Le don du sang guidé par le dosage de ferritine, une mesure efficace pour prévenir l’anémie

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Publié le 05/07/2024
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Chez les donneurs de sang réguliers, un dosage en ferritine pour guider les intervalles entre deux dons permet de réduire le risque de carence et d’anémie ferriprive. Une étude hollandaise recommande un délai de six à douze mois pour les patients déplétés, un protocole qui diffère un peu de celui mis en place par l’Établissement français du sang.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Pour l’ensemble des donneurs de sang, une nouvelle étude publiée dans le Lancet recommande de guider les intervalles entre deux dons à partir du dosage de ferritine. Les donneurs de sang réguliers sont sujets à un risque accru de déplétion de leurs réserves de fer, particulièrement les femmes non ménopausées.

L’étude néerlandaise recommande le protocole suivant : pour un niveau de ferritine compris entre 15 et 30 ng/ml, les donneurs réguliers sont ajournés pour six mois et seuls les primodonneurs sont autorisés à donner sous réserve de refaire un dosage la prochaine fois. Avec un taux inférieur à 15 ng/ml, les chercheurs recommandent douze mois d’attente pour toutes les personnes.

L’essai Find’EM a suivi, pendant 38 mois, plus de 400 000 donneurs, parmi lesquels 36 000 (qui ont réalisé près de 38 000 dons de sang) ayant suivi le protocole testé. Les premiers objectifs de l’étude étaient de quantifier les concentrations de ferritine et d’hémoglobine, la prévalence de carence en fer et les ajournements de don après dosage de l’hémoglobine, avant et après la mise en place de leur nouvelle politique de don.

De meilleures concentrations de ferritine et d’hémoglobine

Dans le groupe avec implémentation de dosages systématiques et d’éventuels ajournements pour le don, les chercheurs ont constaté une augmentation de la concentration moyenne en ferritine de +1,26 ng/ml chez les femmes en âge de procréer, de 1,48 ng/ml après la ménopause et de 1,51 ng/ml chez les hommes. La prévalence de la carence martiale a ainsi diminué de 51 et 76 % pour les femmes avant et après la ménopause, et de 76 % pour les hommes. Par conséquent, le taux moyen d’hémoglobine a lui aussi augmenté, de 0,12 et 0,16 g/dl pour les femmes avant et après la ménopause et de 0,30 g/dl chez les hommes, à 38 mois.

Même si cette nouvelle politique de don a augmenté la proportion totale d’ajournements, elle a permis de réduire de 79 % le nombre de reports de dons liés à une hémoglobine trop basse chez les hommes. Pour l’ensemble des femmes, la différence observée n’est pas significative dans le contexte de l’étude. Les chercheurs émettent l’hypothèse que cet impact limité a pour cause les dons habituellement moins nombreux et fréquents des femmes. Une autre possibilité serait que, du fait des menstruations, les femmes avant la ménopause ont toujours un surrisque de carence martiale même après un long intervalle. « Nous n’avions auparavant pas pris conscience qu'avec la surprotection des femmes, nous pouvions fragiliser les hommes. Nous faisons aujourd’hui preuve d’attention tout autant envers les hommes donneurs de sang », signale le Dr Pascal Morel.

La carence martiale : un problème de santé publique

Les inquiétudes sur le risque d’anémie post-don ne sont pas nouvelles. En France, l’Établissement français du sang (EFS) étudie ce sujet pour les patients à risque à travers les cohortes Ferridon (2019) et Upradon (commencée en 2022). « Ferridon nous a permis d’établir un premier constat : 29 % des donneurs sont carencés en fer. Cette proportion se retrouve chez les nouveaux donneurs : la carence martiale est répandue dans la population générale », alerte le Dr Morel. Et d’ajouter : « On se rend compte que la carence martiale a d’autres conséquences à long terme pour l’organisme : troubles immunitaires, atteintes neurologiques… Cela en fait un réel problème de santé publique dont les médecins doivent s’emparer ».

Le Dr Pascal Morel explique qu’il faut aussi prendre en compte le choix des valeurs seuils. Aujourd’hui, la carence martiale est établie pour un taux de ferritine en dessous de 15 ng/ml. Les neurologues définissent la limite à 50 ng/ml. Aux États-Unis, les médecins la fixent même à 100 ng/ml. Une étude canadienne publiée dans le Lancet Haematology considère les valeurs seuils fixées à moins de 30 ng/ml bien trop basses, surtout pour les femmes. De plus, Katja van den Hurk, épidémiologiste chez Sanquin (l’équivalent néerlandais de l’EFS) et coautrice de l’étude Find’EM, explique qu’au niveau international, la calibration des dosages de ferritine diffère entre les laboratoires : 15 ng/ml dans l’un peuvent correspondre à 20 ng/ml dans l’autre.

À travers le projet Upradon, l’EFS suit une démarche différente de l’étude Find’EM en ciblant les personnes à risque pour évaluer les mesures et, en fonction des résultats, les maintenir, les durcir ou les étendre au reste de la population si nécessaire. L’étude Ferridon de 2019 avait en effet permis de catégoriser les 29 % de donneurs en carence martiale en quatre classes à risque. Deux groupes concernent les donneuses récurrentes (dernier don à moins de 4,5 mois), l’un pour les femmes de moins de 31,5 ans avec une teneur corpusculaire moyenne en hémoglobine (TCMH) au dernier don d’au moins 30 pg/globule rouge ; l’autre pour les femmes avec une TCMH inférieure à 30 pg/globule rouge. Le 3e groupe à risque est constitué des nouvelles donneuses de moins de 29,5 ans avec un niveau d’hémoglobine pré-don inférieur à 13,7 g/dl. Le dernier groupe concerne les donneurs récurrents (au moins deux dons dans l’année précédente) avec : un dernier don à moins de 3,5 mois et une TCMH inférieure à 29,5 pg/globule rouge ou un dernier don antérieur et une TCMH inférieure à 27,4 pg/globule rouge. Après avoir réalisé une simulation pour définir des règles de suivi adaptées à chacun des groupes, le protocole a été mis en œuvre en conditions réelles. Le bilan permettra de voir si les mesures prises sont suffisamment proportionnées.

Des critères plus stricts : quel impact sur les réserves de sang ?

S’il est primordial de préserver la santé des donneurs, une telle politique de don n’est pas sans conséquences. Dans l’étude Find’EM, à 36 mois après implémentation des nouvelles règles, les hommes étaient à 42 % moins susceptibles de revenir faire un don. Pour Katja van den Hurk, « une explication pourrait être due à l’information des donneurs qui ne réalisaient pas auparavant le risque de carence d’un don de sang ». Bien que Sanquin ait réussi à maintenir l’approvisionnement en poches de sang, cela a nécessité de redoubler d’effort pour compenser l’indisponibilité augmentée des donneurs : intensification des stratégies de recrutement et de rétention des personnes.

Quand la période d'ajournement est trop longue, on décourage les donneurs de revenir

Dr Pascal Morel, Personne responsable des PSL à l’EFS

« En dehors de l’intérêt pour la santé des donneurs, nous nous étions initialement intéressés à la ferritine pour éviter le fort taux de déperdition lorsqu’ils se retrouvent en anémie, explique le Dr Morel. Le taux de perte de donneurs lié aux complications au don est de l’ordre de 20 %. » Ici, l’étude suggère que le dosage en ferritine ne permet pas d’éviter la perte de donneurs. Restent à analyser les résultats d’Upradon sur ce sujet, l’EFS étant moins strict dans ses mesures. « Nous avons décidé de retenir un intervalle de six mois plutôt que douze car, quand la période d'ajournement est trop longue, cela décourage les donneurs de revenir ». Si Upradon conclut à un besoin d’intervalles de plus longs, il sera alors nécessaire de trouver et de mettre en œuvre de nouvelles stratégies de recrutement et de fidélisation des donneurs. Le bilan de l’EFS sur Upradon et la mise en œuvre du dosage de ferritine systématique chez les personnes à risque de carence en fer devrait être établi fin 2024.


Source : lequotidiendumedecin.fr