Entretien avec Marisol Touraine

Marisol Touraine : « Désormais, nous avons les moyens d’agir... »

Publié le 29/10/2012
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Crédit photo : S TOUBON

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LE QUOTIDIEN - Êtes-vous totalement satisfaite de l’accord auxquels sont parvenus les partenaires conventionnels ? Répond il à la commande politique initiale de sanctionner les abus et de réduire les dépassements ?

MARISOL TOURAINE - Cet accord est un tournant important pour l’accès aux soins des Français. Pour la première fois, les syndicats médicaux ont engagé leur signature sur un avenant conventionnel sur les dépassements d’honoraires avec les organismes complémentaires.

Ces négociations ont été longues mais positives. La méthode privilégiée par le président de la République et le gouvernement, qui est celle du dialogue, a permis de faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers. Je m’en réjouis et je salue l’esprit de responsabilité des signataires.

Cet accord permet de répondre aux objectifs que nous avions fixés en amont de la négociation : que chaque Français puisse accéder à des soins de qualité indépendamment de sa situation financière, sanctionner les dépassements abusifs et plafonner les dépassements.

Vous vous êtes impliquée directement dans cette négociation, par téléphone, pour éviter l’échec. Pourquoi ?

Les syndicats médicaux et l’assurance-maladie ont mené une longue négociation. Ils étaient près du but et il fallait conclure. J’ai évidemment suivi de très près toute la négociation, dans le respect des compétences de chacun, j’ai souhaité à ce moment là favoriser sa conclusion. Ma responsabilité c’est aussi de permettre la décision.

Le plafond de 150 %, inscrit dans le préambule, n’est plus qu’un simple "repère" parmi d’autres critères pour caractériser les dépassements abusifs. En quoi ce dispositif sera-t-il plus efficace que le tact et mesure ?

Le contrôle du tact et de la mesure n’était pas clairement défini : il ne s’appuyait sur aucune règle. D’ailleurs, la procédure antérieure a montré son inefficacité. Ce nouveau dispositif permettra de sanctionner des pratiques tarifaires et non plus seulement des excès appréciés acte par acte. Concernant le seuil de 150%, à côté d’autres critères, c’est un repère, c’est - à - dire une référence. Les dépassements excessifs ne concernent qu’une petite partie des médecins, mais ils sont intolérables. L’assurance-maladie déclenchera donc les procédures de sanctions à l’égard de ces professionnels dans les toutes prochaines semaines. J’attends des représentants des syndicats, qui siégeront au niveau régional, qu’ils assument pleinement la responsabilité qui est la leur suite à cet accord.

Les dérogations, notamment géographiques, ne compliquent-elles pas le système de contrôle ? Que répondez-vous au CISS qui parle de « fiasco » pour les patients ?

La situation est aujourd’hui complètement dérégulée : il n’existe aucune sanction efficace pour les abus. Désormais, nous avons les moyens d’agir en tenant compte de la situation particulière de Paris. Je comprends que les associations de patients expriment le regret de ne pas avoir participé à la négociation, puisque le cadre conventionnel actuel ne le permet pas. Il faudra faire évoluer cela. Pour autant, les patients seront gagnants puisque les dépassements seront limités, leurs remboursements améliorés et le nombre de consultations à tarif opposable augmenté.

Vous avez annoncé des sanctions contre des médecins dès l’entrée en vigueur de l’accord. Souhaitez-vous que la CNAM fasse preuve de fermeté immédiate ?

Oui, je le souhaite. C’est pourquoi j’ai déjà demandé au directeur général de l’UNCAM d’agir en ce sens. La commission paritaire nationale sera réunie rapidement pour lancer les procédures.

Le contrat d’accès aux soins est-il suffisamment attractif pour convaincre une majorité de praticiens de secteur II d’y adhérer ? Que se passera-t-il si le seuil d’un tiers de praticiens adhérents n’est pas atteint ?

C’est un contrat équilibré. Je compte évidemment sur les syndicats signataires pour faire la pédagogie de l’accord. De nombreux médecins sont prêts à s’engager pour l’accès aux soins de leurs patients. Le contrat permet de valoriser les pratiques responsables pour les médecins de secteur 2. Tout d’abord, par la prise en charge de cotisations sociales. Par ailleurs à travers la revalorisation de certaines dispositions tarifaires.

Il a été décidé d’ouvrir ce contrat aux ex chefs de clinique bloqués en secteur I. Pourquoi cet arbitrage ?

Le sujet de fond, c’est la confiance. Il fallait la renouer et redéfinir les conditions d’un engagement durable avec le corps médical.

Vous affirmez que près de 5 millions de Français supplémentaires seront soignés au tarif Sécu. Mais l’accord prévoit cette garantie seulement pour les patients qui ont une "attestation" d’éligibilité à l’ACS (moins de 900 000 personnes). N’allez-vous pas trop vite en besogne ?

Cet accord permet effectivement à tous les patients qui remplissent les conditions de l’ACS, de bénéficier de soins au tarif opposable. Cela s’applique à tous les médecins et pas seulement à ceux qui s’engageront dans un contrat d’accès aux soins. Il y a 900 000 bénéficiaires de l’ACS mais près de 5 millions qui pourraient y prétendre. Ce sont eux qui sont concernés, qu’ils demandent ou non a bénéficier de l’ACS. La procédure pour démontrer qu’ils sont éligibles à l’ACS et bénéficier du dispositif sera allégée et dématérialisée.

Un forfait annuel de 5 euros par patient (hors ALD) pour les médecins traitants a été mis en place au 1er juillet 2013. La formule des forfaits a-t-elle vocation à être généralisée en médecine de ville ?

La diversification des modes de rémunération est une priorité pour notre système de soins, car elle permet de valoriser des activités aujourd’hui mal prises en compte. Il s’agit de marquer une inflexion dans l’organisation de notre système de prise en charge.

La revalorisation significative du secteur I était-elle nécessaire pour obtenir un accord majoritaire ?

Nous ne pouvions pas ignorer le décrochage qu’ont connu les tarifs avec les charges de certaines spécialités. Ce point était souligné par tous. Comment réduire les dépassements si le secteur 1 n’est pas revalorisé ? Nous avons assumé nos responsabilités.

Comme certains syndicats de médecins, ne regrettez-vous pas l’engagement timoré des complémentaires ?

L’UNOCAM a signé jeudi l’avenant 8. Je me réjouis de cet engagement fort et chiffré qui ne me semble pas du tout timoré, bien au contraire.

Après le mouvement des médecins « pigeons », les chirurgiens libéraux annoncent une journée de grève des blocs le 12 novembre. Des syndicats de jeunes menacent de se mobiliser. Cela vous inquiète-t-il ?

L’accord parle de lui-même. Ni la liberté d’installation, ni le libre choix ne sont remis en cause. Toutefois, je connais les conditions de vie et de travail des internes. J’ai déjà procédé à un rappel à l’ordre pour que les règles soient respectées, notamment concernant les durées de travail. Les internes et chefs de clinique jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement des hôpitaux et la permanence des soins. Ce rôle doit être reconnu.

Cet accord s’appliquera-t-il aux professeurs « stars » de l’hôpital qui ont un secteur privé ?

La question de l’activité libérale à l’hôpital ne se résume pas à celle des dépassements d’honoraires. Elle doit redevenir compatible avec les exigences du service public. C’est le sens de la mission que j’ai confiée à Dominique Laurent. Les excès observés parfois à l’hôpital public jettent une ombre sur son fonctionnement. Je souhaite donc que la mission Laurent s’empare de l’ensemble des règles applicables à l’exercice libéral à l’hôpital.

 PROPOS RECUEILLIS PAR CYRILLE DUPUIS ET CHRISTOPHE GATTUSO

Source : Le Quotidien du Médecin: 9182