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Dossier

Un outil jugé peu adapté en clinique

Face au Nutri-Score, les médecins restent à convaincre

Par Damien Coulomb - Publié le 21/10/2019
Face au Nutri-Score, les médecins restent à convaincre

L'information du patient n'est qu'un petit aspect de l’éducation thérapeutique
Phanie

Le Nutri-Score est-il soluble dans la pratique clinique ? S'il occupe l'espace médiatique depuis son adoption en octobre 2017, jusqu'à obliger certains industriels à revoir leurs recettes, le logo nutritionnel ne fait pas l'unanimité chez les spécialistes consultés par le « Quotidien ».

Au CHU de Rouen, les nutritionnistes du centre spécialisé obésité (CSO) ont tenté d'intégrer le Nutri-Score dans leur programme « équilibre de vie », visant à amorcer une perte de poids chez les patients obèses. Résultat décevant. « Le Nutri-Score n'apporte une information ni très complète ni très utilisable en pratique, explique le Dr Vanessa Folope, médecin responsable du CSO Haute-Normandie. Si on donne simplement une note et un code couleur à un aliment - on consomme si c’est vert et on interdit si c'est rouge - on privilégie une approche restrictive de l'alimentation sans réflexion sur la fréquence et la quantité à consommer. »

Le médecin pointe aussi la complexité du message à délivrer : « Il faudrait dire aux patients pourquoi des aliments ayant la même note ne doivent pas être consommés à la même fréquence. Et puis, le Nutri-Score n'est pas présent sur tous les emballages ». Ce logo nutritionnel n'est donc plus évoqué dans les programmes d'éducation thérapeutique de son CSO, à moins que le patient n'aborde naturellement le sujet.

Les CSO peu convaincus

Responsable du CSO du CHU de Nancy, le Pr Olivier Ziegler est également sceptique quant à l'intérêt de l'étiquetage nutritionnel en clinique : « Je ne pense que du bien du Nutri-Score, précise-t-il d'emblée, mais il faut bien comprendre que l'information du patient n'est qu'un petit aspect de l’éducation thérapeutique. Notre but est de changer le comportement, mais aussi d’analyser le fonctionnement et les raisons de l'évolution de ce comportement. »

Au sein de son CSO, le Pr Ziegler est confronté à des cas complexes et/ou graves d'obésité. « Nous devons traiter des questions de vulnérabilité sociale et psychosociale et des cas de binge eating disorder [ou hyperphagie compulsionnelle, NDLR], contre lesquels la prescription de régime n'est pas efficace, explique-t-il. Les choix des malades sont déterminés par leurs problématiques et non par la composition des aliments. Manger est, pour certains, un mécanisme d'adaptation à un stress psychosocial ».

Pour Vincent Gerbault, président du réseau de prévention et de prise en charge de l'obésité en Charente (plus de 500 patients par an), le Nutri-Score est même délétère pour les patients obèses. « Son utilisation revient à externaliser les capacités à faire ses propres jugements, alors même qu'il faut remettre le patient au centre de son choix alimentaire, argumente-t-il. Nos patients décident de manger un aliment par envie, par plaisir ou par besoin, pas parce qu’il y a une étiquette dessus. Dans le pire des cas, ils se sentiront jugés et dévalorisés quand ils prendront des aliments étiquetés. Le Nutri-Score apporte une information très réductrice. »

Les pédiatres divisés

Le chef du service Nutrition et Gastro-entérologie pédiatrique de l'hôpital Armand Trousseau, le Pr Patrick Tounian, n'épargne pas non plus le logo nutritionnel adopté en octobre 2017 en France. « Il n'est pas du tout adapté à l'enfant et augmente le risque de déviances alimentaires graves, affirme-t-il. Il n'est pas nécessaire de restreindre l'apport énergétique des enfants. Dans 80 à 85 % des cas, les enfants ne courent aucun risque d'obésité, quel que soit leur régime alimentaire. »

Concernant l'utilisation du Nutri-Score chez les enfants obèses, l'étiquetage nutritionnel « fait s'accroître la stigmatisation, juge le Pr Tounian. L'obésité infantile est plus souvent due à des spécificités métaboliques individuelles. En faisant croire que l'obésité des familles est surtout le fait de régimes alimentaires, on fait souffrir les enfants obèses et leurs familles. »

Le point de vue du Pr Tounian n'est toutefois pas partagé par tous ses confrères. Le Pr Alain Bocquet est membre du comité nutrition de la société française de pédiatrie, et responsable nutrition pour l'association française de pédiatrie ambulatoire, une société savante qui soutient fermement le Nutri-Score. « Ce logo est utile en prévention et dans l'éducation thérapeutique car il offre une palette de choix dans une même catégorie de produits, estime-t-il. Le Nutri-Score peut ausi aider les familles en grande difficulté vis-à-vis des notions nutritionnelles. »

Pour le Dr Véronique Nègre, pédiatre au CHU de Nice, « le discours à tenir doit être simple, détaille-t-elle. Même si on sait qu'il est préférable de manger des tartines de pain au petit-déjeuner, des familles très éloignées des recommandations ne conçoivent pas un petit-déjeuner sans céréales. Si elles peuvent déjà améliorer la qualité des céréales en regardant le Nutri-Score, c'est un premier pas. »

Pas très bien vendu

Confronté aux réactions parfois épidermiques recueillies par « Le Quotidien », le Pr Serge Hercberg, président du programme national nutrition santé se dit « surpris » et « préoccupé » par ce qu'il estime être un « problème de communication ». Les professionnels de santé « doivent intégrer des messages extrêmement simples, à commencer par le fait qu'un produit mal classé n'est pas un produit interdit. Le Nutri-Score n'est pas le seul moteur d'information, mais il a l'avantage d'éviter une vision un peu trop “biologique” du décompte des calories, des glucides, etc. »

Le Nutri-Score n'a « peut-être pas été très bien vendu, convient le Pr Bocquet. Il devrait s'accompagner de notices pour les familles et les professionnels de santé afin d'expliquer notamment que tout ce qui est noté rouge ne doit pas être rejeté mais moins consommé ».

Le collège de médecine générale plaide aussi pour une appropriation du Nutri-Score par la médecine de premier recours. « Cela fait 25 ans que nous demandons, sans succès, que les médecins généralistes se voient confier une mission de santé publique, se désole le Dr Jean Godard, membre du CMG. Le médecin généraliste est bien plus efficace que n'importe quelle campagne d'information, car il adapte son discours au patient qu'il a en face de lui. »

Damien Coulomb