Pourquoi outre-Atlantique mais aussi dans le reste du monde, y a-t-il autant de séries autour de la médecine et de l’hôpital ? Peut-être parce que c’est le dernier monde mystérieux. On a conquis l’espace, banalisé les envols et retours de fusées, la police scientifique maîtrise l’ADN et arrête les coupables, seules restent les maladies et les circuits étranges des labyrinthes hospitaliers, la porte infranchissable entre les urgences et les services d’hospitalisation, pour intriguer les téléspectateurs.
Au départ l’aspect médical était secondaire. Ce qui comptait c’était surtout de voir se tisser les romances. La référence en la matière c’est General Hospital, lancé en 1963 sur la chaîne ABC et toujours diffusé aux États-Unis où, fin avril on a atteint le 24 745ème épisode.
La France connut en cette année 1963 un feuilleton de ce genre, de cinquante épisodes seulement, racontant les aventures d’une jeune infirmière, Janique Gauthier, dite Janique Aimée ( amateurs de contrepèteries à vos stylos), qui ralliait tous les jours son lieu de travail en VéloSolex et où l’attendait un ténébreux chirurgien.
Puis les séries de science-fiction se firent rattraper par la réalité. Que restait-il à explorer, sinon notre corps, celles et ceux qui le prennent en charge quand il va mal et l’endroit où ils règnent en maîtres et qu’on ne visite jamais. Les portes de l’hôpital allaient s’ouvrir !
Les ateliers d’écritures des grands studios US ont voulu faire le contraire de General Hospital, sortir de la bluette, montrer justement ce que les Américains redoutaient le plus : atterrir dans un hôpital qu’ils n’auraient pas choisi. Au début des années 80 est arrivé St Elsewhere, St Ailleurs, un hôpital public sous-doté, à la limite de la rupture, objet du mépris des autres hôpitaux et de leurs médecins. Cette réalité brutale ne plut point. Le tir fut brillamment rectifié par la diffusion de E.R, le célèbre Urgences, diffusé sur quinze saisons de 1994 à 2009.
Un révélateur de l'Amérique profonde
On se souvient de ce côté de l’Atlantique des amours du Dr Ross, de l’infirmière Hataway. Mais ce qui fut important dans cette série c’est qu’elle était censée se dérouler au Cook County Hospital de Chicago, le seul hôpital public dans une ville qui comptait par ailleurs onze hôpitaux privés. Des hôpitaux que la loi autorisait et autorise encore, à transférer des patients vers cet hôpital public pour des raisons majoritairement d’absence de couverture sociale suffisante pour ces établissements à but lucratif.
Et les épisodes d’Urgences ne manquaient pas d’aborder la question. Tout cela reposait sur une étude publiée quelques années plus tôt dans le New England Journal of Medicine parue le 27 février 1986 et dans laquelle les auteurs examinaient les cas de 467 patients transférés vers le Cook County Hospital. Et le constat était terrible avec pour raison principale du transfert dans 87 % des cas, une couverture sociale inadéquate. Neuf patients sur dix étaient noirs ou hispaniques, huit sur dix au chômage. Seulement 6 % avaient donné leur consentement pour le transfert. Résultat : une mortalité deux fois et demie plus élevée chez les patients transférés que chez ceux qui ne l’avaient pas été, entre les retards de prise en charge, la gravité des cas, la surcharge du seul hôpital public.
Cette série a agi comme un terrible révélateur sur l’Amérique profonde car ce qui était montré là se passait ailleurs en même temps que les zones rurales voyaient, comme ici, disparaître les hôpitaux locaux. La grosse différence c’est que le prochain centre pouvait être à 200 kilomètres ! Et dans chaque épisode était évoquée une pathologie courante avec des conseils donnés aux patients.
Le marketing ayant ses raisons, les studios US se sont dit qu’après les gentils médecins et les infirmières sympas, le temps était venu de passer au très méchant et ce fut Dr House, le médecin toxico qu’on a aimé détester et dont chaque épisode semble avoir été écrit en mélangeant les pages du très volumineux Harrison’s Principles of Internal Medicine.
Les séries hospitalières se sont peu renouvelées, souvent un peu manichéennes comme The Resident, valorisant la psychiatrie comme dans Chicago Med ou introduisant un chirurgien atteint du syndrome d’Asperger (The Good Doctor). Mais, dans toutes ces séries, les conseillers médicaux, souvent en liaison avec des départements universitaires de santé publique, aident à faire passer des messages au grand public.
À de rares exceptions près, comme Plus belle la vie, rares sont les occasions de le faire chez nous. C’est dommage car dans un pays où il y a plus d’écrans que de baignoires, cela participerait de l’hygiène mentale et physique de tout un chacun.
Exergue : Que restait-il à explorer, sinon notre corps, celles et ceux qui le prennent en charge quand il va mal et l’endroit où ils règnent en maîtres et qu’on ne visite jamais ?
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