Courrier des lecteurs

Violences faites aux femmes : une histoire vécue

Publié le 09/12/2022

« Tous mobilisés contre les violences faites aux femmes . Ne rien laisser passer ». Le gouvernement s’engage : une page complète dans les Dernières Nouvelles d'Alsace ce vendredi 25 novembre 2022, matin. J’entends aux infos de 13 heures notre président se féliciter du chemin parcouru et son ton optimiste sur ce qui reste à faire : « améliorer la formation des professionnels en première ligne ».

L’appel d’une femme gendarme durant ma consultation m’obsède :

- Votre patiente est une femme dangereuse. Elle s’est présentée à la gendarmerie avec votre certificat et un couteau de cuisine imposant. Elle va être poursuivie pour cela…

- Elle a un couteau car elle se sent en danger ; Samuel Paty avait, lui, un marteau dans sa poche !

Ma patiente de 30 ans est seule au monde dans cette petite ville de province où elle vient d’emménager pour fuir son compagnon et sa famille. Elle avait pour lui, quitté sa région natale et sa propre famille qui l’a rejetée pour avoir intenté un procès à son beau-père maltraitant…

Déscolarisée à 16 ans, elle a obtenu son permis de conduire puis différents jobs qu’elle a dû abandonner en raison de douleurs diffuses et quotidiennes, malgré les traitements prescrits par les médecins. Mal dans sa peau, elle a tout arrêté et suivi un amoureux.

Le couple, sans revenu stable, s’installe chez les parents du jeune homme. Sa nouvelle famille ne comprend pas sa situation et souhaite qu’elle travaille « comme tout le monde ». Conflits et réconciliations suivent. Elle appelle le 15 à plusieurs reprises devant l’intensité des douleurs après chaque dispute. Tout s’arrange puis s’aggrave à nouveau ; elle trouve la force de déménager. En tentant de récupérer ses affaires, une violente dispute éclate avec des coups plus violents dont elle garde les marques sur le corps.

Elle ne veut pas porter plainte, se sent coupable ; la mère de son compagnon tente la modération. Mais son chien tombe malade et le vétérinaire refuse de le soigner si elle ne paie pas les soins. Elle veut vendre son ordinateur neuf qu’elle a laissé à son compagnon accro aux jeux vidéo.

Nouvelles menaces, du père, cette fois. Elle est paniquée, se sent menacée, récupère un couteau de cuisine et mon certificat pour se rendre à la gendarmerie et déposer plainte.

- Ils m’ont maltraité, m’ont dit que trois jours d' ITT, c'était pas grand-chose, que j’allais être poursuivie pour port d’arme. Je suis seule au monde, j’ai envie de me suicider… Les traumatismes psychologiques, ça ne compte pas ?

Je lui remets un nouveau certificat avec 14 jours d’ ITT pour exacerbation de son traumatisme psychique par les maltraitances de son ex-compagnon et de ses parents, puis des gendarmes.

- Tenez, vous n'êtes plus seule !

Combien de temps faudra-t-il pour que les professionnels en première ligne, prisonniers de préjugés millénaires, cessent d'être, eux aussi, une menace pour les femmes et les enfants victimes de violences ? « Des millénaires » selon Françoise Héritier, anthropologue, pour qui la domination masculine « se perd dans la nuit des temps » et empêche l’égalité homme-femme. L’égalité des sexes, un mythe selon Christelle Taraud ( « Féminicides, une histoire mondiale »).

Vous souhaitez vous aussi commenter l'actualité de votre profession dans le « Quotidien du Médecin » ? Adressez vos contributions à aurelie.dureuil@gpsante.fr .

Dr Monique Weber, Médecin généraliste, Rouffach (68)

Source : Le Quotidien du médecin