Le point de vue du Pr Guy Vallancien*

2071 sera soit un progrès dans la prise en charge du patient, soit un enfer pour techniciens du soin aigris.

Publié le 19/02/2021
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« J’espère que la jeune génération s’embarquera dans cette quête d’humanisme médical qui tend à s’estomper. » L'ancien chef de service d'Urologie de l'Institut Mutualiste Montsouris estime que la révolution technologique à l'œuvre doit absolument s'accompagner d'une remise en cause des modes d'exercice pour rendre au médecin sa vraie place.

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Je voudrais saluer les 50 ans du « Quotidien », une très belle aventure au service de notre profession. Mais se porter à 2071 m’amène à évoquer sans détour la dégradation d’une forme de médecine humaniste en voie de disparation. Sans vouloir jouer les grincheux qui ressassent en permanence que « c’était mieux avant », j’observe les signes inquiétants d’une dérive consumériste, d’une technicisation à outrance et d’une perte de relation entre celles et ceux qui souffrent dans leurs corps et leurs esprits et les médecins qui les soignent.

Le monde de confiance s’estompe jour après jour. Le malade devient l’usager, le médecin devient le prestataire et l’urologue que je suis le plombier ! L’avocat rôde à la recherche de la moindre erreur et l’administration m’inonde de paperasses illisibles. La protection règne en maître figeant les initiatives les plus audacieuses, c’est-à-dire celles qui transforment le monde vers un mieux-être que nous appelons tous de nos vœux.

Univers devenu insupportable qu’il importe de combattre sans relâche en réagissant tout de suite et très fortement à ces emprises vicieuses qui sapent le rapport entre le médecin et le patient. L’émergence de la computation dans la relation médecin malade vient aggraver la perte de confiance, le manque de dialogue augmentant parallèlement à l’usage des écrans sensés tout montrer pour tout régler.

Ayant plongé il y a 25 ans dans le développement de la robotique chirurgicale, j’entrevois l’aide immense que l’intelligence artificielle nous apporte tant sur le plan de la prévention, du diagnostic, du choix de l’indication thérapeutique, de la réalisation même du traitement et de son suivi. Calculateurs, algorithmes et objets connectés seront de plus en plus présents pour nous guider dans nos choix, évitant d’autant des erreurs préjudiciables aux malades.

Les combats d'arrière-garde sont sans issue

Nous exercerons en osmose avec les infirmiers dont le rôle diagnostique et thérapeutique sera renforcé au sein d’équipes multidisciplinaires incluant les différents professionnels dont notamment les pharmaciens. La guéguerre rétrograde des syndicats à refuser le transfert d’acte est perdue d’avance. La défense du paiement à l’acte n’a plus de sens dans une médecine socialisée et les trémolos dans la voix à vouloir maintenir le bon docteur sur son piédestal sont des combats sans issue.

Mieux vaut, dès maintenant, réfléchir aux modes innovants de financement de ce que nous ferons en 2071, à savoir répondre dans le temps long d’une consultation approfondie aux angoisses du malade qui se confie à nous, le suivre dans sa détresse et sa réhabilitation ou sa disparation, avec la compassion indispensable à laquelle les études de médecine actuelles ne préparent pas les carabins dont les yeux restent figés sur leurs smartphones.

Mutation profonde de notre mode d‘agir à laquelle nous allons être confrontés, sachant que tout retard lié à des corporatismes désuets édulcorera le résultat final. Prenons conscience que traîner la patte en maintenant des modes de pratiques obsolètes nous entraînera vers le fond jusqu’à nous transformer en simple technicien du soin, en dépanneur de tuyaux bouchés.

J’espère que la jeune génération s’embarquera dans cette quête d’humanisme médical qui tend à s’estomper. Je souhaite que les métiers du soin collaborent activement dans un partage des tâches qui serve d’abord les patients. Plus les instruments et les calculateurs nous aideront à agir, plus le temps de la relation humaine fera la différence entre le médecin et celle ou celui qui se contentera d’appuyer sur des boutons en visionnant des écrans. Des pans entiers de certains métiers médicaux vont disparaître traité par les machines intelligentes, tant en imagerie, qu’en biologie, anatomopathologie, dermatologie, chirurgie et autres spécialités afin de nous rendre ce temps de présence et d’écoute de l’angoisse et du malheur.

Cette refondation de la médecine passera par une rénovation complète de la formation universitaire en créant de vraies Écoles de Médecine qui apprennent enfin le métier et ne servent pas uniquement à acquérir des connaissances. 2071 sera ce que nous en aurons fait dans les 50 prochaines années : soit un progrès dans la prise en charge globale du patient incluant toutes les conséquences environnementales, sociales, professionnelles, familiales et personnelles des patients, soit un enfer pour petits techniciens du soin aigris. Mon choix est fait !

* Pr Guy Vallancien, membre de l’Académie de médecine, président de CHAM

Source : Le Quotidien du médecin