Le boom des médecines complémentaires en Allemagne

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Publié le 26/11/2021
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Solidement implantées en Allemagne, les médecines naturelles ou alternatives sont des « spécialités complémentaires » validées par un diplôme. Largement pratiquées en ville comme en cliniques, elles peuvent être prises en charge par les caisses de maladie, mais n’échappent pas à des polémiques régulières, venant aussi bien du monde scientifique que politique.
La spécialisation en naturopathie aborde la théorie, puis la prescription de plantes, de médicaments et de compléments alimentaires

La spécialisation en naturopathie aborde la théorie, puis la prescription de plantes, de médicaments et de compléments alimentaires
Crédit photo : Phanie

Près de 60 000 médecins allemands, majoritairement généralistes, proposent au moins une thérapie complémentaire à leurs patients, qu’ils pratiquent de manière plus ou moins fréquente, selon la Fédération des médecins naturopathes (ZAEN), qui constitue la plus grande organisation médicale de ce type en Europe.

Il existe cinq spécialisations en médecines complémentaires : 15 000 médecins possèdent la spécialisation en acupuncture, 16 000 en naturopathie, 21 000 en médecine manuelle, 7 000 en homéopathie et 2 000 en balnéothérapie. Pour obtenir ces différentes qualifications, les médecins doivent suivre entre 160 et 200 heures de cours, ainsi que 80 heures de séminaires, ceux-ci étant remplaçables par des stages. Ces formations, payantes, sont assurées par des sociétés savantes et des associations agréées par l’Ordre des médecins, qui gèrent aussi la formation continue obligatoire.

La spécialisation en naturopathie aborde la théorie, puis la prescription de plantes, de médicaments et de compléments alimentaires, avant de présenter des pratiques aussi diverses que la neuralthérapie, la médecine nutritionnelle et le jeûne, les thérapies comportementales ou la relaxation. L’acupuncture, l’homéopathie et les médecines manuelles y sont traitées, mais de manière plus succincte que dans leurs spécialisations respectives.

Un remboursement sous conditions

Installée à Freudenstadt, au cœur de la Forêt-Noire, la ZAEN y organise des sessions de formation spécialisée et continue très suivies. Présidée par le Dr Rainer Stange, directeur d’un institut de naturopathie rattaché à une clinique protestante de Berlin, la ZAEN rappelle que « les médecines complémentaires s’ajoutent à la médecine classique mais ne la remplacent pas ».

Une fois diplômés, les médecins peuvent exercer librement ces thérapies, dont la prise en charge ne dépend pas du « secteur » du médecin mais du statut du patient. D’une manière générale, les patients assurés dans le privé, soit 13 % d’entre eux, ont un accès plus large à ces méthodes, qui peuvent toutefois être proposées aux assurés « publics » s’ils souscrivent auprès de leur caisse une option pour cela. Chaque caisse, publique ou privée, définit les prestations « non obligatoires » qu’elle prend en charge, et sous quelles conditions. Il en est de même pour les traitements complémentaires proposés par des cliniques privées, souvent dans le cadre de soins de suite et de rééducation. Les médicaments homéopathiques prescrits sont partiellement remboursables, de même que certains médicaments à base de plantes, mais leur prise en charge, même faible, suscite des polémiques fréquentes entre partisans et détracteurs. L’acupuncture n’est automatiquement remboursée que pour quelques indications précises, comme l’arthrose du genou… mais pas pour celle des autres articulations.

Des « praticiens de santé » non-médecins

À côté de ces médecins très bien organisés et formés, l’Allemagne compte plus de 30 000 « praticiens de santé » non-médecins qui exercent à l’issue d’une formation des plus sommaires. S’il existe de nombreuses écoles de praticiens de santé, certains obtiennent leur diplôme en ligne, après quelques heures devant leur écran. Médecins et praticiens de santé se regardent en chiens de faïence, les premiers traitant volontiers les seconds de charlatans, et des procès spectaculaires défraient parfois la chronique, comme celui, en 2019, d’un praticien condamné pour avoir « soigné » trois patients cancéreux que des traitements médicaux auraient pu sauver.

Le problème, explique la Dr Monika Pirlet-Gottwald, généraliste à Munich et vice-présidente de la ZAEN, « c’est que certains sont bons, mais d’autres sont trop sûrs d’eux et ne connaissent pas leurs limites. Les praticiens de santé plaisent, car ils consacrent du temps aux patients, ce que beaucoup de médecins, surtout spécialistes, ne peuvent pas faire. » Associant largement les médecines universitaires et complémentaires, elle explique pour sa part à ses patients que « les antibiotiques soignent, mais que les thérapies naturelles aident à guérir et renforcent ». Si sa patientèle est surtout composée d’assurés privés, elle accueille aussi des assurés publics informés de ses honoraires et prêts à les payer.

Ces dernières années, plusieurs facultés de médecine se sont dotées de chaires et d’instituts de médecine complémentaire, comme celle de Tübingen, installée en 2018 dans un centre de cancérologie de Stuttgart. Le Land de Bade-Wurtemberg, à l’origine de cette création, précise qu’il ne s’agit évidemment pas de soigner les cancers par des méthodes alternatives, mais, dans une optique intégrative, d’étudier leurs avantages, notamment contre les effets indésirables des chimiothérapies.

Mais l’institut ne se limite pas au cancer et mène actuellement des programmes de prévention des chutes des personnes âgées grâce au taï-chi, de développement des méthodes intégratives en médecine générale mais aussi de recours aux oignons pour le traitement des otites chez les enfants, un remède traditionnel testé pour réduire les prescriptions d’antibiotiques.

Denis Durand de Bousingen

Source : Le Quotidien du médecin