AU CŒUR de la grisaille d’Henri Mondor (AP-HP) à Créteil se dresse la tente gonflable de MSF. La dureté des bâtiments de l’hôpital contraste avec la toile blanche. Haute technologie contre médecine de brousse ? La technicité n’est pas moindre dans la structure humanitaire. Un camion semi-remorque abrite des urgences, un laboratoire avec des outils diagnostics (tests rapides, imagerie médicale...), une pharmacie avec des kits de vaccination ou de nutrition, et un bloc opératoire. Pour finir de convaincre le personnel hospitalier, des bénévoles de MSF se relaient pour présenter l’arsenal d’intervention, les protocoles utilisés et les guides pratiques.
La médecine humanitaire a changé et la stratégie de MSF en est l’exemple le plus parlant. Les French doctors et leur halo d’amateurisme n’ont plus leurs entrées. À 40 ans passés, MSF se tourne résolument vers l’hôpital. « Nous intervenons dans une quarantaine d’hôpitaux dans le monde, que ce soit dans un service ponctuel (pédiatrie, chirurgie) ou dans tout l’hôpital, dans une structure privée ou publique : cela représente 50 % de notre volume opérationnel » explique la présidente Marie-Pierre Allié, lors d’une conférence dans un amphithéâtre captivé de la faculté de médecine de Créteil.
Soins secondaires.
L’évolution de la géopolitique n’y est pas pour rien. Élaboré dans les camps de réfugiés au tournant des années 1970-80, le savoir-faire de MSF s’est déporté vers d’autres champs où il faut compter avec les politiques locales - ce qui exclut toute improvisation. En « urgence », MSF assure, certes, une prise en charge des victimes, mais s’inquiète surtout de l’état de santé de la population générale. « Un tremblement de terre ne fait pas de blessés », lance, provocateur, Rony Brauman, ancien président de MSF et directeur de recherche au centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires (CRASH). L’intervention à Haïti en 2010 a essentiellement consisté à endiguer les épidémies de choléra, en vaccinant 160 000 patients.
Les situations chroniques, conflits endémiques, épidémies (VIH, tuberculose, paludisme...), malnutrition, deviennent le noyau dur des missions de MSF. « C’est plus complexe : nous devons négocier avec les hôpitaux, les ministères de la santé, et le gouvernement », souligne Marie-Pierre Allié. Les enjeux sont subtils : comment accéder aux antirétroviraux de 2e ligne, encore trop chers ? Comment développer des systèmes de formation du personnel hospitalier local ? Comment rendre plus performante l’organisation des hôpitaux sur le terrain ?
MSF voit loin au-delà de l’urgence. « Nous voudrions mettre en place un hôpital sur une longue durée, pour les soins secondaires : nous pourrions aussi y développer nos compétences opérationnelles de gestion, former du personnel », envisage Marie-Pierre Allié. À terme, MSF sera-il amené à prendre en charge des pathologies cardio-vasculaires ou chroniques, des cancers, des soins palliatifs ? Rien est exclu. « On se pose des questions », répond la Présidente. MSF a indéniablement gagné en professionnalisme. Mais leur action reste conditionnée à l’accord des pays, gage de non-ingérence. « En Syrie, le régime n’a même pas permis un contact : on ne peut que supporter de loin les médecins qui ont développé les filières parallèles aux hôpitaux » reconnaît Marie-Pierre Allié.
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