Grippe : premières leçons d'une épidémie précoce

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Publié le 16/01/2017
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accroche grippe

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Le 6 janvier dernier, l’Agence Régionale de Santé (ARS) Auvergne Rhône-Alpes alertait sur l’importance exceptionnelle de l’épidémie de grippe au sein de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Korian Berthelot à Lyon. En deux semaines, depuis le 23 décembre, 72 des 110 pensionnaires avaient contracté la grippe et 13 d’entre elles en sont décédées.

Cette séquence donnait le coup d'envoi d'une mobilisation contre l'épidémie de grippe saisonnière particulièrement précoce et dangereuse pour les personnes âgées. Les prélèvements parvenus aux centres nationaux de référence proviennent « dans 3/4 des cas de personnes âgées », assure le Pr Bruno Lina du laboratoire de virologie des Hospices Civils de Lyon qui note « l'absence des formes graves liées au H1N1 qui touche les adultes de 40 à 45 ans ».

Une épidémie différente de 2014

L'une des raisons de cette surreprésentativité des seniors tient à la forte proportion de virus A(H3N2) circulant, comme ce fut déjà le cas lors de l'épidémie de l'hiver 2014/2015 où une surmortalité record avait été observée avec un excès de 18 300 décès. Pour autant le Pr Bruno Lina estime qu'il ne s'agit pas d'une « réplique de 2014 ». Cette année, « les virus A(H3N2) représentent 93 % des virus circulant, alors que cette proportion n'était que d'un peu plus de 50 % il y a 2 ans. D'autres virus circulaient comme les virus A(H3N1), et ceux de type B. Par ailleurs, plusieurs lignées de virus A(H3N2) étaient présentes dont certaines étaient absentes du vaccin. La situation était vraiment plus compliquée qu'aujourd'hui ».

L'adaptation du vaccin à la souche circulante n'est pas en cause dans l'apparente sévérité de l'épidémie - 6 des 13 personnes décédées à Lyon étaient vaccinées. « L’efficacité vaccinale diminue avec l’âge du fait de l’immunosénescence. Les données laissent aussi penser que les pathologies sous jacentes, comme les pathologies respiratoires et cardiovasculaires, accentuent cette diminution », souligne le Pr Sylvie van der Werf, qui dirige le laboratoire de génétique moléculaire des virus à ARN, à l'Institut Pasteur, à Paris. « D’après les analyses de virus qui sont parvenues au centre national de référence (CNR), il n'y a pas de différence entre la souche circulante et celle du vaccin », confirme-t-elle. Le Pr Lina estime que « l'efficacité du vaccin pourrait être d'environ 40 à 45 % chez les plus de 80 ans alors qu'elle était nulle en 2014. Les données ne sont pas consolidées, mais il semble y avoir moins d'échecs vaccinaux que l'année passée. Chez les adultes jeunes, nous sommes aussi dans la fourchette haute, avec des taux de protection de 70 à 75 % ».

Selon le dernier bulletin épidémiologique grippe publié par l'Agence Santé publique France, on compte un taux de 395 consultations pour syndrome grippal pour 100 000 habitants. Le pic de l'épidémie est en passe d'être atteint, avec 2 865 hospitalisations pour syndrome grippal dont 627 cas graves admis en réanimation. Un chiffre déjà comparable à celui de la saison 2014-2015 où 3 133 hospitalisations avaient été enregistrées dont 1 558 admissions en réanimation. S'il ne se risque pas à donner des estimations, le Pr Lina s'attend tout de même à « à une surmortalité du fait du fort impact chez les plus de 80 ans ».

Une deuxième vague épidémique

Plusieurs facteurs évoqués par la ministre de la Santé Marisol Touraine et le directeur général de la santé Benoît Vallet pourraient expliquer ces chiffres : la précocité de l'épidémie précoce et le défaut de vaccination des personnels de santé. « On avait oublié qu'une épidémie de grippe pouvait survenir avant les fêtes de Noël mais cela n'a pourtant rien d'inhabituel », constate le Pr van der Werf. Le Pr Lina pour sa part regrette « la tendance des établissements de santé, hôpitaux comme EHPAD, à lancer des programmes de vaccination très tard, ce qui explique qu'ils se sont fait surprendre par le début de l'épidémie. » Résultat, dans plusieurs régions, les hôpitaux ont été submergés et plus de 190 établissements ont dû mettre en place les mesures du plan « hôpital en tension » et ouvrir des lits supplémentaires.

Les deux spécialistes s'attendent à une deuxième vague épidémique cette année. « La combinaison d'un épisode épidémique précoce et de la présence d'un seul type de virus ouvre la voie à une deuxième épidémie, cette fois avec un virus de type B, affirme le Pr van der Werf. Nous avons déjà eu des exemples dans le passé ». Ces propos appellent à la vigilance même si le Pr Lina précise : « 2015 a vu une circulation intense de virus du type B, il est donc probable qu'une partie de la population bénéficie d'une bonne immunogénicité. »

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9547