LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Quel a été votre parcours médical étant enfant ?
MATHIEU LE MENTEC : À ma naissance, en 1979, il n'y a pas eu de questionnement quant à mon assignation de genre : j'ai été assigné genre masculin. Je n'étais pas né avec les organes génitaux typiques. Pour le corps médical, il fallait faire quelque chose. À 9 mois, j'ai eu des explorations, dont un bilan génétique avec des techniques du début des années 1980. Dès ce moment-là, il a été question de chirurgie. Entre 3 et 8 ans, j’ai subi sept interventions chirurgicales, avec ce que cela suppose de traitements préparatoires, d’hospitalisations et de complications. Tout cela s’est accompagné du silence des médecins et de l'absence d'accompagnement psychologique. J’ai eu ensuite un suivi endocrinologique jusqu'à mes 16 ans, parce que les injections de testostérone ont provoqué une puberté précoce, un âge osseux problématique, etc. Puis, plus aucun suivi ne m’a été proposé.
Comment vos parents ont-ils vécu cette situation ?
Les premières victimes dans la prise en charge médicale de l'intersexuation, ce sont les parents, à qui l'on dit que leur enfant n'est pas normal et qui se sentent responsables. Le tabou, le secret et la honte prédominent encore. Or, il est possible d’accueillir les enfants en situation d'intersexuation, sans dramatiser la naissance, ni utiliser de terminologie médicale incompréhensible, voire péjorative ou de jugements moraux négatifs. La confiance de mes parents dans le corps médical les a fait suivre le sens des décisions médicales.
Pourquoi avez-vous décidé de porter plainte contre X ?
Cette plainte est un acte militant. Je le fais pour toutes les personnes intersexes pour qui ces actes illicites [actes pratiqués sans consentement libre et éclairé de l'enfant, NDLR] sont aujourd’hui prescrits. Il s’agit de les rendre visibles. Mon corps a été rendu malade par les pratiques médicales, comme souvent dans les cas d'intersexusation. J’entends ainsi faire la promotion de la dépathologisation de l’intersexuation. Un effort de dédramatisation est indispensable de la part du corps médical. D’autant que la parole se libère. La médiatisation de ces questions va entraîner de plus en plus de jeunes à prendre cette parole. Le corps médical doit se préparer à accueillir ces personnes et leurs problématiques médicales.
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Mathieu Le Mentec : « Le tabou, le secret et la honte prédominent encore »
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