Rhumatologie

ARTHROSE DIGITALE ET RHIZARTHROSE

Publié le 19/11/2010
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La prise en charge de l'arthrose des mains, fréquent motif de consultation, fait appel à la fois à des mesures médicamenteuses et non médicamenteuses. Tour d'horizon des solutions possibles.

L'arthrose digitale regroupe l'atteinte des interphalangiennes proximales (IPP), distales (IPD), ainsi que celle des 5 métacarpo-phalangiennes (MCP). La rhizarthrose correspond à l'atteinte spécifique de l'articulation trapézo-métacarpienne et s'intègre dans le groupe des arthroses péritrapéziennes, qui comprend également l'arthrose scapho-trapézo-trapézoïdienne. Ce texte est consacré à l'arthrose digitale et à la rhizarthrose.

LES FACTEURS DE RISQUE

-› Outre l'âge et le sexe féminin, l'influence des facteurs génétiques au cours de l'arthrose digitale est importante. On suspecte notamment une mutation du gène du procollagène de type II. Dans l'étude de Spector (3), souvent citée en référence et menée au sein d'une population de jumelles de 48 à 69 ans, un taux de concordance des nodosités d'Heberden de 51,6 % a été retrouvé chez les jumelles monozygotes, versus 27,3 % chez les jumelles dizygotes.

-› Par ailleurs les données convergent pour constater un pic de fréquence maximale au moment de la ménopause. Mais le rôle exact des facteurs hormonaux, et notamment des œstrogènes vis-à-vis de l'arthrose des mains (effet protecteur ou délétère), reste encore incertain.

-› L'obésité est un facteur de risque d'arthrose digitale, bien qu'il s'agisse là d'articulations non portantes. Le surpoids (IMC › 27,4) est ainsi associé à l'arthrose digitale avec un OR égal à 1,4 (1). L'obésité joue donc un rôle systémique dans la pathogénie de cette affection (encadré 1). Parmi les autres facteurs de risque systémiques, plusieurs hypothèses soulignent l'influence possible du diabète (accumulation de produits de glycation au niveau des matrices extra-cellulaires) et de l'athérosclérose (altération de la vascularisation de l'os sous-chondral) (4).

-› Le surmenage fonctionnel et les microtraumatismes lors des efforts de préhension répétés et/ou importants induisent notamment une arthrose de l'index et de l'articulation trapézo-métacarpienne (rhizarthrose), surtout du côté dominant (mais toutes les articulations de la main peuvent être concernées, sauf les IPD).

-› L'augmentation de la densité minérale osseuse, l'existence d'une hyperlaxité articulaire, et les antécédents de traumatisme de la main sont d'autres facteurs de risque d'arthrose digitale (5).

-› Enfin, l'existence d'une arthrose digitale semble prédictive de la survenue d'une arthrose des membres inférieurs, avec un OR égal à 3 pour la coxarthrose et 1,6 pour la gonarthrose (6).

ÉLÉMENTS DIAGNOSTIQUES

Quelle que soit l'articulation

-› Le diagnostic d'arthrose des mains est essentiellement clinique. La douleur, volontiers intermittente, est de type mécanique et son évolution peut être émaillée de poussées douloureuses entrecoupées de phases indolores. L'articulation est souvent augmentée de volume, soit par atteinte de la synoviale, soit du fait de la présence d'ostéophytes sous-jacents. Elle est parfois déformée par des nodosités indurées (nodules d'Heberden au niveau des IPD, nodosités de Bouchard au niveau des IPP), ou être le siège de désaxations plus ou moins marquées, avec souvent une déviation latérale. Les douleurs s'atténuent volontiers une fois les déformations installées. Les kystes mucoïdes, à distinguer des nodosités (consistance molle, peau amincie et parfois transparente, évolution possible vers la fistulisation), siègent à la face dorsale des IPD. Le handicap fonctionnel dépend de l'intensité de la douleur et de l'importance des déformations et de l'enraidissement. Chez certains patients, la sévérité de l'atteinte fonctionnelle est comparable à celle observée au cours de la polyarthrite rhumatoïde (5).

-› Il n'existe aucune corrélation radio-clinique, certaines arthroses radiologiques évoluées pouvant rester peu symptomatiques. Les signes radiologiques classiques sont le pincement de l'interligne articulaire, la condensation de l'os sous-chondral, la présence de géodes osseuses sous-chondrales, l'existence d'ostéophytes pouvant déformer l'articulation, et enfin la perte éventuelle de l'axe articulaire. Selon les récentes recommandations de l'EULAR relatives au diagnostic de l'arthrose des mains (2009 ; réf 5), un cliché radiologique postéro-antérieur des deux mains sur un même film suffit au diagnostic.

Deux formes cliniques

-› La rhizarthrose est la plus fréquente des arthroses du membre supérieur. Elle est soit primitive, soit consécutive à une hyperlaxité, une surcharge fonctionnelle (secondaire aux mouvements d'opposition du pouce) ou un traumatisme. Elle se traduit par une douleur à la racine du pouce, qui, lorsqu'elle est vive, peut être à l'origine d'un handicap : lâchage des objets, perte de la force de la pince pouce-index. L'évolution de la rhizarthrose se caractérise par une saillie progressivement croissante de la base du 1er métacarpien, celle-ci étant le siège d'une subluxation. S'installe ensuite une perte de l'abduction, le pouce restant en adduction avec fermeture de la 1re commissure, puis une hyperextension compensatrice de la MCP : c'est l'aspect de pouce en Z, qui, s'il est très invalidant, n'est pas nécessairement douloureux. La rhizarthrose peut être associée à un syndrome du canal carpien (douleurs nocturnes).

-› L'arthrose érosive des doigts est une forme clinique particulière. Pratiquement réservée à la femme, son début, vers l'âge de 50 ans, est bruyant, avec des douleurs des IPD associées à des signes inflammatoires locaux. L'atteinte s'étend ensuite aux IPP, puis à la trapézo-métacarpienne. Les déformations qui s'installent ensuite sont identiques à celle de l'arthrose non érosive, mais l'évolution peut aboutir à une ankylose des IPP et des IPD. La confirmation diagnostique est radiographique : présence d'érosions et de signes de reconstruction osseuse. Devant un tel tableau, les recommandations européennes (5) admettent la légitimité de la réalisation d'un bilan biologique sérique, à la recherche d'une éventuelle arthrite inflammatoire, même si le diagnostic d'arthrose digitale commune ne nécessite habituellement aucun autre examen complémentaire que la radiographie standard.

QUELLE PRISE EN CHARGE ?

Onze recommandations ont été publiées par l'EULAR en 2007 à propos du traitement de l'arthrose des mains (8). La première d'entre elles rappelle que la prise en charge nécessite la combinaison de mesures médicamenteuses et non médicamenteuses, adaptées à chaque patient. Les items 2 et 3 soulignent l'importance de la prise en charge globale du patient et celle des conseils éducatifs concernant les gestes à éviter et les exercices à faire pour augmenter la force (exercices de renforcement) ou la mobilité articulaire (gain d'amplitude). Les recommandations 4 à 6 concernent les traitements locaux externes, les traitements pharmacologiques par voie systémique n'apparaissant qu'à partir de l'item 7 (mesures 7 à 9). La 10e recommandation s'applique aux infiltrations de corticoïdes et la 11e à la chirurgie.

Les traitements locaux externes

-› L'utilisation de bains de paraffine chaude et la thermothérapie sont bénéfiques, notamment avant les séances d'exercices (8). L'application de chaleur a en effet une action antalgique, sauf en cas de poussée congestive où la cryothérapie est alors mieux tolérée (9). La douleur peut aussi être soulagée par des massages de la main et de l'avant-bras à visée décontracturante. La rééducation des doigts longs fait également appel aux mobilisations passives et actives. L'ergothérapeute peut proposer des exercices utilisant des pions, des cônes, des pinces…

-› Les aides techniques sont essentielles pour aider le patient à réaliser certains gestes de la vie quotidienne : ouvrir une bouteille d'eau, tourner une clef dans une serrure, éplucher des légumes. Ces aides constituent un intermédiaire entre l'objet à manipuler et la main. Leur principe est soit de modifier le volume de la prise, soit d'augmenter le bras de levier.

-› Les orthèses ont pour but d'immobiliser ou de stabiliser les articulations douloureuses et de corriger ou prévenir un déficit d'amplitude ou la déformation d'une structure anatomique. On distingue les orthèses de repos (antalgique et prévention de la déformation), les orthèses fonctionnelles (protection et amélioration de la fonction), les orthèses de correction (lutte contre une déformation fixée), et les orthèses de rééducation (en post-opératoire) (10). Les attelles de repos sont portées la nuit, et parfois la journée par intermittence. Les orthèses d'activité sont portées la journée et permettent de réduire les contraintes subies par les articulations durant les activités qui sollicitent la préhension.

Pour la rhizarthrose, on utilise des orthèses de fonction et/ou de repos laissant libre la flexion-extension du poignet et maintenant l'ouverture de la 1re commissure, pouce en opposition. Ce qui immobilise l'articulation trapézo-métacarpienne tout en libérant la flexion de l'interphalangienne du pouce. Ces orthèses sont généralement thermoformées sur mesure(1 ; 10).

Pour les doigts longs, les orthèses de repos thermoformées permettent de limiter la désaxation des IPP ou des IPD, et de soulager la douleur (9).

-› L'application de topiques percutanés (AINS, capsaïcine) est proposée en cas de douleur modérée et lorsque un petit nombre d'articulations est atteint.

Les traitements médicamenteux systémiques

-› Le paracétamol per os reste l'antalgique de première intention, jusqu'à 4 g/j, et le reste si un traitement au long cours est nécessaire, en raison de son bon rapport bénéfice/risque (8). Il est préférable de le prendre toutes les 4 à 6 heures lors des périodes douloureuses, et non à la demande. Les antalgiques de palier II ne sont pas mentionnés dans les recommandations de l'EULAR, mais leur emploi est à discuter lorsque le paracétamol est insuffisant.

-› Les AINS per os peuvent prendre le relai du paracétamol, à la plus faible dose efficace et pour la durée la plus courte possible (8). En cas de risque gastro-intestinal accru, les AINS non sélectifs doivent être associés à un traitement gastroprotecteur, ou bien un inhibiteur sélectif de la Cox2 doit être utilisé. Les coxibs sont contre-indiqués si le risque cardiovasculaire est élevé.

-› Les anti-arthrosiques symptomatiques d'action lente – chondroïtine sulfate, glucosamine, diacéréine, insaponifiables d'avocat et de soja, hyaluronate de sodium par voie intra-articulaire – n'ont pas l'AMM en France dans l'arthrose des mains. Les recommandations européennes en font mention comme étant susceptibles d'avoir une efficacité sur la douleur et sur les lésions cartilagineuses, tout en reconnaissant que cette efficacité est modérée et que les effets structuraux de ces molécules ne sont pas démontrés.

-› Des essais cliniques sont menés actuellement dans les formes d'arthrose digitale érosive avec les anti-TNFα (adalimumab, infliximab), le TNFα étant impliqué dans l'inflammation synoviale. Les voies de signalisation intracellulaires et les différents médiateurs impliqués dans le catabolisme constituent ainsi des cibles thérapeutiques potentielles.

Enfin, l'hydroxychloroquine et le méthotrexate ont été proposés en cas d'arthrose érosive, sans que leur efficacité soit réellement démontrée.

Les infiltrations

L'injection intra-articulaire de corticoïdes à longue durée d'action peut être utilisée en cas de poussée douloureuse, notamment au niveau de la trapézo-métacarpienne.

Les principes de la chirurgie

Le recours à la chirurgie n'est légitime que lorsque le traitement médical s'est avéré insuffisamment efficace. Mais les indications chirurgicales dans l'arthrose digitale doivent être soigneusement pesées (11).

-› L'émondage articulaire consiste à réséquer les saillies ostéophytiques souvent jugées disgracieuses et gênantes par les patients. Cette intervention simple ne modifie cependant pas l'évolution de l'arthrose : les douleurs et la gêne fonctionnelle ont donc tendance à persister et les déformations à récidiver. L'émondage est plutôt proposé en cas d'ostéophyte isolé et volumineux.

-› L'exérèse chirurgicale des kystes arthrosynoviaux est indiquée en cas de formation volumineuse, mais n'a rien de systématique. Celle des kystes mucoïdes est plus fréquente, car la guérison spontanée est rare, et la fistulisation est possible.

-› La dénervation est indiquée en cas de douleur rebelle sur une IPP. Elle consiste à supprimer les terminaisons nerveuses palmaires à destinée articulaire et ne nécessite pas d'immobilisation post-opératoire. Cette intervention est plutôt proposée aux sujets jeunes dont l'articulation est restée bien mobile.

-› L'arthrodèse a pour but de fixer définitivement l'articulation en position de fonction. Ses avantages sont de permettre une bonne antalgie et de réaxer le doigt, au prix d'une perte de la mobilité articulaire. Elle est volontiers pratiquée au niveau des IPD et permet la reprise du serrage en force sans que le patient soit gêné par les douleurs, avec pour autre conséquence la "réintégration" des autres doigts parfois exclus de la fonction. Pour les IPP, les arthrodèses sont moins souvent proposées (sauf pour l'index), afin de préserver la mobilité articulaire. Si elle est réalisée, la flexion est d'autant plus importante que l'on va vers le 5e doigt.

-› Les arthroplasties avec mise en place d'une prothèse (silicone le plus souvent), qui permettent de conserver la mobilité articulaire, sont indiquées pour les MCP et les IPP. Cependant avec le temps, elles peuvent s'user ou se fracturer.

-› Pour le pouce, peuvent être proposées une trapézectomie partielle ou totale avec ligamentoplastie d'interposition, une arthrodèse trapézo-métacarpienne, ou une arthroplastie prothétique (1).

Dr Pascale Naudin-Rousselle (rédactrice, fmc@legeneraliste.fr), avec le Dr Pascal Richette (service de Rhumatologie A, hôpital Lariboisière, 2 rue Ambroise-Paré, 75010 Paris ; courriel : pascal.richette@lrb.aphp.fr)

Source : lequotidiendumedecin.fr