« Nous sommes les seuls à appréhender la santé des gens en les observant dans leur vie quotidienne. Pas question de tricher sur ses habitudes, ses antécédents, ses addictions : le médecin du travail à une vision à 360 degrés et peut prévenir les difficultés », explique l’un d’entre eux qui exerce en inter-entreprises dans la sidérurgie. Rapidement, les témoignages pleuvent, les incompréhensions s’empilent. « Aucun changement significatif n’est observé depuis 10 ans en France », déplore un observateur du centre d’études et d’emplois européen à Bruxelles.
Parmi les 385 maladies professionnelles référencées sur le site de l’assurance-maladie, toujours rien sur le stress. Les professionnels déplorent que ce tableau ait finalement bien peu évolué depuis 15 ans. Sur le terrain, les médecins du travail constatent pourtant que le monde bouge. Une démonstration étonnante des chiffres de l’assurance-maladie, analysés cette année par l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), montre aussi que la situation se dégrade pour les femmes dont les accidents du travail augmentent régulièrement – la progression des maladies professionnelles serait même chez elles deux fois plus rapide que pour les hommes.
Fin de la quiétude et de la modestie
Dans ce contexte, les médecins du travail, qui n’ont pas le temps de faire connaître leur spécialité aux plus jeunes, ne restent pas les bras croisés et voient arriver « bouche bée » la stratégie nationale de santé au travail concocté par les deux ministères de la Santé et du Travail « pour améliorer le pilotage et la coordination des acteurs de la prévention des risques ». L’allocution de François Rebsamen, le 30 juin dernier à l’occasion du conseil d’orientation sur les conditions de travail, les a choqués.
« Il y a un choix fort, a dit le ministre. Clémenceau disait que la guerre est une affaire trop sérieuse pour la confier aux militaires. On pourrait dire ici que la santé est une affaire trop sérieuse pour en faire le chant des seuls experts et des médecins, aussi indispensables soient-ils. La bonne santé, c’est la qualité de vie au travail, et pour améliorer la qualité de vie au travail, nul besoin d’être médecin. C’est l’affaire de tous, du patron salarié en passant par leurs représentants. » Une position intolérable pour le Conseil national de l’Ordre des médecins qui défendra bec et ongles et jusqu’au bout cette spécialité. « J’ai déjà dit clairement que l’on ne bradera pas la santé par appartement », rappelle son président Patrick Bouet qui revendique toute l’utilité de la prise en charge médicale des agents et salariés dans leur cadre de vie professionnelle.
Statistiques inquiétantes
Ce regard médical au cœur de l’activité économique fait désormais remonter quelques statistiques inquiétantes. La reconnaissance des maladies professionnelles chez les femmes aurait donc bondi de 170 % (1) depuis ces onze dernières années. Les branches qui enregistrent les plus fortes progressions sont le commerce, l’industrie de l’alimentation, les services de santé et de nettoyage ainsi que le travail temporaire. Concernant les hommes, les maladies professionnelles reconnues sont certes moins fréquentes, mais souvent plus graves. Les branches les plus exposées restent la métallurgie, les transports, l’énergie et le BTP. Autant de secteurs où l’action des médecins sur le terrain est bien souvent le dernier rempart pour parler des problèmes de santé des travailleurs qui sont aussitôt bien orientés pour les résoudre ou en limiter les conséquences. Du discours aux actes, la prévention prend ici toute sa dimension. La pénibilité est une réforme, une politique : c’est avant tout une question humaine. Une équation dont seuls les médecins du travail tiennent sur le terrain, la solution.
Lanceurs d’alerte
Au moment où l’usine d’Highland Park à Détroit, célèbre le centenaire de la mise en marche de la première usine de montage à la chaîne, on tente d’oublier que le « fordisme » et la révolution industrielle dont elle demeure l’étendard a aussi su faire entrer les médecins dans les entreprises. Alors, si un progrès en chasse parfois un autre, éloigner les médecins des lieux de travail peut sans nul doute être considéré comme une régression. Aujourd’hui, les directeurs des ressources humaines se battent pour défendre le capital humain. Les médecins du travail à leurs côtés permettent de révéler parfois l’impensable au moment où les commissions d’hygiène et de sécurité pensent avoir tout anticipé. Des gestes simples, mais saccadés et répétitifs peuvent annoncer un handicap futur et il est du devoir de ces médecins experts de pouvoir avertir à temps. Les lanceurs d’alerte peuvent être au sein des organisations vécus comme des freins, ils sont au contraire de vrais leviers pour adapter le travail à l’homme et non l’inverse.
(1) Selon une étude de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) publiée en août 2014, en onze ans, les maladies professionnelles ont augmenté de près de 170 % chez les salariée.
Sur le terrain, les médecins du travail ont une longueur d’avance
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature