LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Que pensez-vous de l’augmentation actuelle de la défiance contre les vaccins, en France et en Italie notamment ?
VYTENIS ANDRIUKAITIS : Pour être tout à fait sincère, c’est difficile pour moi. Quand j’exerçais en Lituanie, j’ai été confronté à 5 patients souffrant de tétanos et 2 de rage. J’ai soigné des enfants ayant été affectés par la polio. En Union Soviétique, nous croyions alors à 100 % à la vaccination. Il est donc étrange pour moi d’entendre les arguments des anti-vaccins. Les gens ne savent plus à quel point certaines maladies sont dangereuses. Ils se sentent en bonne santé, lisent des « fake news » sur internet. Ils écrivent sur des forums « je souffre de telle ou telle chose », quelqu’un sait-il de quoi il s’agit ? Et n’importe qui peut leur faire un diagnostic ! Il faudrait un vaccin contre la stupidité humaine. Aujourd’hui, on demande le plus haut niveau de sécurité alimentaire, de soins médicaux, de sécurité sociale… et les gens ne se vaccinent pas !
Que dites-vous à ceux qui assurent que les vaccins sont dangereux ?
Cet argument est vrai pour notre vie entière ! Est-on en sécurité dans la rue ? Vous traversez une route, êtes-vous sûr que personne ne va vous renverser ? Vous mangez de la nourriture, êtes-vous sûr que vous n’allez pas faire une allergie ? Les effets secondaires sont partout. Or les vaccins provoquent une réaction du système immunitaire. Les gens qui refusent les effets secondaires des vaccins ne comprennent pas le fonctionnement de la vaccination.
En France, 11 vaccins sont obligatoires. Pensez-vous qu’il faille rendre les vaccins obligatoires en Europe ?
C’est une erreur de vouloir imposer l’obligation vaccinale. Cela dépend de la culture, des capacités financières de chaque État. Vous ne pouvez pas comparer les systèmes entre eux. Ce qui est important, c’est la couverture vaccinale : comment atteint-on un minimum de 95 % de couverture vaccinale ? Pas forcément par l’obligation. Actuellement, 14 États membres ont opté pour cette méthode. Mais ces obligations vaccinales recouvrent des réalités très différentes selon les pays : en France, 11 vaccins sont obligatoires, dans d’autres pays, seuls 5 vaccins le sont. Souvent, les capacités économiques des pays sont en cause. Dans d’autres encore, il n’y a pas d’obligation du tout et ce sont les familles qui payent car des pays n’ont pas les fonds nécessaires pour couvrir les besoins de leur population. Et c'est un vrai problème. Si notre rôle n'est pas de dire qui doit être vacciné, nous pouvons faire comprendre à la population pourquoi il est important de se faire vacciner. Vous avez des règles sur la route. Les automobilistes les acceptent. Mais si vous parlez de la vaccination, les gens freinent pour des raisons psychologiques et en vertu d'une étrange conception du libre arbitre.
La couverture de la vaccination contre l’hépatite B, le HPV, qui permet de prévenir contre certain cancers, est-elle suffisante en Europe ?
Il faut davantage d’argent public pour garantir l’accès à ces vaccins coûteux. C’est un gros challenge pour les États membres. Nous les encourageons à coopérer et à acheter ensemble des vaccins afin de réaliser des économies d’échelle. Nous sommes ainsi dans un 1e round d'achat du vaccin saisonnier contre la grippe à l’échelle européenne. Il faut avoir accès à des vaccins qui ont un coût acceptable pour la société.
Que veut faire la Commission face au problème d’approvisionnement ? Serait-ce une bonne idée d’avoir des sites de production publics par exemple ?
C’est un débat très français. Mais c’est aux États membres de décider. Il faut garder en tête que les systèmes de soin et les services de santé sont une compétence exclusive des États membres. Eux seuls pourraient mettre en œuvre une telle initiative. Airbus est un bon exemple de coopération qui bénéficie de fonds privés et publics (nationaux et européens). Si ce modèle est bon pour produire des avions, pourquoi ne le serait-il pas pour produire des vaccins trop coûteux ? La question est ouverte. Notre rôle est d’encourager les débats, la coopération, de disséminer des idées. Si les États membres veulent s’engager dans la voie d’une production, avec potentiellement le secteur privé, dans le cadre par exemple d’un partenariat public-privé, c’est possible.
La Commission a initié une Action conjointe sur la vaccination. Quel en est le but ?
Plusieurs objectifs sont visés. D’abord, il s’agit d’encourager la coopération entre les États membres dans ce domaine. En second lieu, nous devons répondre aux préoccupations des Européens sur les vaccins, leur redonner confiance. Ensuite, notre rôle est de coordonner et d'encourager les recherches et les investissements, notamment pour développer de nouveaux vaccins. Nous sommes déjà parvenus à certains résultats, notamment en discutant avec les industriels. Il y a quelques années, nous avons lancé une initiative sur l’innovation médicale qui couvrait le VIH et la tuberculose par exemple. Nous avons fait des progrès mais nous devons faire plus. Enfin, notre ambition est de mettre en place les conditions d'une implication des médecins et des infirmières sur ces questions. Les professionnels de santé doivent devenir des partenaires sur ces dossiers.
Pensez-vous que les États sont suffisamment actifs sur ces questions ?
Sur le papier, les États s'engagent. Le problème vient du passage aux actes. Tous les États ont signé l’an dernier aux Nations Unis un accord global pour éradiquer la tuberculose d’ici 2030. Mais, encore une fois, signer est une chose, passer à l’action en est une autre. Un des challenges relève de notre capacité à mettre en œuvre les accords que nous signons. Et cela impacte indéniablement la confiance des populations dans nos actions.
Article mis à jour le 27/11/2018
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