Courrier des lecteurs

Mon voeu pour 2021 : que l’Ordre cesse de protéger les praticiens prédateurs sexuels

Publié le 05/03/2021

Lettre ouverte au Président du CNOM

En ce début 2021, je viens vous présenter, de façon tout à fait inhabituelle, mes vœux pour ce nouvel an. Il fait suite à ce nouveau rapport qui a été publié par notre Cour des Comptes le 9 décembre 2019 sur l’Ordre des médecins, institution dont vous êtes le président national depuis 2013. Les 187 pages de ce document, accablantes, ont révélé des dérives considérables dans des domaines multiples : activité juridictionnelle et disciplinaire ; malversations financière et gestionnaire, appétit immobilier ; obscurantisme du fonctionnement au quotidien ; rentes de situation pour les conseillers ordinaux nationaux et départementaux, favoritisme familial ; bureaucratisation croissante avec multiplication de réunions indemnisées grassement pour les participants ; faillite dans l'application de la déontologie médicale ; manque de vigilance face à la relation médecins-industrie…

Et dans le chapitre du « traitement des plaintes pour des faits à caractère sexuel» que je souhaite aborder ici, elle nous livre un diagnostic sombre : l’Ordre ne présente pas seulement des faillites ponctuelles mais une faille systématique avec « couverture d’agissements », « irrégularité de procédure », « nombreux rejets de plainte » ou « manque de diligence dans le traitement des dossiers ». Une quinzaine d’affaires ont été plus particulièrement analysées. Elles ne représentent qu’une petite partie de la face ordinale inconnue. Elle est peu à peu dévoilée et mérite, selon moi, une enquête complémentaire approfondie auprès de l’ensemble des chambres disciplinaires.

Retour sur l'affaire Hazout

À titre d’exemple, je souhaite revenir dans la présente sur un des dossiers éclairant mon propos accusatoire : celui d’André Hazout, gynécologue médical médiatique et simultanément agresseur sexuel et violeur.

Comme vous le savez, sa pratique sexo-criminelle s’est exercée de 1985 à 2006. Durant cette période, l’Ordre a été alerté à plusieurs reprises, avec lettres de doléances et plaintes en 1988,1990,1995 et 2004… Il a décidé à chaque fois de rester dans l’immobilisme… Ce n’est qu’après que la justice commune a été saisie que le silence ordinal a cessé… La sanction disciplinaire a été prononcée, alors qu’il était à la fois retraité et mis en examen par notre justice commune.

Et votre conclusion sur cette affaire en octobre 2014 lors de l’interview de Michel Cymes à AlloDocteurs demeure effarante et inacceptable : vous prétendez que l’Ordre des médecins, avec son tribunal d’exception, a agi de manière satisfaisante… alors qu’il a été condamné par la cour d’appel de Paris à verser 3 000 € à l’une des dames victimes, « pour avoir couvert les agissements du médecin pendant de nombreuses années ».

Interrogations autour du procès Le Scouarnec

En cette nouvelle période de rupture du déni face aux violences sexuelles, je viens donc vous signifier mon vœu prioritaire pour que ce type de pratique intolérable ne soit plus exercée par l’institution ordinale, dans l’attente des changements structurels d'envergure, qui seront décidés par ailleurs.

La santé et le bien-être de nos concitoyens, qu’ils soient mineurs ou majeurs, doit retrouver la priorité sur toute complaisance et protection des personnels déviants. L'omerta et le silence confraternels, faisant le choix des agresseurs et criminels sexuels au préjudice des personnes victimes doivent disparaître de notre champ médical et social.

Un tel objectif va impliquer bien sûr des réflexions et des actions à mener dans l’espace des décisions politiques mais il me semble entraîner pour vous un impératif incontournable : sortir dès maintenant du déni, de l’autosatisfaction, du séparatisme et du communautarisme professionnel, contraires à plusieurs de nos valeurs républicaines telles qu’assistance à personne en danger, dénonciation obligatoire auprès des autorités judiciaires (cf. article 40 de notre code de procédure pénale)…

Avec différentes associations qui partagent ma démarche, je reste disponible pour tout débat contradictoire auquel je vous invite. Il aura toute sa place, entre autres, lors des futurs procès de Joël le Scouarnec qui nous entraînent dans des territoires inconnus de notre histoire judiciaire… Où le rôle de l’Ordre des médecins y est également questionné.

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Exergue : En cette nouvelle période de rupture du déni face aux violences sexuelles, il faut mettre fin à des pratiques intolérables, dans l’attente de changements structurels d'envergure.

Dr Bernard Coadou, Médecin généraliste, Bordeaux (33)

Source : Le Quotidien du médecin