Sur l’écran, de gentils monstres colorés, cyclopes plongés dans un univers tropical, s’animent en musique. De l’autre côté de la tablette, un enfant répète les sons, chante et danse au rythme de ses personnages préférés. S’il ressemble à s’y méprendre à n’importe quel jeu vidéo, Mila est un dispositif conçu spécialement pour les enfants atteints de troubles spécifiques d’apprentissage et du langage (TSAL). Autrefois appelés « dys », les TSAL qui regroupent dyslexie, dyspraxie ou encore dysgraphie, touchent près de 7 millions de personnes en France – dont 2 millions d'enfants de moins de 14 ans.
Créée en 2018 par une équipe composée de musiciens et de spécialistes de l’intelligence artificielle, associés à des neurologues, Mila est un serious game qui utilise le rythme pour stimuler les capacités de lecture, d’attention ou d’analyse visuo-spatiale. La start-up a su capitaliser sur le premier confinement pour tester sa solution en vie réelle. « Pendant cette période marquée par une difficulté d'accès au soins, nous avons proposé le jeu à 6 000 enfants dys, en partenariat avec la Pitié-Salpétrière », se souvient François Vonthron, cofondateur de Mila.
Et ce crash test à grande échelle a été prometteur quant à l’appropriation du dispositif : « les enfants y jouaient trois à quatre fois par semaine pendant 25 minutes », souligne-t-il. Fort de ces résultats préliminaires, Mila a lancé un essai clinique de phase III auprès de 160 enfants, validé par l'Agence du médicament. Les conclusions sont attendues à la mi-2022, pour l'obtention éventuelle d'un statut de dispositif médical.
Stimulation rythmique
Depuis 30 ans, de nombreux travaux s’emploient à montrer l’apport de la rééducation musicale sur les TSAL. En 2015, un protocole de stimulation rythmique avait été mis au point par le Dr Michel Habib, neurologue à Marseille. D’abord à destination des orthophonistes, « ce programme a ensuite été adapté pour que nous l’intégrions à Mila », détaille François Vonthron, passionné de musique et polytechnicien.
En pratique, derrière sa tablette, le petit joueur sera guidé par un personnage qui lui fera répéter des phonèmes, souvent ardus pour les dyslexiques : « ba », « pa », « bam ». « Le jeu va chercher à resynchroniser la phonologie, en regardant si l’enfant fait le bon son au bon moment, la bonne prononciation », explique François Vonthron. Un apprentissage ludique qui mobilise les mouvements, la lecture mais aussi la mémoire. « L’une des hypothèses est que l’entraînement rythmique aiderait à la discrimination sonore, mais aussi à la précision du geste, ou encore la notion de temps », détaille le fondateur de Mila. Autant de compétences nécessaires à l’apprentissage du langage.
Si Mila n’entend pas remplacer la prise en charge pluridisciplinaire des enfants dys, jalonnée de consultations chez les orthophonistes ou les psychomotriciens, elle se place comme une solution de relais à domicile, entre deux séances. « C’est un apport complémentaire, confirme Lætitia Branciard, vice-présidente de la Fédération française des Dys, qui soutient la start-up. Mais c’est aussi une réponse au manque crucial d’orthophonistes sur le territoire ». Le 18 octobre dernier, à l’occasion du lancement de la stratégie d’accélération « santé numérique », Mila a été lauréate de l’appel à manifestation d’intérêt opéré par le gouvernement. Le serious game intègre les projets prioritaires du numérique en santé et bénéficiera de cofinancement pour ses essais cliniques.
Améliorer l'estime de soi
Mimer des jeux vidéo pour accompagner les patients dys n’a certes rien de nouveau. « Dans notre fédération nous sommes sollicités constamment par des marchands du temple qui souhaitent proposer n’importe quel outil », souligne Lætitia Branciard. Mais l’aspect ludique reste crucial dans ces programmes de rééducation. « Les enfants sont face à des quêtes plus importantes que de simples exercices de lecture par exemple, qui les mettent souvent en situation d’échec », ajoute-t-elle. Car au-delà d’améliorer les facultés cognitives, ces serious game dopent la confiance en soi, indispensable pour éviter l’échec scolaire et la stigmatisation que subissent ces jeunes.
Du côté de Poitiers, Éric Lambert, amateur de jeu vidéo et professeur en psychologie au centre de recherches sur la cognition et l’apprentissage, tente lui aussi de mettre le jeu au service de la prise en charge des TSAL. Depuis trois ans, le chercheur œuvre au développement de « DysApp » et au jeu « Les six saisons de Brume ». Cette fois, tous les enfants peuvent découvrir cette activité initiatique, dès la classe de CE2. « Le jeu va permettre à la fois de repérer les enfants qui ont ces troubles, mais aussi de les accompagner notamment grâce aux entraînements rythmiques », souligne le Pr Éric Lambert. Trois mini-épreuves sont proposées aux aventuriers : un jeu de planification vidéo spatiale « type angry birds, pour apprendre à lâcher un objet au bon moment », un jeu de coordination motrice – avec une cible à atteindre – et « une épreuve de suivi des tempos rythmiques ». Cet outil, qui sera prochainement déployé à grande échelle dans les classes poitevines, permettrait d’améliorer « les troubles de la coordination motrice et de la motricité fine, qui touchent les enfants dyspraxiques », précise Éric Lambert.
54 % des médecins femmes ont été victimes de violences sexistes et sexuelles, selon une enquête de l’Ordre
Installation : quand un cabinet éphémère séduit les jeunes praticiens
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols
Le texte sur la fin de vie examiné à l'Assemblée à partir de fin janvier