ON ENTEND d’abord dans la voix des médecins retraités inscrits sur les listes de l’EPRUS la volonté de mettre leurs compétences au service de la société. « Sans utiliser de grands mots, je me suis porté volontaire par devoir de solidarité, pour retrouver l’ambition humaniste qui m’animait quand j’ai choisi ce métier », confie Gérard Bleichner, ancien réanimateur et urgentiste, à la retraite depuis la fin de l’année 2007. « J’avais déjà participé avec l’EPRUS à la campagne de vaccination contre la grippe l’an passé, j’ai encore envie d’être utile », témoigne Patrick Suchet, retraité depuis quatre ans après une carrière de médecin généraliste, puis de médecin-conseil à la Mutualité sociale agricole (MSA) de Saint-Étienne.
L’un comme l’autre ont répondu de bon cœur à la campagne de l’EPRUS pour prêter main-forte aux travailleurs sociaux et intégrer les maraudes lors du plan grand froid. Un dispositif inédit, mis en place depuis le 1er février, dans une douzaine de grandes villes. « Notre réserve fournit des médecins selon un quota par ville, décidé par le gouvernement. En tout, 36 postes de médecins ont été ouverts, dont neuf en Ile-de-France. Nous avons donc sollicité près de 200 retraités, afin de ne pas perturber les services », explique le directeur général de l’EPRUS, Thierry Coudert. Leur rôle : « Constituer l’élément médical des maraudes afin de détecter les problèmes qui pourraient mettre en danger la vie des sans-abri, et les convaincre de se rendre en établissement ou les hospitaliser », précise-t-il.
Au chevet des invisibles.
Sur le terrain, l’initiative séduit médecins et travailleurs sociaux. Patrick Suchet en est à sa 4e maraude avec trois travailleurs sociaux de l’association Alynéa dans le centre-ville de Lyon et en banlieue. De 17 à 24 heures, l’équipe tente de convaincre les sans-domicile fixe de s’abriter dans des foyers ou des gymnases. En tant que médecin, le Dr Suchet soigne « au coup par coup, des choses simples ». Les pathologies sont souvent anciennes : infections cutanées causées par les parasites, bronchites, asthmes, problèmes psychiatriques. Gérard Bleichner, qui a tourné huit nuits avec le Samusocial 92 autour de Nanterre, rajoute les soins dentaires ou tout simplement les maux de tête. « Curieusement, je n’ai pas observé beaucoup de pathologies du froid. On apporte des réponses primaires à des douleurs diffuses », résume-t-il.
Parfois, le pronostic vital est en jeu. « Nous avons hospitalisé des personnes en danger à deux reprises, dont une jeune femme qui souffrait atrocement de ménométrorragie », relate Patrick Suchet. Au-delà des objectifs affichés, le dispositif permet surtout qu’un regard de médecin se pose sur des personnes en très grande précarité, extrêmement désocialisées. « C’est important d’être présent dans la rue, on donne des conseils, on bavarde, on parle de problèmes de santé », raconte Gérard Bleichner. « En tant que médecin, je suis perçu différemment, les personnes disent d’abord qu’elles n’ont besoin de rien, puis semblent contentes de voir un médecin. Elles peuvent en voir le jour dans certaines structures, mais les plus précaires n’y ont pas recours », corrobore Patrick Suchet.
Dans ces maraudes, la collaboration avec les travailleurs sociaux est primordiale. « Ils sont très précieux pour briser les barrières : les sans-abri parfois ne parlent pas, n’énoncent pas leurs symptômes », souligne le Dr Suchet, qui reconnaît n’avoir jamais vu en consultation cette population. Les travailleurs sociaux trouvent aussi leur compte. « Nous n’avons aucun soignant dans nos équipes. C’est bien qu’un médecin aille vers les très désocialisés, les invisibles, d’autant plus que dans les Hauts-de-Seine, nous n’avons presque rien pour les réorienter vers des médecins », juge Jérémy Duboudin, psychologue en équipe de jour depuis sept ans au Samusocial 92, où a officié le Dr Bleichner. L’action des travailleurs sociaux en est facilitée : « Avec les réservistes, nous ne sommes pas obligés de faire systématiquement appel aux urgences, qui se déplacent parfois pour presque rien », développe le psychologue. Il salue aussi une certaine « naïveté constructive » de la part de ces médecins, qui suscite le débat dans des équipes formées sur le terrain.
Une hypocrisie sociale.
L’intégration des médecins retraités réservistes prendra fin d’ici quelques jours avec la levée du plan Grand froid. « Dommage », expriment plus ou moins explicitement les professionnels. « Cela relève de l’hypocrisie collective : on se mobilise deux semaines en hiver, mais plus après », s’emporte Jérémy Duboudin. « Ça prend du temps de tisser des liens pérennes avec la population des sans-abri en grande clochardisation », explique-t-il. Et de souligner que l’été, les structures d’urgence ferment. Le centre d’hébergement de Nanterre diminue ainsi son nombre de lits de 270 en période de grand froid, à 220 l’été.
Du point de vue médical, le Dr Gérard Bleichner déplore l’absence d’un travail de fond spécialisé. « C’est une médecine très particulière, une nuit ne suffit pas, il faudrait un service continu composé de gens formés, ainsi qu’un fichier médical avec les coordonnées des médecins qui ont déjà traité les personnes » estime l’ancien urgentiste. L’EPRUS ne voit aucune objection à se mobiliser l’été. Mais sur décision du gouvernement. « Nous sommes un instrument des pouvoirs publics, une réserve mobilisable selon les besoins déterminés », rappelle le directeur général Thierry Coudert.
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