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Dossier

MSP : le travail en équipe, solution d’avenir ?

Demain, tous en maison de santé ?

Publié le 09/05/2014
Demain, tous en maison de santé ?


BURGER/PHANIE

À quoi ressemblera l’exercice de la médecine générale dans dix, quinze, vingt ans ? Une chose est sûre : le travail en solo va devenir obsolète. La tendance est au regroupement, ce qui se confirme sur le terrain où les maisons de santé pluriprofessionnelles poussent comme des champignons. Elles devraient dépasser le cap des 1 000 en 2015 ! Pourtant, alors que les MSP sont au cœur des préoccupations du moment, pas sûr que la totalité des praticiens s’y retrouve...

« C’est très impressionnant, on inaugure des maisons de santé presque tous les jours ! » Le président de la Fédération des maisons et pôles de santé (FFMPS), Pierre de Haas, ne cache pas son enthousiasme. Alors qu’avant 2007, l’exercice pluridisciplinaire relevait de quelques praticiens avant-gardistes, en 2013 on dénombrait pas moins de 240 maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) et 436 – le double – cette année. Et des nouveaux projets continuent de se monter « même dans les régions où il y en avait moins », souligne Pierre de Haas. Une façon de signifier que l’installation de ce type de structures ne serait plus l’apanage des territoires ruraux ou des banlieues désertées mais concernerait désormais la totalité du territoire français. « Nous sommes débordés par les demandes. L’année prochaine, on passera le cap des 1 000 maisons de santé ! »

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Selon la Direction Générale de l’Offre des Soins (DGOS), l’Hexagone sera effectivement parsemé à l’horizon 2015 de 929 maisons de santé. Pierre de Haas n’a aucun doute. Pour que « la révolution du premier recours » se fasse, ce n’est qu’une question de temps. « Il faudra attendre dix ans, une génération de médecins, pour que ça bascule. Mais ça va arriver, c’est évident », assure-t-il. Alors, demain, tous en maison de santé ? Même si, pour l’heure, le travail en équipe ne concerne qu’une minorité de généralistes (5 à 10 %), ce type d’exercice semble destiné, dans un futur relativement proche, à devenir majoritaire. A fortiori parce qu’il est plébiscité par les jeunes générations. En premier par celle des trentenaires sortis des bancs des facs avec une seule idée en tête : ne pas travailler seul. Comme Aude Mainguy, qui au lieu de reprendre un cabinet « classique » a finalement décidé de s’installer dans un pôle de santé en Seine-Maritime… au bout de sept ans de remplacements !

Les ingrédients du succès

Le succès de ce type de structure est dû à plusieurs facteurs. La mise en commun des locaux ainsi que d’un secrétariat médical décharge les médecins des tâches administratives et libère du temps de travail médical. Un temps de travail « plus intense mais aussi plus court », affirme le président de MG France, Claude Leicher, avec, à la clé, plus de temps libre pour les médecins. Cependant, cela a un coût. Et « il est peu probable qu’on aura les moyens de travailler tous comme ça », constate-t-il. Mais pour Pierre de Haas c’est le prix à payer pour une qualité de vie qui se retrouve sensiblement améliorée.

Autre point positif mis en avant par ce dernier : l’intérêt de l’exercice qui se retrouve renforcé en maison de santé par rapport à un cabinet individuel. Ces structures novatrices sont désormais autorisées, voire encouragées, à faire de la recherche clinique et cela indépendamment des hôpitaux grâce à l’ouverture, confirmée par la ministre de la Santé lors du dernier Congrès de la médecine générale, des programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) à l’ambulatoire. Une annonce qui va sans doute changer l’avenir des maisons de santé, en premier lieu celui des MSP universitaires et qui a été favorablement accueillie par Pierre de Haas mais aussi par le Collège de la médecine générale dans son ensemble.

Transformer l’essai

Parfois annoncées par les pouvoirs publics comme la solution miracle aux déserts médicaux, les maisons de santé ont le vent en poupe. Mais l’enjeu est aujourd’hui ailleurs. Les MSP, arriveront-elles à transformer l’essai? « Demain une autre question va se poser : on en reste au niveau des expérimentations ou on passe à la vitesse supérieure, à une véritable industrialisation avec les moyens qui vont avec ? », s’interroge Claude Leicher, a priori plus que favorable au travail en équipe. « Ce mouvement de modernisation est la dernière chance donnée au monde libéral de perdurer alors même que l’hôpital cherche à de déployer à l’extérieur de ses propres murs, dans le secteur ambulatoire. »

Mais aura-t-on les moyens de ses ambitions ? Car aujourd’hui la demande est largement supérieure à l’offre… Les syndicats de médecins – UNOF-CSMF et MG France en tête – craignent, en effet, que certains de leurs confrères ne soient exclus des nouveaux modes de rémunération (NMR) qui assurent le financement des équipes pluridisciplinaires. Alors que 150 nouvelles expérimentations doivent être lancées, les ARS ont en effet remonté plus de 250 demandes de financement, selon Luc Duquesnel de l’Unof. « Une centaine d’équipes risquent donc d’être laissées sur le carreau », déplore-t-il.

La généralisation des NMR est d’ailleurs l’un des enjeux, sinon le principal enjeu, d’une négociation conventionnelle actuellement en cours à l’Assurance maladie et qui devrait aboutir à l’été. « Personnellement j’aimerais bien avoir un ou deux box de consultation pour nos internes mais pour investir les 350 000 euros nécessaires à l’achat des 90 m2, il me manque un élément : la confiance dans la pérennité des NMR ! », ironise le président de la FMF Jean-Paul Hamon. Plus sceptique que ses autres confrères syndicalistes sur l’avenir des maisons de santé, le généraliste de Clamart (Hauts-de-Seine) a une pensée pour « les médecins qui travaillent seuls » et qui « tiendront le maillage territorial pendant les quinze années à venir ». Par ailleurs, si pour lui l’engouement actuel pour les maisons de santé ne fait pas de doute, « le danger est que les professionnels ne soient pas propriétaires de leur outil de travail ».

Même écho du côté de l’Unof : « Beaucoup de maisons de santé sont des coquilles vides, notamment celles qui ont été construites à partir de projets d’élus et pas de professionnels de santé », déplore Luc Duquesnel.

 

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Des freins à l’extension du modèle

Dans ces conditions, d’aucuns doutent que le modèle de la maison de santé pluridisciplinaire puisse tendre demain à l’universalisation. Ne serait-ce que parce qu’il semble davantage coller à l’exercice rural qu’à l’exercice urbain. Tout simplement du fait que « les prix de l’immobilier sont trop élevés en ville », remarque Luc Duquesnel. Et même quand les moyens sont là, que les élus ou parfois des fonds privés investissent dans les murs des maisons de santé, il n’est pas si sûr que tous les professionnels de santé souhaitent travailler ensemble. Claude Leicher évoque « des freins chez les professionnels de santé eux-mêmes pas prêts à sauter le pas ». Luc Duquesnel fait lui remarquer que les généralistes convertis aux MSP appartiennent à « la frange des convaincus ».

Reste à convaincre les irréductibles, la majorité des généralistes qui « attend de la politique de l’Etat » avant de se lancer… ou pas ! Même Pierre de Haas fait un constat similaire : « Le principal frein à l’essor des maisons de santé est d’ordre humain. Les professionnels de santé ne sont pas formés à travailler en équipe mais à exercer en solo ». Certains d’entre eux vivraient mal le fait de « devoir rendre des comptes à l’équipe ».

Alors, sera-t-on vraiment obligés de travailler côte à côte demain ? Claude Leicher, qui exerce lui-même dans une maison de santé de la Drôme et qui imagine volontiers pour la médecine générale un demain où l’exercice solitaire sera l’exception, refuse cependant de voir dans les maisons de santé le seul et unique modèle possible d’exercice du futur. « C’est un des modèles possibles, affirme-t-il. Au-delà des maisons de santé, les cabinets isolés peuvent travailler avec d’autres professionnels de santé de façon coordonnée, à condition d’avoir un projet de santé commun ». Pour faire de la coordination, « le regroupement physique n’est pas impératif, selon Luc Duquesnel. L’exercice coordonné peut être fait en multisites si on dispose d’une messagerie sécurisée et d’un système d’information partagé ». Et même pour la recherche clinique, Pierre de Haas évoque la possibilité de la faire « en réseau, sur le modèle des wiki ». Les murs des maisons de santé deviendraient ainsi virtuels pour un exercice coordonné tout à fait réel !