Dossier

Ces soins qui ne doivent pas attendre

Pendant la pandémie, l’autre médecine continue

Publié le 28/04/2020
Pendant la pandémie, l’autre médecine continue


SEBASTIEN TOUBON

Par temps de pandémie, toute l’activité médicale est consacrée à la lutte contre le coronavirus. Toute ? Non, car le covid n’a pas fait disparaître les autres pathologies. Des greffes aux accouchements en passant par les soins aux plus démunis, petit voyage (non-exhaustif) chez ces médecins qui continuent à travailler comme avant… ou presque.

Des soignants en « tenue covid » qui courent dans tous les sens auprès de patients intubés, le tout sur un fond sonore d’alarmes stridentes. Voilà ce que beaucoup de Français ont en tête quand ils applaudissent à leur fenêtre à 20 heures. Sans être fausse, cette image est loin de décrire la réalité de l’ensemble du monde médical : bon an, mal an, des milliers de médecins continuent à prendre en charge des pathologies qui n’ont rien à voir avec le coronavirus. Ce qui ne veut pas dire que leur activité n’est pas bouleversée par la pandémie pour autant.

Les greffes sont un bon exemple du changement dans la continuité imposé par le coronavirus. « Il y a eu une baisse de l’activité de prélèvement de l’ordre de 50 % au début du confinement, indique le Pr Olivier Bastien, directeur du département « prélèvements organes et tissus » à l’Agence de la biomédecine. Cette baisse avait tendance à s’accélérer, mais nous avons réussi à nous remobiliser, même si cela reste fragile ».

La diminution des prélèvements n’est bien sûr pas homogène. « Les greffes rénales ont été suspendues, car elles ne sont pas vitales, la dialyse pouvant suppléer, indique Olivier Bastien qui remarque toutefois que cela peut constituer une perte de chances pour les patients. « Les greffes vitales, pour lesquelles le patient risque de mourir (cœur, foie…), ont en revanche été maintenues, et nous avons demandé à garantir l’accès à des lits "covid-free" en réanimation pour ces patients », poursuit le responsable de l’agence de la biomédecine.

Business as usual… ou presque

Autre exemple de domaine dans lequel les établissements ont conservé leur cœur de métier : la cancérologie. « Nous avons réussi à maintenir la continuité des soins en ce qui concerne la chimiothérapie et la radiothérapie en hospitalisation de jour, sans baisse d’activité », se félicite par exemple le Pr Éric Lartigau, directeur général du centre Oscar Lambret à Lille. Bien sûr, ce résultat a été obtenu au prix de certaines adaptations : équipement de protection pour le personnel et les patients, mise en place d’une zone d’accueil et d’orientation où sont scrutés les signes d’une possible infection…

Malgré le maintien d’un niveau d’activité soutenu, Éric Lartigau s’inquiète d’une diminution en ce qui concerne la chirurgie, en raison de la forte diminution des dépistages et des explorations en ville. « Nous nous attendons à une arrivée assez massive, dans les prochaines semaines, de patients qui auront eu un retard de diagnostic et qu’il faudra prendre en charge rapidement », s’alarme le Lillois. Son message à l’attention des patients est donc clair. « N’ayez pas peur, consultez votre médecin, vous ne serez pas mis en risque », lance-t-il.

Ouvert pendant la crise

Il faut dire que certains patients semblent avoir oublié qu’au moins une partie des services de santé continuaient à fonctionner malgré le confinement. Les urgences ont ainsi connu une baisse de fréquentation de 48 % entre la mi-mars et début avril, constatait lors d’un point presse le 17 avril dernier le Pr Jérôme Salomon, ainsi que le rapporte l’agence APMNews. Et le phénomène n’est pas limité aux établissements hospitaliers, loin de là.

« Il ressort de nos réunions que dans le Grand-Est, certains spécialistes ont connu une baisse d’activité qui peut aller jusqu’à moins 90 %, et certains cabinets de médecine générale sont à moins 50 % », explique ainsi le Dr Guilaine Kieffer-Desgrippes, généraliste strasbourgeoise et présidente de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) « médecins libéraux » de cette région Grand Est particulièrement touchée par la pandémie. « Cela génère beaucoup d’inquiétudes sur l’état de santé dans lequel nous allons retrouver nos patients dans quelques semaines », ajoute-t-elle.

L’Alsacienne explique donc que les patients ne doivent pas avoir peur d’avoir recours aux médecins libéraux, qui continuent à pouvoir les recevoir dans des conditions qui permettent d’éviter la propagation du virus, si cela est nécessaire. « On risque d’avoir des retards de prise en charge, des retards de dépistage, s’inquiète la praticienne. Ma crainte, c’est le grain de beauté un peu suspect, la boule dans le sein qu’on aurait normalement montrée à son médecin sans attendre… Les patients doivent donc nous appeler, c’est le médecin qui dira si cela peut attendre ou non. »

Suivi de grossesse à distance

Et puis il y a la téléconsultation. Certains praticiens sont surpris de constater l’étendue de ce qu’ils peuvent réaliser à distance, y compris dans les domaines les plus inattendus, comme par exemple le suivi des grossesses. C’est en tout cas l’expérience faite par le Dr Amina Yamgnane. « On peut quasiment tout faire en dehors des touchers vaginaux, dont l’utilité n’est de toute façon pas démontrée, constate cette gynécologue libérale parisienne. C’est phénoménal. Moi qui suis pourtant une militante du tout numérique, j’avais tout de même quelques hésitations : je pensais par exemple qu’au-delà du problème légal, il était difficile de faire des téléconsultations avec des patientes que je n’avais jamais vues. Or l’expérience m’a prouvé que c’était faux. »

La praticienne estime qu’elle ne reviendra pas à sa pratique antérieure une fois l’épidémie passée, et qu’elle systématisera la téléconsultation au moins pour certains motifs. « Je ne vois pas la pertinence de prendre de la place pour un avis sur la contraception, ou encore un renouvellement de traitement, affirme-t-elle. Nous sommes en tension, et nous devons pouvoir prendre l’initiative de dire aux patientes qu’elles ne sont pas obligées de venir pour tout. »

Amina Yamgnane reconnaît toutefois que tous les médecins ne sont peut-être pas en mesure d’aller aussi loin qu’elle dans la téléconsultation. « J’avais déjà tout informatisé depuis longtemps, et j’imagine que cela doit être extrêmement fastidieux pour des collègues qui ne l’avaient pas fait », remarque-t-elle. La gynécologue note également que sa patientèle est plutôt aisée, à l’aise avec les outils numériques et soucieuse de sa propre santé, ce qui lui facilite énormément la tâche. Car sur ce sujet comme pour beaucoup d’autres, la crise fait ressortir les inégalités.

Adrien Renaud