UNE PÉTITION signée par 130 000 personnes (ce qui n’est pas si fréquent), alertant sur la « disparition programmée » de la pédiatre de ville. Des personnalités médiatiques (Romane Bohringer, Matthieu Chedid…) qui affichent leur soutien. Des syndicats et collectifs qui redonnent de la voix, à quelques semaines de la reprise des négociations conventionnelles. Depuis quelques semaines, la pédiatrie libérale s’efforce de se faire entendre. Le malaise cède parfois la place à la colère. Il s’agirait, affirment les plus alarmistes, d’une question de survie à l’horizon de quelques années.
Les pédiatres libéraux ont de solides arguments. La démographie, d’abord, ne plaide pas en leur faveur.
Alors que la France est, avec l’Irlande, le pays de l’Union européenne le plus performant en matière de natalité, avec un taux de fécondité supérieur à deux enfants par femme, le nombre de pédiatres de ville est en déclin régulier (1 700 spécialistes libéraux exclusifs - auxquels il faut ajouter 900 médecins ayant un exercice mixte - soit un quart seulement des quelque 6 800 pédiatres tous modes d’exercice confondus). Davantage que le nombre global de pédiatres, c’est la part décroissante des libéraux qui est en cause.
Dans de nombreuses villes de petite ou moyenne importance, dans des zones entières de départements franciliens, l’accès au pédiatre de proximité (en cabinet libéral ou centre de PMI) n’existe déjà plus.
Certes, le gouvernement a récemment pris conscience de ces perspectives inquiétantes et a décidé de donner un coup de pouce à la filière pédiatrique. Longtemps figé à 200 par an, le nombre de postes d’internat dans cette spécialité est passé à 253 puis 274 cette année. Ce qui ne change pas le sort de la pédiatrie de ville puisque l’immense majorité des nouveaux inscrits à l’Ordre…optent aujourd’hui pour un exercice hospitalier et salarié (87 %) ou pour des remplacements (7 %). Dès lors, même si la discipline reste relativement prisée, les pédiatres libéraux qui partent à la retraite ne sont plus remplacés, ou au compte-gouttes. Et la tendance va s’aggraver dans les années qui viennent avec les départs programmés de la moitié des pédiatres de ville d’ici à 2017 (âgés en moyenne de 54 ans pour les hommes et 48 ans pour les femmes). En 2025, moins d’un pédiatre sur sept aura une activité libérale, selon certaines projections. Une façon d’éteindre la spécialité à petit feu ?
Selon l’Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA), la France compte déjà seulement un pédiatre libéral pour 5 300 enfants, soit « trois fois moins que la moyenne européenne et huit fois moins qu’en Italie ». La forte féminisation qui caractérise les jeunes promotions (70 %) est également une donnée à prendre en compte dès lors qu’elle s’accompagne d’un exercice à temps partiel plus fréquent.
Parents pauvres.
La question des effectifs médicaux n’est qu’un volet du dossier. La spécialité souffre d’un manque de considération (statutaire, identitaire, financier) qui alimente le désarroi actuel. Les pédiatres libéraux (à plus de 70 % en secteur I) se situent au bas de l’échelle des revenus médicaux (lire tableau), avec un résultat imposable moyen 2009 de 73 600 euros, au même niveau que les psychiatres, mais désormais largement distancés, et de plus en plus, par les autres « cliniciens » - médecins généralistes (80 100 euros), dermatologues, rhumatologues ou neurologues. L’écart s’est surtout creusé avec les spécialités techniques, faute de revalorisation significative des consultations pédiatriques lourdes et chronophages (sans autres lettres clés à disposition). En moyenne, les revenus des pédiatres en tarifs opposables sont inférieurs de 30 % à ceux des autres spécialistes de secteur I.
C’est pourquoi les représentants pédiatres attendent beaucoup de la mise en place du versant clinique de la CCAM (classification commune des actes médicaux), qui sera au menu des prochaines négociations conventionnelles. Reste à savoir si la pédiatrie libérale sera classée cette fois au rang des priorités des partenaires alors que, lors des précédents rounds conventionnels, le sort des spécialités cliniques a toujours été traitée en fin de négociation.
Expertise.
Enfin (surtout), c’est l’expertise même de la pédiatrie de ville qui est implicitement mise en cause.
Le pédiatre libéral affronte plusieurs discours qui ne lui facilitent pas la tâche. Celui d’une partie des généralistes qui considèrent le pédiatre de ville comme un rival dans la prise en charge des jeunes enfants ; celui, parfois condescendant, de « confrères » spécialistes ou, pire, de pédiatres hospitaliers très spécialisés qui portent une vision réductrice de la pédiatrie de ville. Quant aux autorités de tutelle, leur empressement modéré à défendre la pédiatrie libérale accrédite la thèse que la « crise » n’est pas si grave ou que les transferts d’activité vers la médecine générale ne sont pas illégitimes. Sans compter, rappelle-t-on parfois, que certains pays n’ont pas fait le choix de la pédiatrie libérale…
C’est finalement le rôle spécifique et unique du pédiatrie libéral qui est parfois mis en doute. D’où l’argumentaire développé par l’AFPA dans sa pétition. « L’enfant n’est pas un adulte en miniature : son suivi, de la naissance à l’adolescence, demande des compétences spécifiques », peut-on lire. Une exigence renforcée, insiste l’AFPA, par le développement de nouvelles pathologies (hyperactivité, dépression, obésité…), « de nouvelles vulnérabilités » (enfants prématurés, familles séparées…) et de nouvelles approches du suivi des pathologies chroniques.
En 2010, le ministère de la Santé, déjà interpellé par des parlementaires sur le sort des pédiatres de ville, s’était contenté de renvoyer à la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires). Ce texte prévoit une anticipation du nombre d’internes à former par spécialité et subdivision territoriale pour une période de cinq ans. Ainsi, expliquait-on, il sera possible d’adapter la proposition des postes d’internes (quotas) au plus près des besoins. Surtout, les stages des internes au sein de cabinets ambulatoires seront développés afin de les fidéliser à ce type d’exercice. Lors de ses vœux à la presse, en janvier, Xavier Bertrand a assuré qu’il avait entendu le cri d’alerte des pédiatres et des patients pétitionnaires. Mais sans en dire davantage sur ses intentions. Le Dr Francis Rubel, du Syndicat national des pédiatres français (SNPF), a encore des doutes. « Pour l’instant, c’est le statu quo, il ne se passe rien ».
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