Lorsque les premiers tests de dépistage du VIH sont apparus en 1985, les caractéristiques particulières de l’infection par le VIH, son pronostic péjoratif, les possibilités thérapeutiques alors limitées et un bénéfice individuel trop faible ont contribué à fonder le dispositif de dépistage sur des principes spécifiques au VIH, dérogeant aux règles habituelles de la lutte contre les maladies transmissibles. La forte stigmatisation initiale a aussi contribué à créer l’« exceptionnalisme » du VIH/Sida qui a été marqué par une attention très importante pour le droit des personnes. L’accent a ainsi été mis sur l’importance du volontariat et de la responsabilisation individuelle dans la démarche de dépistage ainsi que sur la nécessité d’un consentement éclairé et le respect de la confidentialité. Ces principes se sont traduits par la promotion du recours volontaire au dépistage orienté en fonction de l’exposition à un risque de contamination, exception faite de la proposition systématique de dépistage des femmes enceintes lors de la première consultation prénatale et en cas d’incarcération.
Devant la persistance d’un retard au dépistage affectant de façon plus particulière certains groupes de population ne considérant pas que leurs pratiques constituent un risque, en octobre 2009, à la demande de la DGS, la HAS publiait des recommandations prônant la nécessité d’étendre, de généraliser
et de banaliser l’offre de dépistage du VIH à l’ensemble de la population générale de 15 ans à 70 ans et ce, indépendamment de l’évaluation du risque d’exposition ou de contamination par le VIH.
POURQUOI CE CHANGEMENT D’APPROCHE ?
Des dépistages trop tardifs
Bien que l’activité de dépistage soit particulièrement importante à l’échelle nationale (5 millions de sérologies VIH en 2007, plaçant la France au second rang des pays d’Europe de l’Ouest derrière l’Autriche, avec un taux de 79 pour 1?000 habitants), il persiste un retard au dépistage de l’infection par le VIH, qui concerne plus particulièrement certains groupes de populations ou individus. 29 % des patients sont pris en charge au stade Sida ou avec moins de 200 CD4/mm3 et 50 % avec moins de 350 CD4/mm3 lors de la prise en charge à l’hôpital. Or, aujourd’hui, où le traitement est proposé dès que le taux de CD4 atteint 500 CD4/mm3, la perte de chance est importante pour ces patients.
Plusieurs caractéristiques étaient associées au dépistage tardif dans les cohortes et études multicentriques françaises : un âge supérieur ou égal à 30 ans, le mode de transmission autre que par rapports homosexuels, le statut de femmes migrantes, le sexe masculin, le fait d’être en couple et le fait d’avoir des enfants.
Le tiers des personnes contaminées l’ignorent
Le nombre de personnes infectées par le VIH peut être estimé à 152 000 en 2008 dont 50 000 ignorent leur statut ou ne sont pas suivies. « Les personnes qui ignorent leur séroposivité ont 2 à 3 fois plus de probabilité de ne pas prendre de précautions. Dans ce sens, le dépistage est un outil de prévention. Dès lors qu’on se sait contaminé, on se protège », explique le Pr Rozenbaum. On estime que 70 % des contaminations sexuelles par le VIH sont provoquées par des personnes qui ignorent leur statut sérologique.
Les bénéfices démontrés d’un dépistage précoce
-› Alors que les bénéfices individuels prouvés du dépistage de l’infection par le VIH ont longtemps été limités en l’absence d’interventions efficaces, l’apparition de nouveaux moyens thérapeutiques ou prophylactiques a renforcé l’intérêt d’un diagnostic précoce de l’infection par le VIH, individuellement comme collectivement.
En particulier, l’impact sur la mortalité d’une prise en charge tardive (définie comme un diagnostic d’infection par le VIH au stade Sida et/ou avec un taux de lymphocytes T CD4 inférieur à 200/mm3) a été mis en évidence. Entre 1997 et 2005, le risque relatif de décès associé à une prise en charge tardive a été estimé à 13,2 pendant les 6 premiers mois après l’inclusion dans la base de données et restait significativement supérieur à 1 pendant les 4 premières années après la prise en charge, en comparaison avec les sujets pris en charge moins tardivement.
-› Au niveau collectif, les bénéfices du dépistage de l’infection par le VIH ont également été soulignés. Le dépistage pourrait ainsi réduire les taux de transmission de l’infection par le VIH par deux biais :
- directement par une diminution des pratiques à risque ;
- indirectement par l’identification de personnes infectées supplémentaires remplissant les critères de mise sous multithérapie antirétrovirale, elle-même à l’origine d’une réduction de l’infectivité des personnes contaminées. L’exemple le plus emblématique est celui de la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant, dont l’efficacité est supérieure à 99 %. Et dans la population des patients sous anti-rétroviraux, le taux de transmission est réduit de 92 % en comparaison avec ceux qui ne sont pas traités. « Les multithérapies antivirales protègent autant de la contamination que le préservatif ! », pécise le Pr Rozenbaum (voir encadré). Or, à ce jour, environ 57 % des patients infectés sont traités et ce taux est insuffisant pour contrôler l’épidémie.
DEUX NOUVELLES STRATÉGIES DE DÉPISTAGE
Le dépistage en population générale
Désormais, l’offre de test de dépistage s’élargit à l’ensemble de la population générale de 15 ans à 70 ans, et ce indépendamment de l’évaluation du risque d’exposition ou de contamination par le VIH.
L’objectif principal est d’améliorer la détection précoce de l’infection par le VIH et de réduire le retard à la prise en charge. Il s’agit également de promouvoir l’idée que l’amélioration de la connaissance du statut sérologique vis-à-vis du VIH de la population générale peut être à l’origine de bénéfices importants au niveau individuel comme à l’échelle collective.
-› La HAS a clairement désigné le médecin généraliste comme étant le relais indispensable principal de cette stratégie de proposition, aux côtés des gynécologues-obstétriciens, des centres de planification et d’éducation familiale, PMI, permanences d’accès aux soins de santé, etc.
Maintien et renforcement du dépistage ciblé et régulier
-› Certaines populations devraient se voir offrir selon une fréquence régulière un test de dépistage du VIH :
- les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) ;
- les personnes hétérosexuelles ayant eu plus d’un partenaire sexuel au cours des 12 derniers mois ;
- les populations des départements français d’Amérique ;
- les usagers de drogues injectables (UDI) ;
- les personnes originaires d’une zone de haute prévalence, notamment d’Afrique subsaharienne et des Caraïbes ;
- les personnes en situation de prostitution ;
- les personnes dont les partenaires sexuels sont infectés par le VIH.
-› Des rythmes de dépistage ont ainsi été définis en fonction des populations cibles suivantes :
- tous les ans chez les HSH multipartenaires ;
- tous les ans chez les UDI ;
- tous les ans chez les personnes multipartenaires originaires d’Afrique subsaharienne et des Caraïbes.
En dehors de ces trois cas, en l’absence des données nécessaires dans le cadre des travaux de modélisation, aucune recommandation plus précise sur les rythmes de dépistage n’a pu être formulée.
-› Selon les circonstances. Un test de dépistage de l’infection par le VIH devrait être systématiquement proposé, quelle que soit la population, dans un certain nombre de circonstances particulières :
- suspicion ou diagnostic d’IST ou d’hépatite B ou C ;
- suspicion ou diagnostic de tuberculose ;
- projet de grossesse ;
- interruption volontaire de grossesse (IVG) ;
- première prescription d’une contraception ;
- viol ;
- personnes en cours d’incarcération.
-› Le cas de la Guyane. En raison des caractéristiques épidémiologiques de l’infection par le VIH qui placent ce département dans une situation d’épidémie généralisée, la HAS recommande la mise en œuvre de stratégies de dépistage volontaristes reposant sur la proposition test du dépistage de l’infection par le VIH à l’ensemble de la population générale répétée tous les ans.
MODALITÉS DE RÉALISATION DES TESTS DE DÉPISTAGE DE L’INFECTION PAR LE VIH
Le diagnostic biologique de l’infection par le VIH repose sur une stratégie en deux temps : analyse de dépistage puis analyse de confirmation sur le même prélèvement.
L’infection par le VIH n’est établie que lorsque le résultat de l’analyse de confirmation est positif et que des résultats concordants sont obtenus sur deux prélèvements distincts.
Il est recommandé au médecin prescripteur de fournir au biologiste les renseignements cliniques contributifs à l’orientation diagnostique (âge, suspicion de primo-infection, situations pathologiques particulières telles que co-infections, traitements associés, etc.).
Analyse de dépistage
Les biologistes utilisent un test ELISA combiné de 4e génération pourvu d’un seuil de détection de
l’Ag p24 à 50 pg/ml (seuil minimal requis par la réglementation européenne). Un résultat négatif de l’analyse de dépistage signe l’absence d’infection par le VIH, sauf dans le cas d’une exposition supposée au VIH datant de moins de 6 semaines (cf. ci-après).
Analyse de confirmation et différenciation des infections à VIH-1 et VIH-2
La technique utilisée dans le cadre de l’analyse de confirmation de l’infection par le VIH demeure le western blot (WB) ou l’immunoblot (IB). Il est recommandé de procéder à la différenciation entre l’infection due au VIH-1 et celle due au VIH-2, en raison des différences de pathogénicité des deux types de virus, de la résistance naturelle du VIH-2 à certains anti-rétroviraux et de l’absence de tests commercialisés de quantification de l’ARN plasmatique pour le VIH-2.
-› Si le résultat du WB ou de l’lB est négatif ou indéterminé, afin de ne pas méconnaître une primo-infection au stade de pré-séroconversion, il est nécessaire de procéder à un test permettant de mettre en évidence les composants du virus (détection de l’ARN viral plasmatique ou détection de l’Ag p24 avec un seuil de détection au moins équivalent à celui du test ELISA combiné utilisé dans l’analyse de dépistage, confirmée par un test de neutralisation en cas de positivité).
-› L’affirmation de l’infection par le VIH nécessite toujours de disposer des résultats concordants de deux prélèvements distincts.
-› Si l’analyse de dépistage est positive, l’analyse de confirmation doit être effectuée sur le prélèvement initial. En cas de positivité de l’analyse de confirmation, un second prélèvement devra obligatoirement être réalisé afin d’éliminer une erreur d’identité. Sur ce second prélèvement, il est recommandé de pratiquer une nouvelle analyse de dépistage (avec le réactif de dépistage utilisé initialement ou un autre) ; il n’est pas nécessaire de réaliser une nouvelle analyse de confirmation. Seul un résultat positif sur ce second prélèvement permettra de valider le résultat et d’affirmer le diagnostic d’infection par le VIH.
-› En cas de difficultés d’interprétation des résultats, une concertation étroite est recommandée entre
le médecin prescripteur et le biologiste. Tout profil atypique doit être exploré au moyen de techniques diagnostiques spécifiques (sérologies spécifiques de variants, isolement viral, tests de détection génomique, etc.) surtout si le contexte clinique et/ou épidémiologique est en faveur d’une exposition au VIH.
Annonce des résultats
La remise du résultat du test doit être réalisée de manière confidentielle. Avec l’accord du patient, cette tâche revient en première intention à un médecin au cours d’une consultation spécifique, lui permettant de fournir de l’information concernant la prévention de l’infection par le VIH et, en cas d’infection diagnostiquée, de débuter la prise en charge et le suivi du patient.
Durée du suivi sérologique en cas d’exposition supposée au VIH
Compte tenu de la performance des techniques actuellement disponibles sur le marché européen, un résultat négatif du test de dépistage ELISA combiné 6 semaines après l’exposition supposée pourra être considéré comme signant l’absence d’infection par le VIH.
En cas de traitement prophylactique post-exposition, le délai reste de 3 mois après l’arrêt du traitement.
-› En cas d’exposition supposée au VIH datant de moins de 6 semaines, et en l’absence de traitement prophylactique, une recherche initiale d’infection par le VIH doit être réalisée chez le sujet exposé dès la première consultation. Elle sera répétée 6 semaines après l’exposition supposée au VIH.
-› En cas d’exposition supposée au VIH et en présence de traitement prophylactique, une recherche initiale d’infection par le VIH est réalisée chez le sujet contact dès la première consultation. Elle sera répétée 1 mois et 3 mois après l’arrêt du traitement prophylactique.
Un résultat négatif du test de dépistage ELISA combiné 3 mois après l’arrêt du traitement prophylactique pourra être considéré comme signant l’absence d’infection par le VIH.
PLACE DES TESTS DE DÉPISTAGE RAPIDE
Un test de dépistage rapide (TDR) est défini comme un test unitaire, à lecture subjective, de réalisation simple et conçu pour donner un résultat dans un délai court (moins de 30 minutes généralement) lorsqu’il est pratiqué auprès du patient. Il peut être réalisé sur sang total, salive, sérum et plasma en fonction du produit. Il permet la détection des anticorps anti-
VIH-1 et anti-VIH-2. Attention, les tests rapides ne doivent pas être confondus avec les autotests (home tests), dont l’usage a été récusé par un avis conjoint du Comité national d’éthique et du Conseil national du Sida; et aucun à ce jour n’a reçu d’AMM aux États-Unis ou de marquage CE en Europe
-› Les TDR, disponibles depuis 2008 sur le marché français et marqués CE, permettent de répondre à deux objectifs principaux :
- obtenir un diagnostic rapide dans certaines situations d’urgence afin de pouvoir mettre en œuvre une prise en charge adaptée ;
- faciliter l’accès à la connaissance du statut sérologique et aux possibilités de prise en charge préventive et thérapeutique de l’infection par le VIH pour certaines populations qui ne recourent pas ou insuffisamment au dispositif classique de dépistage.
-› Ces tests n’ont pas d’indication pour le dépistage du VIH en population générale, en dehors des zones à forte prévalence.
-› Quelles que soient les circonstances d’utilisation des TDR, deux principes généraux s’appliquent de la même façon :
1- un TDR ne peut être effectué qu’avec le consentement éclairé de la personne à laquelle il est proposé, dans son intérêt et pour son seul bénéfice ;
2- un TDR ne peut être réalisé que dans le respect des conditions générales d’utilisation (indications (lire ci-après), mise en place d’un système d’assurance-qualité…).
Un arrêté du 9 novembre 2010 rend désormais possible à tout salarié ou bénévole « non professionnel de santé, intervenant dans une structure de prévention ou une structure associative habilitée », à condition qu’il ait suivi au préalable une formation spécifique.
Ces TDR peuvent être réalisés par les médecins de ville ayant suivi une procédure de formation spécifique et se conformant aux règles de l’assurance-qualité. Dans les établissements de santé ou les services de santé ainsi que les structures de prévention ou associatives dûment habilitées, par les médecins, les biologistes médicaux ou les sages-femmes, ainsi que par les infirmiers et les techniciens de laboratoire, sous la responsabilité d’un médecin ou d’un biologiste médical. Récemment, l’autorisation a été élargie aux « non professionnels de santé, intervenant dans une structure de prévention associative habilitée et ayant préalablement suivi une formation spécifique», afin d’élargir le champ du dépistage hors les murs.
Les situations médicales nécessitant le recours aux TDR
Le recours à un TDR sur sang total ou sur sérum/plasma peut être utile dans les situations d’urgences suivantes, après obtention du consentement éclairé de la personne concernée :
- accident professionnel d’exposition au sang : un TDR peut être proposé au patient source?;
- accident d’exposition sexuelle : un TDR peut être proposé aux deux partenaires aux urgences hospitalières ou dans le cadre des dispositifs intervenant dans la prise en charge des accidents d’exposition aux liquides biologiques?;
- accouchement chez les femmes enceintes dont le statut sérologique par rapport au VIH n’est pas connu ou chez les femmes enceintes ayant eu une exposition supposée au VIH depuis la réalisation du dernier test de dépistage au cours de la grossesse : un TDR peut être proposé à la femme enceinte?;
- urgence diagnostique devant la survenue d’une pathologie aiguë évocatrice du stade SIDA.
Dans tous ces cas, un test ELISA combiné devra être réalisé le plus rapidement possible quel que soit le résultat du TDR.
L’interprétation des résultats du TDR
Elle doit tenir compte du contexte clinique et épidémiologique.
Un résultat négatif du TDR peut être considéré comme excluant une infection par le VIH, sauf en cas d’exposition récente datant de moins de trois mois. Dans cette dernière situation, une nouvelle sérologie VIH au moyen d’un test ELISA combiné devra alors être réalisée selon le schéma général.
Tout résultat positif du TDR devra faire l’objet d’une confirmation par un WB ou un IB, selon le schéma défini dans les recommandations précédentes, afin d’éliminer un résultat faussement positif.
En cas de résultat invalide, un test ELISA combiné devra être réalisé, selon l’algorithme général défini dans les recommandations précédentes.
Mise en place d’un système d’assurance-qualité
Quelle que soit la personne qui réalise le TDR, elle doit se soumettre aux obligations d’un système d’assurance-qualité dédié afin de limiter le risque d’erreur lors de la manipulation et de l’interprétation :
- la vérification initiale des habilitations du personnel en charge de la réalisation des TDR et l’évaluation régulière de leurs compétences ;
- la mise en œuvre d’un programme de formation des personnes réalisant les TDR ;
- la mise en œuvre des contrôles de qualité interne des TDR ;
- la garantie de la traçabilité des TDR utilisés et des résultats ;
- l’accès à un réseau d’aval et à une prise en charge médicale pour toute personne qui recevrait un résultat de dépistage positif.
Encadrement légal de l’utilisation des TDR
- Ils ne peuvent être proposés pour un bénéfice autre que celui de la personne testée ;
- Le consentement libre et éclairé du patient dûment informé est recueilli avant la réalisation du test ;
- Ce test ne procure qu’une orientation diagnostique et en aucun cas un diagnostic biologique ;
- Résultat du test et information du patient sont délivrés au cours d’un entretien individuel, dans un environnement assurant la complète confidentialité.
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