Agnès Firmin-Le Bodo : « Trouver le juste équilibre entre ce que la science peut et ce que la société veut ».

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Publié le 23/09/2019
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La députée UDI de Seine-Maritime est la présidente de la Commission spéciale de l'Assemblée nationale, chargée de la loi de bioéthique. Elle a orchestré depuis le 27 août l'audition par les 72 députés de cette commission, des acteurs concernés, puis l'examen du projet du gouvernement.

Crédit photo : DR

Quel regard posez-vous sur ces trois premières semaines de travail sur le projet de loi relatif à la bioéthique ?

Nous avons eu des débats riches et intéressants, dans un climat respectueux des idées de chacun. Toutes les auditions ont été d’un très haut niveau. Lors de la discussion du texte, je retiens deux temps forts : les débats sur l’AMP post-mortem et ceux sur le DPI, où l’émotion a pu prendre le dessus sur le rôle de parlementaire.

Philippe Berta a proposé d'ouvrir le diagnostic préimplantatoire (DPI) à la recherche des aneuploïdies. Le risque est d'éliminer les trisomies 21. Il serait aussi très douloureux pour un couple qui peine à avoir un enfant de devoir faire un choix en amont de l'implantation d'un embryon. C'est un débat de société difficile. Notre position de législateur nous oblige à penser l'avenir : permettre un tri des embryons pourrait rendre plus franchissable la barrière qui nous sépare de l'eugénisme. 

Certaines voix (l'église, mais aussi certains généticiens) dénoncent l'absence de prise en compte de leur position dans la loi, malgré deux années de consultation citoyenne…

Les débats ont eu lieu. Nous avons écouté les religieux, les scientifiques. Ce n’est pas parce que nous nous prononçons autrement qu’il n’y a pas eu d’écoute ni de travail. La bioéthique consiste à trouver le juste équilibre entre ce que la science peut, et ce que la société peut et veut accepter en 2020. Et l’équilibre devra être partagé par la majorité d’entre nous.

Le principe de la loi consiste à poser des limites : pour l’instant, nous avons exclu l’AMP post-mortem, la ROPA (technique de réception d’ovules de la partenaire), l’extension du DPI au diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies (DPI-A)…

Quels sujets, ne figurant pas initialement dans le projet de loi, pourraient être introduits à la faveur de l'examen dans l'hémicycle ?

L'information sur la fertilité doit-elle figurer dans une loi de bioéthique ? Nous pouvons nous interroger, mais nous avons travaillé à la rédaction d'un amendement prévoyant une information et un plan de formation sur la fertilité et l'infertilité, en lien notamment avec la santé environnementale, car nous avons tous convenu de l'importance de ces questions. 

Nous avons également longuement débattu de la situation des intersexes et des transgenres [une dizaine d’amendements visaient à interdire, chez des enfants présentant à la naissance une ambiguïté sexuelle, des opérations vécues comme des mutilations, NDLR]. Malgré les réserves des ministres sur l’inscription de ce sujet dans une loi de bioéthique, nous allons essayer de prendre acte dans la loi de l’existence d’un « sujet ».

En faisant tomber l'indication médicale comme condition de l'accès à l'AMP, cette révision des lois de bioéthique change-t-elle le rôle de la médecine ?

Non, c’est l’inverse : ce sont la science et la médecine qui nous amènent à nous interroger et à savoir où il convient de s’arrêter. Par ailleurs, le critère médical de la stérilité n’est pas un argument solide : beaucoup de couples ont pu bénéficier d’une AMP pour un premier enfant tandis qu’un second enfant est venu sans assistance médicale.

Comment appréhendez-vous les débats en séance publique ?

Notre intérêt est de pouvoir débattre en toute sérénité. Malheureusement, nous savons que pour certains, l’hémicycle est une tribune médiatique. Il serait aussi dommage de circonscrire la loi de bioéthique au sujet de l’AMP. Il est vrai que son extension à toutes les femmes change notre société, en introduisant une façon différente de fonder une famille. Mais cette troisième révision va bien au-delà. 

Si je n’ai pas souhaité déposer d’amendement en commission pour jouer le rôle de modérateur, j’entends défendre ce projet dans l’hémicycle. Mais en gardant la ligne que je me suis fixée : pas d’excès. Nous devons débattre sans outrance, les mots ont un sens qui peut blesser.

Propos recueillis par Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin