Polémique autour des logos nutritionnels : la mise au point du Pr Benoît Vallet (DGS)

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Publié le 18/07/2016
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Crédit photo : S. TOUBON

Le débat fait rage depuis la parution, le 8 juillet dernier, d'une enquête dans le journal « le Monde » autour de l'étude de terrain qui va être menée à partir de septembre par le Fonds français pour l'alimentation et la santé (FFAS) afin de déterminer quel logo nutritionnel, sur les 4 proposés, sera recommandé par le ministère de la Santé.

Les détracteurs de l'évaluation fustigent en effet les liens d'intérêt entre l'industrie agroalimentaire et le FFAS, voire les chercheurs qui composent le comité scientifique de l'étude. Le directeur général de la santé et coprésident du comité de direction de l'étude Benoît Vallet revient avec nous sur les points qui fâchent.

LE QUOTIDIEN : Les critiques ont été nombreuses concernant le financement de l'évaluation des logos nutritionnel par le FFAS, en partie assumé par l'industrie. Comment s'assurer qu'il n'y a pas d'ingérence ou d'orientation des résultats ?

Pr BENOÎT VALLET : Il faut bien comprendre qui finance quoi. La partie opérationnelle de l'étiquetage, qui va de la production d'étiquette à leur apposition sur les produits, relève de nos partenaires industriels, et est donc financée par eux. Il nous paraissait en revanche important que la partie strictement scientifique de l'étude (établissement du protocole, contrôles de divers niveaux, extraction des données et analyse statistique, et restitution du résultat final) soit à 100 % financée par l'État, ce qui est le cas.

Les contrôles réguliers et menés à l’improviste dans les 40 magasins de l’expérimentation sont aussi pris en charge par la DGS. Nous vérifierons ainsi que les étiquettes sont correctement apposées sur les bons produits. Ces contrôles réguliers et coûteux, nécessitant un suivi soigneux, sont la raison pour laquelle il a été choisi une durée de l'expérimentation de 10 semaines sur un grand nombre de sites et non pas une durée longue d’un an sur un nombre limité de magasins.

Qu'en est-il de la production des supports informatifs fournis au public pour expliquer la nouvelle nomenclature ? Qui doit s'en charger ?

Cette tâche est confiée à l'agence LinkUp qui doit suivre un cahier des charges fourni par le comité scientifique. Les affiches et les flyers seront ensuite analysés qualitativement par ce même comité, pour s'assurer qu'aucun des 4 logos ne sera favorisé.

Nous avons eu récemment la confirmation du départ du comité de pilotage du président de l'INSERM, le Pr Yves Lévy, qui n'a pas souhaité commenter sa décision. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur les circonstances de sa démission ?

Il a pris sa décision suite au départ de deux chercheurs INSERM du comité scientifique (les Pr Philippe Ravaud et Denis Hémon NDLR), qui estimaient que le concept même de ce travail risquait de ne pas aboutir. Au bout d'un certain temps de réflexion, le Pr Lévy a considéré qu'il n'apporterait pas grand-chose au comité de pilotage dans ces conditions.

Il est important de noter que l'INRA est toujours présent dans le comité, ainsi que des représentants des associations de consommateurs UFC et CLCV (consommation, logement et cadre de vie).

La mise en place d'un nouveau logo nutritionnel plus informatif est une volonté affichée par le gouvernement à travers la loi de santé et le plan national santé environnement (PNSE). Pourquoi ne pas le rendre obligatoire ?

Le score nutritionnel ne figure pas sur la liste des informations obligatoires selon la réglementation européenne, et nous n'avons pas le droit de les rendre obligatoires. C'est la raison pour laquelle des recours ont été déposés contre le logo anglais « traffic light » qui était également facultatif.

Il est important de noter que, suite à un dialogue entrepris le 6 juillet dernier, nous allons intégrer un représentant de la Commission européenne au comité de pilotage. Nous devons nous assurer que le logo qui sera recommandé par l'ANSES à l'issue de notre expérimentation répondra aux recommandations européennes, ce qui n'est pas tout à fait le cas des logos 5-C et SENS.

Par ailleurs, le caractère facultatif du logo nutritionnel rend primordiale l'implication des industriels dans l'évaluation de son impact. Si au final ils ne l'appliquent pas, le logo sera inutile.

Concrètement, qui sera chargé d'extraire les informations nutritionnelles de chaque produit et de les rentrer dans l'algorithme afin de calculer le score correspondant ?

Ce sont également les industriels qui s'en chargeront. Nous sommes en train de discuter avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour qu'ils acceptent de procéder à des contrôles aléatoires afin de s'assurer que cette étape soit correctement réalisée. La DGCCRF siège également au comité de pilotage et devrait nous confirmer son accord pour la réalisation de ces contrôles dans les prochains jours.

Les magasins Leclerc ont lancé en avril une expérimentation de leur propre logo, le Nutri-Mark. Le président du FFAS, Christian Babusiaux, nous a affirmé vouloir le comparer aux autres candidats, est-ce que cela ne va pas retarder l'étude ?

L'idée n'est pas de l'inclure dans notre étude, mais de comparer les résultats de l'expérimentation faite par Leclerc dans ses magasins et ses LeclercDrive avec nos propres résultats. Leclerc nous a demandé de pouvoir faire évaluer son logo auprès de l'ANSES qui a estimé que cette comparaison pourrait être possible, et ce d'autant plus que ce logo se base sur le score de Rayner, comme le 5-C. Sa « carrosserie », c’est-à-dire la façon de présenter l'information, est-elle sensiblement différente.

Cette comparaison ne retardera pas l'étude qui commencera en septembre 2016 pour des résultats prévus avant la fin de l'année 2016.

L'année 2017 pourrait connaître un changement de majorité et de gouvernement. Est-ce que cela peut menacer la mise en place du logo qui sera in fine recommandé par l'ANSES ?

Toutes les lois peuvent être défaites, mais je ne vois pas pourquoi cette mesure de santé publique serait stoppée par un nouveau gouvernement. Nous attendons la parution imminente au « Journal officiel » du décret qui fixe le cadre de notre mission.

Au final, ce sont les industriels qui décideront réellement de l'application ou non de ce nouveau logo, et donc de son impact.

Propos recueillis par Damien Coulomb

Source : lequotidiendumedecin.fr