Les secrets d'Ikaria, l'île grecque où l'on vieillit bien

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Publié le 01/02/2018
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Crédit photo : DR

« C’est à la mode maintenant ces sacs tissés et bariolés ». À 105 ans, Ioanna Proi, est toujours à la page. Au village de Christos, sur l’île grecque d’Ikaria, elle vend toujours ses créations réalisées au métier à tisser.

Sa vue n’est plus très bonne mais la doyenne de l’île passe son plus grand temps à enseigner aux plus jeunes les arts de son métier. « Si je suis encore en vie, c’est parce que j’ai toujours fait ce que j’aimais », note Ioanna qui ne comprend pas pourquoi tout le monde lui demande ses secrets de longévité. « Je ne bois pas de potion magique, je ne mets même pas d’antirides ! », plaisante-t-elle. Ikaria, île du nord-est de la mer Egée où résident 8 400 habitants, est l'une des cinq « zones bleues » du monde, avec la Sardaigne, une région montagneuse du Costa Rica, Okinawa au Japon et Loma Linda en Californie, où l'on recense un haut pourcentage de nonagénaires et centenaires.

Dix fois plus de personnes de plus de 90 ans qu’ailleurs

Une étude menée par l’université de médecine d’Athènes, publiée en 2011 dans la revue « Cardiology Research and Practice », constate qu’à Ikaria il existe dix fois plus de personnes âgées de plus de 90 ans qu’ailleurs. « Alors que dans le reste de l'Europe, seulement 0,1 % de la population a plus de 90 ans, à Ikaria, le chiffre est dix fois supérieur, à 1,1 % en 2009 », explique le Dr Christina Chrysohoou, cardiologue ayant participé à la recherche. En 2009, l’équipe de chercheurs a soumis des questionnaires à 1 420 habitants de l’île, dont 13 % avait plus de 80 ans. Les résultats montrent que cette longévité chez les habitants d’Ikaria est liée à plusieurs facteurs : une activité physique quotidienne, un régime alimentaire sain, des siestes tous les jours, un faible tôt de fumeurs, une solidarité intergénérationnelle.

Non seulement, les Ikariotes vivent longtemps mais ils sont aussi en bonne santé. « D’après nos recherches, les cancers et les maladies cardiaques y sont plus rares qu’ailleurs et touchent les habitants dix ans plus tard que la moyenne. Les problèmes d’arthrose sont plus rares et on observe moins de cas de diabète de type 2. Les dépressions sont peu fréquentes car les personnes âgées ne sont pas isolées, elles sont intégrées aux fêtes de village et elles sont actives dans la communauté », soutient le Pr Christodoulos Stefanadis, professeur à l’université de médecine d’Athènes et cardiologue. L’alimentation explique pour beaucoup la bonne santé des Ikariotes. Ce n’est pas un hasard si la cheffe greco-américaine Diana Kochila a élu domicile sur l’île une partie de l’année pour débusquer les secrets de ce régime. « J’ai interrogé la population de l’île de plus de 80 ans pour savoir ce qu’ils mangeaient plus jeunes. Il en ressort une alimentation à base de champignons, de légumes, d’herbes sauvages - plus de 35 espèces différentes sont présentes sur l’île - de patates, des céréales surtout de l’orge et du seigle », précise celle qui anime plusieurs émissions sur les chaînes de télévision américaines. Au niveau des boissons, « le lait de chèvre est privilégié. Ils boivent beaucoup de tisanes avec de la menthe, de la sauge, du romarin mais aussi deux tasses de café fraîchement moulu par jour », ajoute Diana Kochila. Certains y ajoutent le vin ! Selon Nikos Afianes, pharmacien devenu il y a quelques années œnologue, « le sol sur l’île est composé de granites avec un fort taux en sulfure, le vin produit est riche en antioxydants excellents pour la santé ».

Questionner la génétique

Outre cette hygiène de vie, Kyriaki Spanou estime qu’à Ikaria « le temps n’a pas la même valeur. Les Ikariotes savent apprécier le présent, ils ne stressent pas comme dans une grande ville où il faut être productif ». Les Ikariotes « ne cherchent pas le profit à tout prix, ils ne vivent pas dans une société consumériste et du paraître et se soucient peu d’avoir plus d’argent que leurs voisins », poursuit la dramaturge qui a créé un séjour bien-être (« Ikaria longevity retreat ») pour essayer de transmettre aux citadins cette philosophie de vie. Prochaine étape pour percer l’énigme de cette longévité ? « Questionner la génétique des habitants de l’île, confie le Pr Stefanadis. Nous allons étudier l’ADN de plusieurs générations pour déterminer s’ils ont développé à Ikaria des anticorps particulièrement puissants. »

De notre correspondante Marina Rafenberg

Source : Le Quotidien du médecin: 9636