Ebola. Un mot, cinq lettres qui effraient les Occidentaux au gré des contaminations hors d’Afrique. Une fièvre qui mobilise la communauté internationale après avoir désorganisé les systèmes de soins locaux. Mais qui n’a pas fait renoncer le Dr Claude Briot à son départ pour la Guinée-Conakry. En octobre dernier, ce généraliste à la retraite est parti, comme prévu, en Haute-Guinée, encadrer des étudiants médecins africains. Pas question, pour lui, de renoncer face à cette maladie, « nouvelle peste mondiale » comme il la qualifie. « Une promesse est une promesse et, en tant que médecin, il est difficile de trouver des excuses, de se défiler en face d’une maladie, même encore mal connue. »
Sept missions en quatre ans
Claude Briot a rejoint l’hôpital régional de Kankan, deuxième ville du pays avec 400 000 habitants, pour une mission d’octobre à décembre. Ce membre de l’association « Les Enfants de l’Aïr » n’est pas le premier de l’organisation à aller sur place. Le Pr François Kohler (photo) se rend depuis 4 ans en Guinée, la dernière fois en juin dernier. Tout juste retraité, ce généraliste qui exerçait comme praticien hospitalier à Nancy effectuera sa
septième mission en janvier prochain. Soit près d’un an après la première suspicion d’Ebola dans la région, à deux heures de route de Kankan. « Depuis, cela a bien augmenté », assure cet ancien professeur de santé publique à la Faculté de Nancy, « même si Kankan reste assez loin de la Guinée forestière, c’est plutôt de “l’Ebola importé” ».
« Compagnonnage » avec les professionnels locaux
Si les bénévoles de l’association ne sont pas partis pour Ebola, ils doivent, sur place, faire avec aux côtés de leurs confrères guinéens. La philosophie de l’organisation de Montauban demeure la même depuis son implication sur le terrain, en 2011 : assurer des missions de développement où les Français « compagnonnent » avec les professionnels locaux. « On assure des échanges et transferts de connaissances dans tous les domaines de la médecine », explique le Dr François Charles (photo), vice-président de l’association. Également coordonnateur des missions médicales, cet ancien généraliste de la région toulousaine s’est déjà rendu à douze reprises en Guinée en trois ans. Et, quand bien même l’épidémie de fièvre sévit dans la région, « on poursuit le travail habituel », souligne-t-il. « On n’intervient pas en première ligne, précise-t-il, ce n’est pas dans notre logique et nous ne sommes pas formés pour opérer dans un centre Ebola. » À ceux qui s’inquiétaient de les voir partir, il répond que, justement, «?la formation permettrait d’arrêter la propagation du virus ».
Débarqué à Bamako, au Mali, Claude Briot est arrivé en Guinée après six heures de route en taxi collectif. À l’hôpital, l’activité médicale a lieu essentiellement le matin, les patients et leurs proches préférant manger, prier ou dormir sous les manguiers l’après-midi. À 8 h 15, tout le staff participe à la réunion quotidienne. « Chacun y fait le point, service par service, et nous sommes informés de ce qui s’est passé la nuit dans tous les départements médicaux », détaille cet ancien généraliste du Loiret, engagé dans des missions humanitaires depuis une dizaine d’années. Le personnel administratif donne pour sa part des informations générales : « C’est important en cette période d’épidémie qui génère beaucoup de rumeurs », note-il.
Un « point Ebola » chaque matin
Depuis quelques mois, le rendez-vous matinal se double d’un point Ebola. Sont passés en revue le nombre de patients suspects, les résultats de ceux partis vers le centre de traitement, les décès recensés dans la communauté. Les visites des malades peuvent ensuite commencer. C’est un « service d’une ancienne conception », rapporte le généraliste français, « des chambres de 5 lits ou des cabines d’un lit moyennant un supplément, des matelas sans draps, très peu de moustiquaires ». Sans parler des familles, « agglutinées auprès de leurs proches à la mode africaine sans grande mesure d’hygiène ». Certains patients viennent à l’hôpital pour une consultation, une ordonnance et repartent chez eux.
Expliquer les protocoles de stérilisation, imaginer un système d’incinération des déchets hospitaliers, former les professionnels à l’hygiène… Telles sont les missions habituelles de ces médecins bénévoles français. Comme le résume François Kohler, « on les aide à avoir le système le plus fonctionnel avec les moyens qui existent », l’hôpital ne bénéficiant que de 3 à 4 heures d’électricité par jour. À cela s’ajoute également l’accompagnement des « synthésards », ces étudiants diplômés qui ne font plus que de la pratique. Un peu comme les internes de l’Hexagone, « ils ont des connaissances, mais s’agissant du raisonnement clinique, sur des cas mélangeant différentes pathologies, c’est plus difficile », explique le professeur de l’université de Lorraine. « Et c’est encore plus difficile quand il s’agit de faire des examens , ajoute-il, il faut les amener à raisonner avec les moyens du bord en minimisant les examens complémentaires parce qu’ensuite ce sont les patients qui paient ».
Des patients qui mentent pour se protéger
En cette période où l’attention est toute entière focalisée sur Ebola, poser un diagnostic n’est pas simple. D’autant que les symptômes de la fièvre hémorragique sont « banaux » pour l’Afrique, souligne François Kohler. Et qu’ « on ne se rend pas bien compte du manque de matériel », ajoute-il. Sans parler de l’attitude de certains patients qui mentent « pour se protéger », redoutant l’étiquette « Ebola » et la panique qui s’en suivrait. C’est pourtant ce qui est arrivé début octobre. Claude Briot raconte cette consultation ordinaire à première vue. « Les plaintes sont simples, une diarrhée qui dure un peu malgré les traitements pris depuis quelques jours, un peu de fièvre. » Les médecins décident de l’hospitaliser, le temps de faire des analyses et mettre en route un traitement antidiarrhéique. Ils notent toutefois un comportement inquiétant chez ce patient et son accompagnante. Surtout lorsque « celle-ci disparaît sans crier gare laissant le patient seul sur son matelas », précise Claude Briot. C’est alors que le jeune homme commence à nous révéler qu’il ne vient pas de Kankan », comme il l’avait affirmé à son arrivée, mais qu’il a séjourné une semaine à Macenta, localité « située dans la zone rouge d’Ebola ». « Très vite on comprend que ce patient devient très suspect et qu’il serait très prudent de l’isoler », atteste-il.
La fièvre et la diarrhée continuent en dépit des traitements et perfusions. Paludisme, SIDA, typhoïde, les résultats sont négatifs. L’équipe médicale demande alors l’évacuation du patient vers un centre de traitement d’Ebola. Pour l’instant, « nous n’avons aucun moyen de diagnostic biologique », regrette Claude Briot. C’est seulement « quand on pense qu’un patient est vraiment suspect qu’on l’envoie dans un centre de traitement doté d’un laboratoire ». En attendant l’ambulance, le garçon reste seul dans sa chambre. Les lieux sont désinfectés, ce qui panique les autres malades. À tel point qu’« à la vue des nettoyeurs en tenue de cosmonautes, deux patients en voie de guérison quittent rapidement leur chambre », raconte le généraliste.
Le lendemain, douze heures après son horaire initial de départ, l’ambulance quitte Kankan vers le centre de MSF. Pendant la nuit, le patient aura tout de même tenté de s’évader. Une initiative loin d’être isolée, comme en témoigne Claude Briot : « À 11 heures, on apprend qu’un des trois passagers s’est jeté hors de l’ambulance et s’est fracturé mortellement les cervicales ».
Aller au-delà des symptômes
Plus que jamais, l’interrogatoire joue un rôle décisif lors de l’examen clinique. Au fil de leurs questions, les médecins recoupent les informations données par le patient. Au-delà des symptômes, il s’agit de savoir si
[[asset:image:3756 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]le malade a côtoyé des personnes atteintes d’Ebola, s’il a voyagé dans une zone infectée… Et de déterminer s’il y a une suspicion d’Ebola. Mais aucune piste ne doit être écartée car, comme le note François Kolher, deux à trois personnes décèdent de méningite chaque jour à Kankan. Il regrette l’idée véhiculée selon laquelle Ebola est synonyme de mort certaine. « Pour Ebola, il n’y a pas de traitement, pas de vaccin, mais il y a beaucoup de maladies pour lesquelles il n’y a pas non plus de vaccin », souligne-t-il. À ses yeux, « Ebola a déstructuré le pays, j’ai l’impression que ça va faire plus de morts des suites d’autres affections car les gens ont désormais peur d’aller se faire soigner à l’hôpital ». Il regrette aussi que les soignants occidentaux aient oublié de prendre en compte des aspects anthropologiques : « Si vous savez que vous allez mourir mais qu’en plus votre âme ne sera pas sauvée, alors les patients n’ont aucune envie d’aller à l’hôpital ».
Mise en quarantaine volontaire
Après avoir approché le patient atteint d’Ebola – le cas fut confirmé –, Claude Briot et les autres soignants ont décidé « par prudence, et par mesure de précaution pour les autres malades, de se mettre en quarantaine pendant 21 jours ». Le généraliste a préféré rentrer en France pour s’isoler à la campagne. Direction d’abord Bamako en taxi-brousse avec contrôle de la température et lavage des mains de chaque côté de la frontière. Après une nouvelle prise de température à Bamako, il n’y a eu, en revanche, aucune procédure sanitaire à son arrivée à Roissy, seulement un contrôle de passeport. Fait étonnant « puisqu’il était annoncé dans les médias que tous les arrivants de Guinée seraient contrôlés », rappelle-t-il.
Surpris par cette réception « désinvolte », Claude Briot s’est alors mis au vert de lui-même, en Ardèche, pendant la période d’incubation du virus. C’est ainsi que tous les jours, matin et soir le médecin a pris sa température, « au début un peu inquiet, peu à peu rassuré et ce d’autant plus que mes collègues africains n’avaient pas non plus de température ».
Vingt-et-un jours après son retour, n’ayant jamais manifesté de signes de fièvre et tout risque de contamination écarté, le médecin est retourné à Kankan, vingt thermoflashs dans son sac. Jusqu’à présent, l’hôpital de Kankan ne disposait que de deux appareils de ce type, permettant une prise de température sans contact. Pour Claude Briot, une chose est sûre : dotés de ces thermomètres aux allures de revolvers futuristes, les médecins locaux ont les connaissances nécessaires pour diagnostiquer Ebola. «Pour ce travail fondamental, il n’est pas nécessaire d’avoir des médecins étrangers, les locaux sont formés, aguerris et, surtout, ils connaissent les subtilités et mentalités locales ».
Un défi quotidien
Avec l’arrivée d’Ebola, Les Enfants de l’Aïr ont pu mesurer les progrès réalisés par la population. François Charles note, malicieusement, que « les gens ont acquis le réflexe de se laver les mains. C’est satisfaisant de voir l’amélioration des conditions d’hygiène et la très grande motivation des professionnels sur ce plan. » « Rendre les choses possibles, imaginer des solutions » sur le terrain est un défi quotidien qui motive François Kolher. Il cite en exemple ce robinet mis en bas d’un seau, permettant de ne pas souiller l’eau en se lavant les mains lorsque la pompe à eau fait défaut. Quant à Claude Briot, il a prévu de rester deux semaines en France, début janvier. Avant de repartir au Népal, pour une autre mission humanitaire.
Vers un plan Maladies rénales ? Le think tank UC2m met en avant le dépistage précoce
La prescription d’antibiotiques en ville se stabilise
Le Parlement adopte une loi sur le repérage des troubles du neurodéveloppement
Chirurgie : les protocoles de lutte contre l’antibiorésistance restent mal appliqués, regrette l’Académie