Prévention des allergies alimentaires : les arguments pour une diversification précoce et non restrictive 

Publié le 16/05/2016
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Crédit photo : RUTH JENKINSON/SPL/PHANIE

Dans la prévention de l’allergie,  il est possible et souhaitable d’introduire dès l’âge de 4 mois  chez l’enfant normal tous les aliments y compris ceux qui sont réputés les plus allergisants

Jusqu’au début des années 2000, la prévention primaire de l’allergie alimentaire (AA) reposait sur l’introduction différée des aliments potentiellement allergisants (lait de vache, œuf de poule, poisson, céleri, arachide, etc.). En 2006, l’ACAAI (American College of Allergy, Asthma and Immunology) recommandait les âges optimaux suivants pour l’introduction des aliments chez le nourrisson à risque allergique : lait de vache (12 mois), œuf (24 mois), arachide, noix diverses, poisson et fruits de mer (après 36 mois) (1). Chez tous les enfants de la population générale l’ACAAI préconisait d’introduire les aliments solides l’ACAAI après 6 mois et, pour les aliments potentiellement allergisants (œuf, arachide, poisson, fruits de mer) de le faire avec prudence, en commençant par de petites quantités, en évitant de donner des aliments mixés sans s’être assuré que chaque ingrédient était toléré (1).

Mais, à l’inverse de ces préconisations, plusieurs études ont ensuite suggéré que l’introduction de ces aliments (lait de vache, œuf, poisson, arachide) devait se faire dans une fenêtre d’opportunité située entre 4 et 6 mois (plus près de 4 que de 6 mois) car elle était associée à un risque allergique moindre par rapport à l’introduction différée après 6-12 mois.

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Le constat le plus surprenant fut celui de DuToit et coll. (2) qui, en 2008, montrèrent que la prévalence de l’AA à la cacahuète était de 1,85 % chez les enfants juifs vivant au Royaume-Uni, et de seulement 0,17 % en Israël, soit 11 fois inférieure ! Cette différence considérable fut attribuée à l’éviction précoce de l’arachide au Royaume-Uni alors qu’en Israël elle était introduite très précocement sous forme de bouillies dans les biberons. Ce résultat était conforme à l’hypothèse du groupe de Gideon Lack pour qui la consommation précoce d’allergène (ici l’arachide) est de nature à induire la tolérance alimentaire, alors que le contact cutané (crèmes, topiques) ou l’inhalation d’allergènes (pollens, particules de cuisson) est inducteur d’allergies.

Les questions posées étaient alors de deux types : I) Faut-il vraiment introduire précocement les aliments chez l’enfant sans risque allergique, pour parler simplement l’enfant normal sans antécédent allergique prouvé dans la famille nucléaire (mère, père, frères ou sœurs) ? II) Faut-il même, chez le nourrisson atopique, tenter d’introduire précocement des aliments potentiellement allergisants pour éviter qu’il ne devienne allergique à ces aliments ?

L’étude EAT (Enquiring About Tolerance) (3) porte sur 1303 nourrissons âgés de 3 mois exclusivement nourris au sein, randomisés en 2 groupes : I) poursuite de l’allaitement maternel exclusif jusqu’à 6 mois ; II) introduction précoce de 6 aliments (arachide, lait de vache, sésame, poisson, blé) et poursuite de l’allaitement au sein. À l’âge de 3 ans, la fréquence de l’AA à l’un ou l’autre des aliments introduits précocement n’était pas statistiquement différente dans les 2 groupes : 7,1% (introduction précoce)  vs. 5,6% (allaitement au sein exclusif). On notera que tous les nourrissons avaient eu des prick tests (PT) avant l’entrée dans l’étude : ceux dont le PT positif avait été suivi d’un test de provocation oral (TPO) également positif furent exclus. Surtout près de la moitié (42,8%) des enfants du groupe « introduction précoce » avait eu des difficultés à suivre l’étude, contre 92,9% dans le groupe « sein exclusif ». Une analyse per-protocole ne tenant compte que des nourrissons « qui n’avaient pas eu trop de difficultés à suivre l’étude » montrait une plus faible fréquence des AA à l’arachide (0% vs 2,5%, p=0,003) et à l’œuf (1% vs. 5,5%, p=0,009). Ce sont des résultats mitigés, mais, à notre avis, l’étude mérite d’être reprise : I) en éliminant certains biais comme le fait de proposer du sésame à un nourrisson dont la famille (et le pays où il se trouve) n’en consomme pas (ou très peu) ; II) en facilitant l’adhésion au protocole ; III) par la promotion d’études ne portant que sur un seul aliment.

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L’étude LEAP (Learning Early about Peanut allergy) (4) porte sur 640 nourrissons présentant une allergie à l’œuf et/ou une dermatite atopique sévère, âgés de 4 mois (au moins) à 11 mois (au plus) au moment de la randomisation. Le PT à l’arachide était positif (> 4mm) chez 76 nourrissons, les autres ayant un PT négatif ou intermédiaire (1 à 4 mm), mais parmi ces derniers les 6 qui avaient un TPO positif à l’arachide furent exclus. Le groupe « introduction précoce de l’arachide » consommait 6 grammes de protéines d’arachide, 3 fois par semaine, jusqu’à l’âge de 5 ans où ils ont bénéficié d’un TPO à l’arachide ou d’un test de réintroduction orale de l’arachide selon les risques estimés par les observateurs. Finalement la prévalence de l’AA à l’arachide fut de 13,7% dans le groupe qui avait évité de consommer de l’arachide contre 1,9% dans celui qui en avait consommé précocement (p<0,001), soit une réduction du risque allergique de 6,2 fois ! 

Il fallait savoir si les enfants qui avaient consommé précocement de l’arachide avaient été désensibilisés (tolérance d’une plus grande quantité d’arachide avec risque de la perdre si la consommation d’arachide était interrompue) ou s’ils avaient une tolérance à l’arachide (acquisition d’une tolérance orale même après arrêt prolongé des prises d’arachide). L’étude LEAP-ON (5) a consisté à arrêter l’arachide chez tous les enfants pendant un an : l’AA à l’arachide fut moins fréquente dans le groupe qui avait consommé précocement cette protéine (4,6% vs. 18,6%, p<0,001). Ce résultat est donc en faveur d’une acquisition de la tolérance orale, même s’il est parfois difficile de distinguer entre « désensibilisation » (ce qui n’est pas mauvais résultat mettant à l’abri des réactions suivant une ingestion accidentelle) et « tolérance vraie ».

En conclusion, il est donc possible et souhaitable d’introduire, dès l’âge de 4 mois, chez l’enfant normal tous les aliments y compris ceux qui sont réputés les plus allergisants (lait, œuf, arachide, poisson, blé, etc.). Mais pour ceux qui ont une allergie précoce ou sont à risque d’en avoir une (atteints de dermatite atopique ou ayant des antécédents familiaux allergiques) c’est tout autre chose : pas question de les soumettre à une « induction de tolérance sauvage » sans bilan allergologique préalable, donc  sans prise d’un avis d’expert.

Références

1. Fiocchi A, Assa'ad A, Bahna S; Adverse Reactions to Foods Committee; American College of Allergy, Asthma and ImmunologyFood allergy and the introduction of solid foods to infants: a consensus document. Adverse Reactions to Foods Committee, American College of Allergy, Asthma and Immunology. Ann Allergy Asthma Immunol. 2006; 97(1):10-20

2. Du Toit G, Katz Y, Sasieni P, et al. Early consumption of peanuts in infancy is associated with a low prevalence of peanut allergy. J Allergy Clin Immunol 2008; 122(5): 984-91

3. Perkin MR, Logan K, Tseng A et coll. Randomized Trial of Introduction of Allergenic Foods in Breast-Fed Infants. N Engl J Med. 2016;374(18):1733-43. 

4. DuToit G, Roberts G, Sayre PH et coll. Randomized Trial of Peanut Consumption in Infants at Risk for Peanut Allergy. New Engl J Med 2015; 372(9) : 803-13.

5. Du Toit G, Sayre PH,Roberts G et coll. Effect of Avoidance on Peanut Allergy after Early Peanut Consumption. N Engl J Med. 2016 14;374(15):1435-43.

 

Pr Guy Dutau

Source : lequotidiendumedecin.fr