Pr Thibaud Damy, coordinateur du Centre de référence national des amyloses cardiaques

Amylose : « on est en train de découvrir une nouvelle maladie finalement pas si rare »

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Publié le 26/10/2021
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Le 26 octobre 2021 se tenait la toute première Journée mondiale de l’amylose. Classiquement présentée comme une maladie rare, cette pathologie pourrait en fait s’avérer assez fréquente et nécessiter un dépistage plus systématique. Le point avec le Pr Thibaud Damy, cardiologue et coordinateur du Centre de référence national des amyloses cardiaques et du Réseau amylose Mondor (Créteil).

Pr Thibaud Damy, cardiologue et coordinateur du Centre de Référence National des Amyloses Cardiaques et du Réseau Amylose Mondor (Créteil)

Pr Thibaud Damy, cardiologue et coordinateur du Centre de Référence National des Amyloses Cardiaques et du Réseau Amylose Mondor (Créteil)
Crédit photo : DR Thibaud Damy

Qu’est-ce que l’amylose ?

Pr Thibaud Damy : L’amylose se développe lorsque les protéines de l’organisme changent de conformation et deviennent fibrillaires. Or ces fibrilles, qui peuvent infiltrer les tissus et les espaces intercellulaires selon un processus exponentiel, sont très organisées et stables : elles rigidifient les organes, normalement contractiles et souples.

Au total, 36 protéines présentent cette capacité à se transformer en fibrilles et donc à provoquer divers types d’atteinte, dont les plus invalidants sont neurologiques et cardiaques. Mais seuls deux types de protéines sont impliqués dans trois formes majoritaires d’amyloses cardiaques.

D’abord, la transthyrétine peut être à l’origine de formes héréditaires d’amylose, dont les plus connues sont retrouvées surtout chez des individus d’origine portugaise ou afro-caribéenne. En effet, 120 mutations sont susceptibles d’induire un changement de conformation de ce transporteur des hormones thyroïdiennes et du rétinol.

Depuis une dizaine d’années, on s’aperçoit qu’il existe également une amylose à transthyrétine sauvage, dite amylose systémique sénile. Celle-ci atteint préférentiellement le cœur des sujets âgés – avec une insuffisance cardiaque – mais débute des années auparavant par des atteintes des téguments, c’est-à-dire des tendons.

Enfin, il existe des amyloses dites à chaînes légères libres (amyloses AL), où ce sont ces parties des anticorps produites en excès qui se transforment en fibrilles. Il s’agit d’une maladie d’origine hématologique, qui se développe surtout chez des sujets âgés à partir d’une gammapathie, le plus souvent non cliniquement significative.

Pourquoi militez-vous pour améliorer le diagnostic de cette maladie ?

Pr T. D. : D’abord parce que l’amylose est une maladie grave. L’amylose AL est une urgence thérapeutique au pronostic très mauvais en cas d’atteinte cardiaque. De même, les sujets souffrant d’une amylose à transthyrétine sauvage dite sénile non traitée présentent une survie médiane de 3 ans, qui peut être encore réduite par les traitements classiques de l’insuffisance cardiaque comme les bêtabloquants.

Or des traitements sont disponibles, à l’instar de la chimiothérapie pour l’amylose à chaînes légères, et surtout du tafamidis pour l’amylose à transthyrétine. En effet, ce médicament est capable de ralentir la progression de la maladie et ainsi d’améliorer la survie de 30 %. Sont par ailleurs en développement des ARN interférents (siARN), des ciseaux moléculaires (CRISPR-Cas9) ou des anticorps monoclonaux anti-amyloïdes proches de ceux expérimentés contre Alzheimer.

De plus, certaines formes d’amylose s’avèrent assez fréquentes. Certes, seuls 500 nouveaux cas d’amylose à chaînes légères avec atteintes cardiaques sont recensés chaque année en France, et moins de 4 000 personnes dans le monde sont concernées par l’amylose génétique portugaise. Cependant, on estime que 13 % des cas d’insuffisance cardiaque à fraction d'éjection ventriculaire gauche (FEVG) préservée enregistrés en France ((seraient?)) liés à une amylose à transthyrétine sénile.

Faut-il suspecter une amylose devant toute insuffisance cardiaque ?

Pr T. D. : Oui, même si beaucoup de patients sont concernés, il faut adresser vers un cardiologue devant tout signe d’insuffisance cardiaque. Surtout survenant chez un sujet présentant une macroglossie, des ecchymoses périorbitaires, une atteinte cutanée, une insuffisance rénale, un amaigrissement, le tout évoluant rapidement : il peut s’agit d’une amylose AL.

Des symptômes d’insuffisance cardiaque accompagnés d’antécédents de syndrome du canal carpien, d’un doigt à ressaut, d’une rupture du long biceps ou de la coiffe des rotateurs doivent aussi alerter : cela peut signer une amylose à transthyrétine. Red flag un peu plus spécifique de la maladie : une aggravation sous bêta bloquants.

Il y a une dizaine d’années, mes confrères cardiologues me prenaient pour un fou lorsque je recommandais de rechercher une amylose chez tous ces patients insuffisants cardiaques ou avec épaississement du myocarde. J’ai moi-même dû remettre en cause mes pratiques lorsqu’une neurologue est arrivée à l’hôpital avec des malades portugais atteints d’amylose héréditaire : je me suis rendu compte qu’à l’échographie, plusieurs dizaines de mes propres patients présentaient les mêmes lésions qu’eux. On est vraiment en train, depuis 2010, de découvrir une nouvelle pathologie en fait assez répandue. 

Propos recueillis par Irène Lacamp

Source : lequotidiendumedecin.fr