Le point de vue du Pr Christian Flavigny*

Enjeux risqués de la PMA pour toutes

Publié le 14/12/2017
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Finalement tout est affaire de critères. Il suffit que la réflexion collective sur l'ouverture de la PMA aux femmes seules ou vivant en union de même sexe pose le problème de manière réductrice, pour aisément conclure qu’il n’en résulterait aucun dommage pour l'enfant ; ainsi invoquer que l'entourage élargi permettra à l'enfant d'établir les repères de la relation entre les sexes, que la bonne éducation est autant garantie voire mieux, par une femme seule ou deux femmes ensemble qui s'entendent plutôt que par un père et une mère qui se disputent, que des études psychologiques, malgré leur manque de recul, hâtivement concluent que les enfants nés sans père ne vont pas si mal que cela. Tout cela abonderait la thèse que ces femmes, à la raison qu’elles soient seules ou vivant en union de même sexe, seraient discriminées à l’égard de leur vœu d’être mères. Ce serait dès lors une faute morale de notre vie sociale, justifiant de les considérer frappées d’“infertilité sociale”, débouchant sur la décision d’ouvrir la PMA à des indications ne relevant pas du soin médical de la fertilité.

Cette approximation du débat avait déjà validé l’ouverture de “l’adoption pour tous” ; sur le sujet spécifique de la “PMA pour toutes”, s’y surajoute le discrédit frappant actuellement la personne du père, puisqu'il s'agit d'un homme donc soupçonné d’être brutal, perturbateur de l'harmonie du lien mère-enfant quand pire encore il ne lui fait pas violence. Si bien que la carence de père serait aujourd'hui presque une chance pour la famille.

Fonctions maternelle et paternelle se complètent

Or c’est éluder l’essentiel : l’enjeu de la filiation qui fonde l’éveil psychique de l’enfant. Car une personne seule ou deux en union de même sexe n’inscrivent pas l’enfantement dans leur relation ; or il est le socle psychologique de l’identité de l’enfant, le faisant leur fils ou leur fille à la croisée des deux fonctions parentales, paternelle et maternelle, et comme leur résultante. Ces fonctions sont au plan psychologique ce que la complémentarité gonadique l’est au plan organique : leur différenciation et leur rencontre répondent d’un équilibre nécessaire à l’enfant. La fonction maternelle est porteuse d'une intériorité d’où éclôt la vie affective de l'enfant, créant la familiarité et le sentiment d’évidence d’être au monde ; celle paternelle soutient l’ouverture possible de l’enfant à l'extériorité familiale et sociale, apprivoisant l’extérieur au début ressenti comme étrange voire menaçant. Ces deux fonctions se complètent, interdépendantes : le lien maternel établit la relation de l'enfant à lui-même mais au risque de l'étouffer si ne l’en dégage pas le registre paternel, tout autant le lien paternel porte la découverte d'un monde extérieur pour l'enfant à la condition que son monde intérieur ait été porté dans une intimité affective dont seul le maternel a la capacité. La différence qui en résulte dans le lien d’amour parental porte le développement de l’enfant dans l’oscillation entre l’amour maternel par nature inconditionnel, et l’amour paternel par nature conditionnel ; deux facettes du lien d’amour filial indispensables pour épanouir la personnalité de l’enfant, la première, socle d’une confiance en soi, la seconde d’une exigence à se donner pour grandir et s’insérer dans la vie de la société, deux facettes à la complémentarité décisive, dès l’enfance et de façon plus tangible encore au moment de l’adolescence.

Ces fonctions ne peuvent-elles être exercées par deux personnes de même sexe ? Au niveau superficiel (nourrir l’enfant, l’éduquer), certes oui. Mais au niveau psychologique, non. Car ces fonctions sont d’ordre symbolique, c'est-à-dire qu'elles émanent pour chacun des parents d’une transmission depuis leur relation passée à leurs parents propres, rédimant la dette à leur égard : l'homme ne devient père que depuis la relation à son propre père et en une forme d'hommage à celui-ci, même marquée de désaccords voire de conflits ; de même la femme pour la maternité. La paternité est pour chaque homme un héritage psychique et symbolique depuis une lignée des pères en laquelle sa paternité propre l'inscrira : cet ancrage généalogique lui fait appui pour vivre la relation d'incomplétude qui entre les sexes porte la procréation, et comme régulateur de la relation à son enfant. Sans doute chaque homme incarne-t-il la fonction paternelle à sa manière, sans doute imparfaite ; elle n’en fait pas moins une référence et un appui pour l’enfant, un tuteur pour lui permettre de grandir, en complément de la fonction maternelle. Une femme peut être aidée pour éduquer l’enfant, notamment par une compagne de même sexe, en un rôle compensateur de la privation de père, mais au strict plan de la vie quotidienne de l’enfant.

Un enjeu d'une réelle gravité

L’union de deux femmes ne porte la fonction paternelle qu’à faux ; leur relation ne porte pas l’enfantement ; toutefois c’est là une affaire de leur vie privée. Mais que la loi légalise la privation de père faite à l’enfant, en validant un accès de droit à la PMA pour toutes, c’est là l’enjeu d’une réelle gravité : il s’agirait d’une falsification des fondements même du lien filiatif, donc identitaire pour l’enfant. Cela piégerait le principe de ce lien, privant l’enfant de son socle (la relation d’enfantement d’où émane sa raison d’être) et de la cohérence de sa venue au monde à la croisée des fonctions paternelle et maternelle. Cela pervertirait, non seulement la filiation de cet enfant, brouillant l’établissement de sa vie psychique, mais celle de tous les enfants, privés du repère anthropologique qui les établit dans la succession symbolique des générations.

L’argument prétendant qu’un tel point de vue est retardataire, d’autres sociétés ayant légalisé la PMA pour toutes, méconnaît l’enjeu culturel ; outre que certaines cultures récusent le principe même de l’Aide Médicale à la Procréation et de l’adoption pour quiconque (ainsi les pays de droit musulman), d’autres certes ont légalisé la PMA pour toutes et aussi dans ce fil la GPA pour tous ; ainsi les pays anglo-saxons. Mais leurs principes filiatifs sont autres, notamment axés sur la référence multi-religieuse à dominante juive et protestante (alors que la France fonde sa culture sur le principe de laïcité), et ne considérant pas les principes d’anonymat et de gratuité qui sont les pivots de l’AMP en France. Importer ces manières serait lourd d’une déstabilisation pour la famille et pour la société françaises, déjà suscitée par la loi sur « le mariage et l’adoption pour tous » ; ce serait une concession de plus au communautarisme qui mine le tissu social. Sans compter la mutation symbolique majeure d’ouvrir une pratique médicale hors un contexte de s

* Responsable du département de psychanalyse de l'enfant et de l'adolescent à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris)

Source : Le Quotidien du médecin: 9627