La santé des médecins

Dr Vanessa Belpomme : entre non-assistance et acharnement thérapeutique, le refus de soins

Publié le 23/05/2016
Article réservé aux abonnés

LE QUOTIDIEN : Peut-on obliger un patient qui oppose un refus de soins à accepter une prise en charge ?

Dr VANESSA BELPOMME : Le refus de soins déstabilise les médecins et lui fait craindre une procédure juridique. Pourtant, un malade peut refuser de se faire soigner. C'est d'ailleurs un droit fondamental qui a été inscrit dans la Loi 2002-2003 du 4 mars 2002 : « aucun ucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ».

Dans ce cas, le médecin, soumis à son devoir d’assistance, doit informer le patient des conséquences de son refus, qu’elles soient bénignes ou graves (Article R.4127-36 du Code de la Santé Publique). Il est possible au praticien de faire appel à la famille ou aux personnes de confiance pour appuyer sa démarche.

En pré-hospitalier ou aux urgences, il est parfois délicat d’évaluer si la personne est en état de décider ou non de refuser les soins. C’est en particulier le cas pour les personnes présentant des troubles mnésiques plus ou moins prononcés, car il s’agit d’un état qui limite ou abolit le discernement.

Par ailleurs, la Loi du 4 mars 2002 a fixé des limites à cette exigence de recueil de consentement de la part de médecin. D’une part l’urgence : tout médecin se trouvant en présence d’un malade ou d'un blessé en péril doit lui apporter assistance et lui fournir les soins nécessaires (article R. 4127-9 du Code de la Santé Publique). Et d'autre part, l’obligation de soins : par exception, certaines personnes peuvent être soumises à une obligation de soins comme les toxicomanes (article L. 3423-1 du Code de la Santé Publique) ou les personnes condamnées notamment pour infraction sexuelle (article 131-36-1 du Code pénal).

Si le médecin suit la décision d’absence de soins du patient, peut-il être accusé par la famille de non-assistance à personne en danger ?

Oui, théoriquement, et la frontière entre ces deux notions est très délicate. La non-assistance est une infraction d’abstention et c’est ce qui la rend particulière. On ne reproche pas au médecin d’avoir commis un acte, mais de ne pas avoir agi. En terme juridique c'est ce qu'on appelle l'obligation de moyen.

Pour le médecin qui n’a pas forcement les armes de la connaissance, brandir le cadre juridique fait peur, mais il n’y a pas de raison d’avoir peur quand on fait son travail sérieusement et qu’il est tracé dans le dossier médical.

L’article 9 du Code de la Santé Publique précise que « tout médecin qui se trouve en présence d'un malade ou d'un blessé en péril ou, informé qu'un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s'assurer qu'il reçoit les soins nécessaires ». Si le médecin respecte bien cette obligation de moyen, a priori il n'encourt aucune condamnation. Si le médecin porte effectivement assistance et prodigue les soins nécessaires mais que le patient bien informé, refuse en fin de compte la suite de la prise en charge, il n’encourt aucun risque judicaire si il peut prouver qu'il a tout fait pour convaincre le patient et que tout est noté dans le dossier.

Il faut quand même savoir que la non-assistance à personne en danger est une qualification pénale qui est très rarement retenue par les juges. Et qui aboutit de façon tout à fait exceptionnelle à des condamnations.

Définie par l’article 223-6 du Code pénal, elle peut être punie de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Pour se faire indemniser du préjudice, les familles doivent se constituer partie civile au tribunal pénal. Dans ce cas, le juge d'instruction pénal fixe le montant des dommages et intérêts à la consignation à verser à la famille, qui est déterminé en fonction des ressources de la personne qui se constitue partie civile et de l'importance du préjudice sur la victime ou la famille de la victime. Il correspond au paiement d'une éventuelle amende en cas de dépôt de plainte abusif. Les familles ont rarement recours aux tribunaux pénaux, elles font appel le plus souvent aux Commissions Régionales de Conciliation et d’Indemnisation qui peuvent être saisies gratuitement et sans avocat.

Comment se protéger contre des mises en cause des familles en cas de refus de soins ?

Avant tout en dialoguant avec le patient ou sa famille et surtout en traçant par écrit dans le dossier médical les étapes du refus de soins. Les juges examinent le dossier médical à la suite d’une plainte. S'ils y trouvent la trace écrite d’un dialogue avec le patient qui s’est soldé par un refus de soins, alors que le médecin a tout fait pour le convaincre d'accepter, ils suspendent généralement leurs investigationsI; il n'y a pas de condamnation. Mais pour cela, le médecin doit être rigoureux dans sa démarche : disposer d’une preuve qu’il a bien essayé de convaincre et d’obtenir le consentement du patient – et surtout qu'il l'a informé des dangers encourus en cas de refus de soin – est un argument de poids.

C’est pour cette raison que j’ai mis en place au SMUR 92 site Beaujon une attestation de refus de soins comportant 12 items qui est remplie par le médecin en présence du patient et qui concrétise par écrit le dialogue entre la médecin et son patient dans cette circonstance particulière.

Elle comporte des questions sur les capacités cognitives du patient à refuser les soins : « le patient comprend le traitement proposé (finalité, bénéfices, risques, alternatives) », « le patient comprend les conséquences médicales de son refus », « le patient est capable de retenir l’information suffisamment longtemps pour prendre une décision en toute connaissance », « le patient prend sa décision sans contrainte », « des directives anticipées ont été formulées par le patient ». L’évaluation du risque médical par le médecin : diagnostic suspecté, traitement proposé, complications possibles en l’absence de traitement ou d’hospitalisation. Information du patient : sur le traitement proposé, sur les principaux risque en absence de traitement, s’il peut refaire le 15 en cas de changement d’avis. Il est aussi précisé : « raison du refus par le patient » ; « estimation du temps passé par le médecin du SMUR à dialoguer avec le patient », « signature du patient, du médecin et de deux témoins ».

Si possible les médecins pré-hospitaliers contactent par téléphone les médecins ou les infirmières en charge du patient. En outre, et de façon systématique, le médecin traitant est informé par lettre du refus de prise en charge.

Grace à cette attestation, les médecins se sentent le plus souvent délivré du poids d’un possible recours juridique. C’est un élément de traçabilité qui est joint au dossier.

Dr I. C.

Source : Le Quotidien du médecin: 9498