Oncologie digestive

Pancréas, le casse-tête des lésions précancéreuses

Publié le 19/05/2017
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Le congrès francophone de gastro-entérologie (JFHOD) a accordé cette année une large place à la cancérologie digestive, avec notamment de nombreuses communications sur les promesses de l'immunothérapie et plusieurs sessions dédiées aux cancers et aux lésions précancéreuses du pancréas dont la prise en charge soulève encore de nombreuses interrogations. Le congrès a aussi permis d’aborder des questions d’actualité comme les dangers des IPP au long cours et de présenter les nouvelles recos sur la constipation.
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Crédit photo : Fotolia / Alexandr Mitiuc

Le cancer du pancréas sera probablement la deuxième cause de décès par cancer en 2020 dans les pays industrialisés. Pour autant, faut-il traquer et retirer toutes les lésions pancréatiques précancéreuses ? La question n’est pas simple, comme en témoignent les échanges qui ont eu lieu sur ce thème lors des Journées francophones d’hépato-gastro-entérologie et d’oncologie digestive (JFHOD, Paris, 23-26 mars 2017).
Une tumeur kystique du pancréas serait présente chez plus de 20 % de la population de plus de 60 ans, et il devient de plus en plus banal d’en découvrir fortuitement. Il s’agit le plus souvent de tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses (IPMN).
 

Des critères de haut risque de malignité

Le consensus de Fukuoka (Pancreatology 2012) a distingué des critères de haut risque de malignité devant conduire à envisager la chirurgie – ictère, composante solide, nodule mural, atteinte du canal principal (dilatation > 10 mm) – et des facteurs « préoccupants »  – pancréatite, kyste > 3 cm, composante solide, nodule mural, canal principal entre 5 et 9 mm, voie biliaire principale dilatée –, justifiant une surveillance et la chirurgie en cas d’atteinte du canal principal, de nodule ou de cytologie positive.
Plusieurs études confirment l’intérêt de ces critères et notamment l’importance de la localisation des IPMN. Dans une cohorte de 285 patients, le risque à 5 ans de cancer du pancréas s’élevait à 45 % et celui de décès lié à ce cancer à 19 % en cas d’atteinte du canal principal, mais à seulement 4 % et 2 % en son absence (Nagata N. et coll, Radiology 2016).

Le risque de décès lié aux lésions précancéreuses du pancréas doit être relativisé chez les personnes âgées ayant souvent des comorbidités. Le suivi de 281 patients inopérables indique une survie globale à 5 ans de 81 %, mais une survie spécifique de 90 %. La survie spécifique à 5 ans atteignait 96 % en cas de critères préoccupants, et 60 % en cas de critères de haut risque (Crippa S. et coll, Gut 2017). Cette étude souligne, par ailleurs, le caractère péjoratif d’un canal principal > 15 mm.

Pour le Pr Vinciane Rebours (hôpital Beaujon), « il est raisonnable de proposer une surveillance aux personnes âgées ayant seulement des critères préoccupants, alors que la chirurgie est clairement indiquée en cas de facteurs de haut risque. Peut-être un traitement conservateur pourrait-il être également envisagé lorsque le canal principal est compris entre 5 et 9 mm, en particulier en cas de comorbidité ». Le suivi et l’indication chirurgicale restent débattus pour les patients ayant une IPMN localisée à une branche secondaire. « La seule certitude, c’est que ces patients doivent être pris en charge dans des centres experts », a souligné le Pr Rebours.
 

Les promesses de l’immunothérapie

Si l’immunothérapie constitue une piste thérapeutique pour le cancer du pancréas (cf ci-dessus) elle suscite aussi des espoirs pour d’autres cancers digestifs.
Chez des patients atteints de cancers métastatiques œso-gastriques exprimant PD-L1, le nivolumab a fait la preuve d’une amélioration modeste, mais significative de la survie globale (26,6 vs 10,9 % à 6 mois), dans un essai de phase 3 incluant 493 patients, en 3e ligne ou plus. Le taux de réponse était de 11 %. « Il y a donc une démonstration claire de l’efficacité de ces thérapeutiques chez certains patients atteints de cancers œso-gastriques », estime le Pr Rosine Guimbaud (CHU de Toulouse).

Le nivolumab semble aussi prometteur pour les cancers du canal anal. Dans une première étude de phase 2 incluant 37 patients atteints de formes métastatiques non résécables, le nivolumab en 2e ligne a entraîné 9 réponses (24 %), dont 2 complètes. Des résultats similaires avaient été observés en 2015 avec le pembrolizumab.
Un taux de réponse au nivolumab de 16 % a aussi été observé, indépendamment du statut PD-L1, chez 214 patients atteints d’hépatocarcinome avancé.
Enfin, l’usage de l’immunothérapie se profile déjà pour les cancers colorectaux avec instabilité microsatellite (cancers caractérisés par des variations de petites séquences d’ADN, non codantes, réparties aléatoirement dans le génome), malheureusement les plus rares.

 

Les biopsies liquides, solution d’avenir

Pour les patients jeunes, la chirurgie devrait probablement être proposée, même en l’absence de critères préoccupants, en pesant les risques liés au cancer et la morbimortalité de la chirurgie. Les biopsies liquides pourraient apporter une solution dans les prochaines années en permettant de détecter des mutations dans l’ADN tumoral circulant.
Côté traitement, peu de chose a changé pour le cancer du pancréas depuis la grande désillusion des thérapies ciblées. Mais des essais sont en cours, avec différents types d’immunothérapie (inhibiteurs de check-point ou thérapies adoptives) et avec des vaccins à base de cultures cellulaires. « Il y a donc de gros efforts et il ne fait pas de doute qu’il y aura des signaux intéressants », a estimé le Pr Rosine Guimbaud (CHU de Toulouse). Tout l’enjeu est maintenant de trouver des biomarqueurs pour repérer les patients pouvant bénéficier de ces immunothérapies.

Des recos pour la constipation

La Société nationale de colo-proctologie a publié en 2016 de nouvelles recos sur la constipation, qui hiérarchisent les différentes stratégies. Les conseils alimentaires sont la première étape, la seule recommandation étant une augmentation des apports en fibres. « Les apports moyens dans la population sont de 12 g/j », a souligné le Dr Nadia Fathallah (hôpital Saint-Joseph, Paris), alors que 25 à 30 g/j sont recommandés. Les mucilages (dont le psyllium, qui s’est montré le plus efficace dans plusieurs essais randomisés) et les laxatifs osmotiques (PEG en particulier, plus efficace que le lactulose) sont les médicaments de première intention.
Les laxatifs stimulants démystifiés En deuxième intention viennent les laxatifs stimulants, longtemps ostracisés par crainte d’effets secondaires non validés, les cholékinétiques (prucalopride) et les lubrifiants. « Il faut démystifier les laxatifs stimulants », a commenté le Pr Thierry Piche (CHU de Nice). Prudence, au contraire, pour les lubrifiants chez les personnes âgées, en raison du risque d’inhalation. Pour la constipation d’évacuation, les suppositoires à dégagement gazeux et l’irrigation transanale sont des armes thérapeutiques de choix et la rééducation fonctionne bien, au point qu’aujourd’hui le biofeedback a un niveau de recommandation supérieur dans la constipation que dans l’incontinence fécale. Enfin, la place de la chirurgie est limitée. Des défécographies systématiques montrent une rectocèle chez 80 % des femmes asymptomatiques (Shorvon P. J., Gut 1989) et 70 % des femmes ayant une constipation terminale sur rectocèle répondent bien aux fibres et au biofeedback (Hicks CX, Surgery 2014).

Dr Isabelle leroy

Source : lequotidiendumedecin.fr