Transplantation hépatique : l'Académie de médecine appelle à repenser l'organisation des soins

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Publié le 24/05/2023
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Crédit photo : Phanie

La transplantation hépatique n'est plus (seulement) un défi technique et médical, mais surtout un enjeu de société, interpelle l'Académie nationale de médecine, appelant à une révision de son organisation, dans un rapport publié ce 23 mai, fruit d'auditions et d'analyses de la littérature conduites entre mars et octobre 2022.

La transplantation hépatique est un traitement très efficace des formes les plus graves de cirrhose, ainsi que des petits carcinomes hépatocellulaires localisés, rappelle l'Académie. Après la greffe, la survie à un an varie entre 85 et 95 %, l'espérance de vie à 10 ans est d'environ 70 %. Quelque 1 225 transplantations hépatiques ont été réalisées en 2021 dont 97 chez les enfants, et près de 1 300 en 2022, par les 19 équipes (dont 4 spécifiquement pédiatriques) installées en métropole, dans les CHU autorisés.

Rareté des greffons

Mais derrière ces bons résultats, « exceptionnels pour une maladie mortelle à très court terme », se trouvent des situations très délicates. C'est d'abord le cas pour les patients qui se trouvent sur la liste d'attente nationale - quand il n'y a pas eu d'autocensure avant l'inscription, à cause notamment des délais d'attente et de la complexité du parcours.

La mortalité s'y élève à 10 à 15 % en raison de la rareté des greffons. Les patients candidats sont de plus en plus âgés, et les plus graves sont greffés les premiers, ce qui a permis une diminution de la mortalité. Mais les exceptions à cette règle sont de plus en plus nombreuses (jusqu'à 30 % en 2021). Et certains profils sont défavorisés dans l'accès aux greffons, comme les receveurs du groupe O ou les femmes porteuses de cirrhose.

Par ailleurs, le déséquilibre entre l'offre et le besoin en greffons conduit à utiliser des organes dits marginaux, en raison de l’âge du donneur (en 2021, 36 % des donneurs en état de mort encéphalique avaient plus de 65 ans), de la survenue d’un arrêt cardiaque prolongé avant le prélèvement ou de la présence d’une stéatose sur le greffon. Ces greffons peuvent être à l’origine de dysfonctions précoces, après réimplantation, qui se traduisent par une augmentation de la morbidité et de la mortalité postopératoire, voire une retransplantation.

Une qualité et une offre à optimiser

L'Académie de médecine recommande de renforcer les actions pour augmenter les prélèvements d’organes sur donneurs décédés en impliquant les associations, en proposant que le don d’organe soit inscrit au programme d’enseignement des collégiens et des lycéens, et en incitant à faire état de son choix pour le don de ses organes lors de la rédaction des directives anticipées. Le taux de refus de prélèvement est encore de 36 %.

Elle suggère aussi de professionnaliser l’activité de prélèvement au sein de plateformes régionales de prélèvement-conditionnement-distribution des greffons, pour en améliorer la qualité. Elle plaide pour le développement des prélèvements sur donneurs décédés après arrêt cardiaque et limitations des thérapeutiques (LATA), sur la lancée de ce qui se fait déjà (+44 % en 2021, pour atteindre 130 greffons, soit 11 % des greffons hépatiques - ce qui reste loin des 50 % des Pays-Bas).

Quant aux greffons marginaux, leur meilleure caractérisation, via une évaluation anatomopathologique, est une priorité, tout comme la généralisation des systèmes de perfusions hypothermiques et normothermiques (prévue dans le plan Greffe 2022-2026), qui permettent de « réparer » les fonctions de ces greffons marginaux. Même s'il n'y a pas de consensus dans les centres de transplantation pour informer les candidats à la greffe sur ce type de greffons, le rapport plaide pour que sociétés savantes et agence de la biomédecine établissent un modèle pour ouvrir la discussion.

L'Académie invite aussi à se pencher sur le recours aux donneurs vivants, pour l'heure extrêmement marginal (cinq greffes en 2021), eu égard aux risques pour le donneur.

Soigner la vie post-greffe

Insistant sur la différence entre le succès médical qu'est la survie après greffe et la qualité de vie amoindrie des patients, le rapport recommande ensuite de développer un nouveau modèle d'organisation des centres de transplantation, qui prenne davantage en charge le suivi de la greffe, de façon multidisciplinaire.

« La greffe sauve la vie mais à long terme la vie du greffé est profondément altérée par les effets secondaires des traitements immunosuppresseurs et par les conséquences psychologiques de la confrontation du soi et du non-soi », lit-on.

Parmi les complications de l'immunosuppression figurent la surcharge pondérale, l'ostéoporose, l'hypertension artérielle, l’insuffisance rénale, un diabète, des dyslipidémies, voire des cancers de novo (en particulier en cas de cirrhose alcoolique).

Par ailleurs, environ deux tiers des patients transplantés rapportent des symptômes dépressifs, et un tiers présente une dépression sévère. Les raisons les plus fréquentes sont le sentiment de culpabilité vis-à-vis du donneur, les troubles du schéma corporel, l’incompréhension de l’entourage familial, ou les difficultés à trouver un travail. Ces troubles sont encore accentués chez les patients transplantés pour maladie du foie liée à l’alcool, parce qu’ils sont confrontés au risque de reprise de la consommation d’alcool - qui touche 5 à 26 % des patients (selon les définitions utilisées).

L'Académie préconise donc que les centres de transplantation incluent des équipes d’addictologie indépendantes ainsi que des équipes dédiées à l’information tout au long du parcours de soins des patients.


Source : lequotidiendumedecin.fr