumatique en cas de rêves très positifs après un évènement traumatique.
Plusieurs applications cliniques potentielles
D’un point de vue plus pratique, les productions oniriques pourraient permettre d’anticiper la survenue d’un état psychiatrique critique et notamment la crise suicidaire, souvent précédée par des mauvais rêves et cauchemars spécifiques (voir encadré ci-dessous).
En outre, des arguments en faveur d’une meilleure prise en compte des rêves en “curatif” s’accumulent et, dans certaines pathologies, l’intérêt de traiter les troubles cauchemars semble de plus en plus clair. C’est le cas dans le syndrome de stress post-traumatique, 70 % des patients touchés présentant des troubles cauchemars fréquents et invalidants, avec répétition de la scène traumatisante, d’où un évitement du coucher, un hyperéveil, une fragmentation du sommeil aggravant les difficultés émotionnelles et le stress post-traumatique, avec in fine, un risque de suicide accru. Or les traitements classiques du syndrome stress post-traumatique ne résolvent que partiellement les cauchemars. Au contraire, la thérapie par répétition d’imagerie mentale (RIM) enregistrerait des performances encourageantes en permettant de réécrire le scénario cauchemardesque.
Plus généralement, depuis plus de vingt ans, des études suggèrent que les discussions sur les rêves dans les psychothérapies semblent bénéfiques. Notamment, l’application de la méthode de discussion sur les rêves d’Ullman permettrait aux patients d’atteindre de hauts scores de réalisation et d’épiphanie (Edwards et al, 2013, 2015, Blagrove et al, 2018). Et les rêves aideraient à augmenter l’implication des patients dans leur thérapie, renforceraient le lien patients-thérapeutes et faciliteraient la discussion de sujets d’importance. (Pesant et Zadra, 2004).
Session C3 - Sommeil et rêve : psychothérapie physiologique ?
Traquer les cauchemars pour prédire le suicide
De plus en plus d’études suggèrent un lien entre suicide et mauvais rêves ou cauchemars (définis comme de mauvais rêves éveillants). Des travaux récents, et notamment une étude américaine conduite sur une population de militaires (Sandman et al, 2017), retrouvent ainsi une corrélation entre fréquence des cauchemars et risque suicidaire. Par ailleurs, une revue systématique de la littérature (Akkaoui et al, 2020) estime le taux de prévalence des cauchemars fréquents (plus de quatre fois par mois) à 90 % chez les patients dépressifs – contre 2 à 8 % de la population générale. Un impact de la sévérité des cauchemars sur la maladie dépressive se dégage également, une étude (Akkaoui et al, 2022) menée chez une centaine d’adolescents suivis en psychiatrie concluant à une association entre détresse et symptômes diurnes liés aux cauchemars, et intensité des symptômes anxieux et dépressifs.
Dans ce contexte, les cauchemars pourraient préfigurer précocement la crise suicidaire. Un travail français (Geoffroy et al, 2022) ayant interrogé sur leurs rêves 40 patients reçus aux urgences psychiatriques pour tentative de suicide trouve un taux de prévalence de 80 % des cauchemars au cours du mois précédant l’évènement. Trois phénotypes de rêves ont pu être identifiés : 67,5 % des participants avaient vécu des mauvais rêves à répétition, 52,5 % des cauchemars à répétition, et environ un quart avaient joué en rêve le scénario suicidaire. Un phénomène d’installation progressive – avec apparition des mauvais rêves quatre mois avant le suicide, des cauchemars trois mois avant, puis du scénario suicidaire un mois et demi avant – ouvrant une fenêtre pour estimer le risque suicidaire.
À ce titre, une évaluation des mauvais rêves et cauchemars peut être réalisée en pratique courante au moyen d’une nouvelle échelle : le Nightmare Severity Index (NSI) (Geoffroy et al, 2023), qui propose d’explorer en neuf questions quatre dimensions des cauchemars (fréquence, impact émotionnel, impact diurne et impact nocturne).
Session FA08 - GEPS - Sommeil, saisons et suicide : les liaisons dangereuses ?
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