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Dossier

En Afrique, le Covid-19 fait tanguer la lutte contre le VIH

Par Damien Coulomb - Publié le 01/12/2020
En Afrique, le Covid-19 fait tanguer la lutte contre le VIH

123 000 à 293 000 infections supplémentaires par le VIH entre 2020 et 2022
Phanie

Si les Pays du sud n'ont pas connu de ruptures d'approvisionnement en antirétroviraux, les mesures de confinement et le séisme socio-économique ont sévèrement percuté des programmes de lutte contre le sida. Pour l'ONUSIDA, le Covid-19 n'a fait qu'accélérer l'échec des objectifs fixés pour 2020.

Après la première vague de Covid en juillet, une modélisation de l'ONUSIDA a tenté d'évaluer les effets de la pandémie de Covid-19 sur l'épidémie de VIH. Le scénario le plus catastrophiste, prévoyait une interruption de six mois de l'accès aux traitements antirétroviraux (ARV), concluait au chiffre apocalyptique de 500 000 décès supplémentaires, très majoritairement en Afrique, soit un retour à la situation de 2008.

Alors que l'ONUSIDA célèbre la journée mondiale de lutte contre le VIH, le constat s'avère préoccupant mais moins grave : l'Afrique subsaharienne a connu une baisse de 10 à 20 % de la dispensation des ARV. « Les perturbations du transport aérien rendent difficile l'acheminement des traitements dans le monde », explique le Dr Fodé Simaga, directeur du département de « Fast-Track » de l'ONUSIDA. « Les États se sont tout de même montrés prudents et il y a eu finalement très peu de ruptures de stock », poursuit-il. L'essentiel des dispensations manquantes est dû aux mesures de confinement et aux problèmes d'accès aux prescripteurs.

Objectifs pour 2020 non atteints

Le Covid-19 devrait tout de même être responsable, selon l'ONUSIDA, de 123 000 à 293 000 infections supplémentaires par le VIH entre 2020 et 2022 et de 69 000 à 148 000 décès. Ces victimes s'additionnent à celles qui auraient pu être évitées si les efforts internationaux consentis ces 10 dernières années avaient été suffisants. Les objectifs fixés pour 2020 — 90 % de malades dépistés, 90 % dépistés sous traitement et 90 % traités avec une charge virale indétectable — n'ont pas été atteints : le monde n'est pas sur une trajectoire d'élimination de l'épidémie à l'horizon 2030.

« L'épidémie de Covid-19 n'a pas amélioré les choses, mais il ne faut pas se voiler la face, elle n'a fait qu'accentuer un retard que nous avions déjà pris avant », constate amèrement le Dr Simaga. En 2019, près de 700 000 morts et 1,7 million de nouvelles contaminations par le VIH étaient déjà à déplorer. Un résultat « inacceptable alors que des traitements et des moyens de prévention sont abordables et rapidement disponibles », s'emporte la présidente exécutive de l'ONUSIDA Winnie Byanyima.

Pour Stéphanie Seydoux, ambassadrice française de la santé et membre du conseil d'administration du fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, la lutte contre les trois épidémies a été perturbée via deux mécanismes : « En paralysant l'organisation de la santé au sens large et en pesant sur les composantes du développement qui sont très liées à la santé ».

Des économies dévastées

L'impact socio-économique évoqué par Stéphanie Seydoux « a été disproportionné dans les pays du Sud, eu égard à l'impact du Covid-19 en Afrique, précise-t-elle. Certains pays ont, par exemple, perdu les ressources touristiques à la suite de la fermeture des frontières ». Comme dans les pays du nord, les communautés les plus fragiles sont frappées de plein fouet par les mesures de confinement. « Les professionnelles du sexe n'ont plus de travail, donne en exemple le Dr Simaga. Elles ne se rendent plus dans les services de prévention du VIH ».

Selon les calculs du FMI, les pays émergents devraient perdre 3 % de leur PIB en 2020, tandis que la Banque mondiale prévoit que 71 millions de personnes basculeront dans l'extrême pauvreté et que 265 millions seront en situation d'insécurité alimentaire. « Les économies ont été très durement touchées, ce qui va affecter leurs capacités à financer la lutte contre le sida », craint le Dr Simaga. 

Dans le domaine de la recherche, l'épidémie de Covid-19 a eu un effet très transitoire, comme l'explique le directeur de l'ANRS, le Pr François Dabis. « On a été amené à ralentir transitoirement des activités, mais nous n'avons pas eu dans les pays du sud les mêmes problèmes de saturation des systèmes de santé que dans les pays européens, résume-t-il. Dès le mois de juin, nous avons pu replanifier le redémarrage de nos travaux. Notre plus gros essai d'allégement thérapeutique n'a pris que deux ou trois mois de retard. »

Le VIH cannibalisé par le Covid

Autre conséquence de la situation : la captation de moyens normalement affectés à la lutte contre le VIH pour la lutte contre le Covid-19. Le fonds mondial a ainsi mis à disposition un milliard de dollars, près de 10 % de son budget, pour financer la lutte directe contre le Covid-19 et pour sécuriser les actions de lutte contre le VIH.

De plus, pour faire face à la pandémie, l'UNITAID a financé l'achat anticipé de près de trois millions de doses de dexaméthasone destinées aux pays à revenu faible et intermédiaire, de même que 120 millions de tests de diagnostic rapide. Pour sa part, l'ANRS a lancé des programmes de recherche flash de Covid-19 à la demande de ses partenaires : 30 projets ont été retenus pour un total de six millions d'euros.

« Il y a une captation des moyens et du leadership de la lutte contre le VIH au profit du Covid-19, analyse le Dr Simaga. Les responsables de la riposte à la pandémie viennent tous du sida : Jean-François Delfraisy, Françoise Barré-Sinoussi, Anthony Fauci, Deborah Birx… Les équipements de biologie aussi sont partagés ou mis à disposition du Covid. Les systèmes de gestion des achats déployés pour la lutte contre le VIH sont maintenant mobilisés pour les tests et bientôt les vaccins », énumère-t-il. Le Dr Simaga espère qu'il y aura aussi des investissements massifs dans les services hospitaliers, « mais ça n'a pas l'air d'être le cas », regrette-t-il.

La pandémie de Covid a néanmoins une conséquence positive. « Jusqu'ici, 80 % des pays du sud n'appliquaient pas la politique de prescriptions d'ARV pendant plusieurs mois pour les patients stables, explique le Dr Simaga. La prescription à trois mois est désormais en passe de devenir la norme dans les pays d'Afrique subsaharienne. »

Damien Coulomb