CE JOUR-LÀ, le centre de vaccination d’Issy-les-Moulineaux tourne grâce à une douzaine de personnes, toutes réquisitionnées. Dans le lot, aucun étudiant en médecine, aucun interne. « J’aimerais bien comprendre pourquoi. L’État s’est engagé à nous fournir des étudiants en médecine, mais c’est avec les élèves infirmiers que tourne le centre depuis le début », déclare Michelle Orbach Roulière, la directrice du centre.
Chaque matin, la jeune femme reçoit de la préfecture des Hauts-de-Seine la liste des personnes présentes. Parfois, c’est au petit bonheur la chance. Lundi, par exemple. À trente minutes de l’ouverture, aucun médecin n’est prévu. « J’ai dû appeler la préfecture, qui a contacté un autre centre et a trouvé deux médecins », explique la responsable. Le centre de santé municipal d’Issy-les-Moulineaux que Michelle Orbach Roulière dirige habituellement doit se débrouiller sans elle : son arrêté de réquisition court du 12 novembre au 12 mars. La voici transformée en chasseuse de têtes. « Je passe des heures à démarcher les médecins généralistes des environs, sinon je manque de médecins. » À l’écouter, l’État ne tient pas ses promesses.
Le week-end du 21 novembre, il y avait quatre heures d’attente à l’entrée du gymnase d’Issy. À midi, lundi, la salle de handball est quasi déserte. Les trampolines sont rangés contre le mur. Dans un coin, des sacs poubelles remplis de déchets s’entassent – le ramassage n’est pas au point. Une chance, le sous-préfet est passé l’avant-veille. « Je lui ai dit que nous manquions de tout. Il a passé un coup de fil, et nous avons été livrés en seringues et en gants. Sinon, nous n’aurions pas eu le matériel nécessaire pour ouvrir ce matin », remarque Michelle Orbach Roulière.
Sur la moquette verte, cinq tentes blanches attendent le client. Les médecins et les élèves infirmières également. Entrent un père et son enfant. Paul* les accueille, leur donne les imprimés à remplir, puis les oriente vers un médecin. Paul est conservateur des hypothèques. C’est sa première réquisition en 17 ans. Il se demande ce qu’il fait là. « Un tiers du personnel du centre des impôts de Vanves est réquisitionné aujourd’hui, croit-il savoir. Il serait plus logique que l’accueil soit assuré par des personnels de santé. »
Nouvelle arrivée, cette fois c’est un sapeur-pompier. En tenue de combat. « Je ne vous attendais pas ! », s’étonne la directrice du centre. « La Préfecture de Police de Paris m’envoie, c’est ma première réquisition », expose le jeune homme. Sa mission : prêter main-forte pour gérer les flux de personnes. Un coup d’il rapide le surprend. Il n’y a pas foule. « Je ne suis pas sûre d’avoir du travail à vous donner », précise, ennuyée, Michelle Orbach Roulière. La caserne du gradé aura dû composer avec les réquisitions – sept ce jour-là. Deux camions ont été mis hors service. « S’il y a un incendie, deux camions partiront au lieu de trois », raconte le sapeur-pompier.
Les deux médecins présents lundi – deux médecins conseil – enchaînent trois jours de réquisition. « Je suis rentrée chez moi hier à 23 heures, et ce matin je me suis levée à 5 heures car j’ai une heure de route », raconte l’une d’elle. Mécontente d’avoir été prévenue l’avant-veille seulement. À l’évidence, l’organisation des réquisitions leur échappe. « Nos propositions n’ont pas été suivies. Un médecin du nord des Hauts-de-Seine est envoyé à Châtenay-Malabry, un autre qui vit à Châtenay-Malabry est envoyé à Nanterre. Hier, nous étions trop de médecins au même endroit. Ce matin, le directeur du centre m’a dit qu’il ne m’attendait pas ! C’est un peu n’importe quoi. » La situation a un effet collatéral sur les assurés sociaux, contraints, eux aussi, de patienter. « J’ai dû déconvoquer des personnes avec qui j’avais rendez-vous au centre pour leur arrêt de travail ou leurs remboursements », expose le médecin-conseil.
Les plus courroucées sont certainement les élèves infirmières. Synthia, 25 ans, craint que sa formation ne soit mise en péril. « J’ai déjà redoublé une fois, je n’ai plus droit à l’erreur, explique-t-elle. Mon évaluation pratique a été annulée à cause des réquisitions. Dimanche, je suis réquisitionnée de 8 heures à 22 heures dans deux centres différents. C’est illégal. Et c’est autant de jours de moins en stage, car il faut récupérer ». Ornella, 23 ans, vit sa sixième réquisition en un mois. Sa patience s’effrite. « J’ai raté des cours importants, des jours de stage. J’ai dû refuser des missions d’intérim pour venir vacciner, cela met en péril le financement de mes études. On ne sait pas si on sera payé pour ce travail, on ne sait pas non plus si on pourra passer notre diplôme dans huit mois, car tous les cours sont chamboulés ». Nadia Meyer-Furet, cadre supérieur formateur à l’IFSI Ambroise Paré, est l’unique infirmière présente au gymnase ce jour-là. Sa mise à contribution, elle la comprend. Mais pas le rythme des réquisitions. « Les dix formateurs de mon IFSI sont réquisitionnés, plus personne ne fait cours aux élèves, déplore-t-elle . Tous les IFSI des Hauts-de-Seine sont sur le pont. La situation n’est pas acceptable une semaine supplémentaire ».
* À sa demande, le prénom de cette personne a été modifié.
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