E-cigarette Juul, tabac à chauffer : les nouvelles dépendances

Publié le 25/01/2019
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Le 10 décembre dernier, la France a autorisé la vente de la cigarette électronique Juul, qui fait polémique en Europe comme aux états-Unis. Si ce produit surfe sur l’argument du sevrage tabagique, la réalité inquiète beaucoup de spécialistes en addictologie. Cette e-cigarette contient une préparation à base de sels de nicotine dans des dosettes (“pods”) proposant différents goûts. Contrairement aux autres cigarettes électroniques, avec Juul la concentration de nicotine dans le sang augmente rapidement après chaque bouffée.

Aux USA, où ce produit a d’abord été commercialisé, les conséquences se sont vite révélées majeures et préoccupantes, surtout chez les jeunes.

Sensation forte et rapide

« Si d'après le NEJM, 80 % des ados utilisateurs de la Juul deviendraient dépendants, ce n’est pas seulement à cause du marketing, de la discrétion du produit qui ressemble à une clé USB et ne fait pas de vapeur (elle se fume discrètement en classe). C’est surtout parce que les concepteurs issus d'une prestigieuse université ont eu l’idée de chauffer des sels de nicotine et non pas une solution », explique le pharmacologue de l’hôpital Pitié Salpêtrière, le Dr Ivan Berlin. « Cela conduit à améliorer la biodisponibilité, faible avec les substituts nicotiniques, et à provoquer une sensation forte et rapide comme avec la cigarette traditionnelle. L’effet est stimulant (probablement comme avec la cocaïne) mais pas euphorisant (comme avec l’héroïne) ». Le succès de ce produit est tel que les cigarettiers s’y intéressent financièrement. La start-up à l’origine de Juul, créée par deux étudiants d’Harvard, détient près de 75 % des parts du marché de la e-cigarette aux états-Unis. La firme Altria (Philip Morris), fabricant de Marlboro, a récemment acquis 35 % de cette société en investissant 13 milliards de dollars.

Moins dosée qu’aux USA

Comment un tel produit, devenu un mode d’entrée dans l’addiction à la nicotine aux états-Unis, peut-il être autorisé en France ? « La seule différence de la Juul vendue chez nous est sa concentration de nicotine, limitée à 20 mg/mL (l’équivalent d'un paquet de cigarettes) du fait d'une directive européenne », précise le Dr Berlin. « La Juul américaine peut libérer 50 à 59 mg/mL, soit l’équivalent de trois paquets de cigarettes dans un réservoir. » Le pharmacologue ne décolère pas : « Il y a urgence à classer la Juul comme un produit du tabac et à la taxer comme tel, afin de réduire le pouvoir d’achat des adolescents. Récemment, six sociétés savantes médicales américaines ont pris la plume dans le NEJM et le JAMA pour alerter la Food and Drug Administration sur l’épidémie de Juul chez les adolescents, photos de classe à l’appui montrant des jeunes inhalant cette e-cigarette. Il est fort probable que son usage représente une nouvelle porte d’entrée dans l’addiction au tabac. »

Chauffage à commande électronique

À côté de Juul, de nouveaux produits chauffants à base de tabac sont arrivés sur le marché, comme la cigarette IQOS (I Quit Ordinary Smoking) de Philip Morris, vendue depuis 2017. Leurs dispositifs de chauffage à commande électronique ont un impact significatif sur la composition chimique globale des aérosols, par rapport aux cigarettes conventionnelles, mais à ce jour on dispose de très peu d’informations sur le tabac chauffé. « Ces produits utilisent du tabac en poudre chauffé à 200-300 degrés au moyen d’un système électronique comme la e-cigarette, ce qui conduit à une combustion incomplète », explique le Dr Berlin. « Il n’y a pas de fumée, donc pratiquement pas de monoxyde de carbone, mais cela ne veut pas dire qu’il y ait moins de risques pour la santé. »

Dr Catherine Desmoulins

Source : Le Généraliste: 2858