Vous avez publié, en octobre, L’Adieu interdit*, qui dénonce la mise à mal des droits des personnes en fin de vie engendrée par la gestion de l’épidémie de Covid-19 chez les personnes âgées. Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ce livre ?
Marie De Hennezel : Pendant le premier confinement, je participais à des plateformes de soutien à des Ehpad et des aidants. J’y ai pris conscience de l’horreur que vivaient à la fois les soignants, les familles et les aidants une fois la décision prise d’interdire toute visite, mais aussi d’accompagner les mourants – qui sont décédés seuls ou avec un soignant débordé par ses tâches – ainsi que tous les rites (toilettes, levées de corps, etc.) qui entourent la mort depuis la nuit des temps. La culture palliative a terriblement reculé. Et le grand scandale de ce confinement, dont les règles ont été partiellement assouplies depuis, est de ne pas avoir mesuré l’importance de l’accompagnement et des rites.
Qu’est-ce que cela dit de notre société ?
M. De H. : Cela parle d’une société dans laquelle la mort est taboue. Où les décisions sont prises par des politiques et des médecins ayant eux-mêmes un rapport difficile à la mort, qui les laisse démunis parce qu’ils ont été formés à guérir. On peut être à côté de la plaque soit en faisant de l’acharnement thérapeutique, soit en poussant à une hyper-protection de la vie biologique. Une personne ne se réduit pas à son corps ! La vie est aussi affective, sociale, spirituelle, démocratique : indivisible. Mais tout à coup, saisis par la peur, on a été pris d’une sorte de folie hygiéniste autour de ce fantasme d’éradiquer la mort, de ne prendre aucun risque – comme si la mort n’était pas un risque de la vie –, de surprotéger les personnes âgées, en ne les laissant pas libres de ce qu’elles considèrent bon pour elles.
Quels en sont les dégâts ?
M. De H. : Les dommages collatéraux sont énormes. Quelqu’un à qui l’on empêche de dire au revoir à un mourant le paie très cher et longtemps, en culpabilité, en dépression. On a aussi fait beaucoup de mal à toutes les personnes âgées qui vivent chez elles et se donnaient du mal pour conserver un vieillissement robuste. Les inciter à se protéger, c’est bien. Mais la peur a un effet catastrophique. Elles disent aussi à quel point elles sont perdues devant les contradictions d’une surprotection qui vient balayer tous les programmes mis en place depuis des années pour limiter la perte d’autonomie. Surprotéger les personnes âgées est une bombe à retardement. Quand à 75 ans on ne sort plus marcher depuis trois mois, la perte en tonus musculaire est irrécupérable. Dans un an, je suis sûre que le nombre de personnes dépendantes aura augmenté.
*L’Adieu interdit, éditions Plon, 160 pages, 16 euros
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