INTRODUCTION
La maladie cœliaque, aussi appelée intolérance au gluten, est une entéropathie auto-immune induite par un antigène alimentaire, le gluten, chez des sujets génétiquement prédisposés exprimant une molécule du système HLA de classe II de type DQ2 ou DQ8. Elle se caractérise sur le plan histologique par une atrophie villositaire intestinale avec augmentation des lymphocytes intra-épithéliaux, prédominant au niveau de l’intestin grêle proximal. La fréquence de cette maladie a longtemps été sous-estimée en raison de sa présentation clinique très polymorphe, avec des formes paucisymptomatiques et silencieuses qui sont actuellement majoritaires (1). Sa prévalence est estimée à environ 0,5 à 1 % en Europe et aux États-Unis (2). Elle peut se révéler dans l’enfance ou à l’âge adulte, et les formes à révélation tardive sont en constante augmentation (3). Il faut donc évoquer ce diagnostic à tout âge.
PRÉSENTATION CLINIQUE
→ Le tableau clinique classique de la maladie cœliaque est en relation avec une malabsorption de l’intestin grêle : diarrhée avec stéatorrhée, douleurs abdominales, amaigrissement et dénutrition. Biologiquement, une hypoalbuminémie et des carences multiples peuvent être observées (carence en fer, folates, vitamine B12, déficit en facteurs vitamine K-dépendants, hypocalcémie, hypomagnésémie, déficit en zinc). Cependant, cette forme classique de la maladie ne représenterait probablement que moins de 20 % des cas diagnostiqués à l’âge adulte. En effet, les formes atypiques, paucisymptomatiques ou silencieuses représentent actuellement la majorité des cas diagnostiqués chez l’adulte (3). Ainsi, le diagnostic doit être évoqué devant des symptômes digestifs minimes, des manifestations extra-digestives ou dans des groupes à risque.
→ Les formes paucisymptomatiques Le diagnostic de maladie cœliaque peut être évoqué devant une anémie isolée (par carence martiale ou carence en folates et vitamine B12), ou une cytolyse hépatique inexpliquée en rapport avec une inflammation hépatique réactionnelle non spécifique, appelée « hépatite cœliaque » (4). Des cas d’hépatopathie chronique fibrosante ont été décrits (5). Le diagnostic doit également être évoqué devant une aphtose buccale récidivante, ou des symptômes digestifs mimant des troubles fonctionnels intestinaux (1). À noter que 30 % des nouveaux cas de maladie cœliaque diagnostiqués aux USA présentent une surcharge pondérale (6).
→ Les manifestations extra-digestives Des manifestations extra-digestives sont fréquemment révélatrices de la maladie, telles que des arthralgies ou une déminéralisation osseuse inexpliquée survenant chez des sujets jeunes sans facteur de risque. Ainsi, une maladie cœliaque asymptomatique a été observée chez 1 à 5 % des patients présentant une ostéoporose idiopathique (7). Environ un tiers des malades cœliaques ont une ostéopénie et un tiers ont une ostéoporose au moment du diagnostic, et le risque de fracture est augmenté (8, 9). Les troubles de la reproduction (aménorrhée, infertilité, hypotrophie fœtale ou fausses couches à répétition) sont également fréquents chez les patients cœliaques (10). Des troubles neurologiques (épilepsie, neuropathie périphérique d’origine carentielle ou ataxie cérébelleuse) peuvent parfois révéler la maladie (11), de même qu’une cardiomyopathie dilatée idiopathique (12).
→ Les formes silencieuses et groupes à risque La maladie cœliaque peut être diagnostiquée chez des patients totalement asymptomatiques, suite à un dépistage dans des populations à haut risque. En effet, il existe un risque accru de maladie cœliaque, estimé à 10 %, chez les apparentés au premier degré de malades cœliaques. Par ailleurs, la maladie cœliaque est fréquemment associée à une ou plusieurs maladies auto-immunes, parmi lesquelles le diabète de type 1, la thyroïdite auto-immune, l’hépatite et les cholangiopathies auto-immunes, la polyarthrite rhumatoïde, le syndrome de Sjögren, la dermatite herpétiforme, l’urticaire auto-immun, le psoriasis, le vitiligo… Le risque de maladie cœliaque est augmenté chez les patients présentant une maladie auto-immune, surtout en cas de maladies auto-immunes multiples (de 5 % à 30 %) (13). À noter que le régime sans gluten ne permet pas la guérison des maladies auto-immunes associées, hormis pour la dermatite herpétiforme.
DIAGNOSTIC
Il repose sur la combinaison d’arguments cliniques, biologiques et histologiques. Sa confirmation est une étape indispensable car cette maladie impose un régime contraignant et une surveillance régulière, en raison du risque de complications notamment néoplasiques. Le diagnostic doit être posé avant l’instauration du régime sans gluten étant donné que ce régime permet une négativation des anticorps et une repousse des villosités.
Les marqueurs sérologiques
La recherche des marqueurs sérologiques constitue la première étape du diagnostic. Ils sont particulièrement utiles en cas de suspicion de maladie cœliaque devant des signes frustes ou atypiques. Les anticorps anti-gliadine, de type IgA et IgG, ont été les premiers mis en évidence dans la maladie cœliaque. Cependant, ils ne sont plus recommandés en raison de leur manque de sensibilité et de spécificité. Les anticorps anti-endomysium de type IgA ont une excellente sensibilité et spécificité (95 et 99 % respectivement), mais leur recherche nécessite des techniques d’immunofluorescence indirecte, plus coûteuses. Les anticorps anti-transglutaminase tissulaire ont également une excellente sensibilité (85 à 98 %) et spécificité (94 à 98 %), et sont détectés facilement par une technique ELISA (14). Plus récemment, les anticorps anti-gliadine déamidée ont été développés et ont une très bonne performance diagnostique (15). Les recommandations actuelles préconisent en première intention le dosage des anticorps IgA anti-transglutaminase tissulaire en raison de sa facilité et sa fiabilité. Il est indispensable d’y associer un dosage des IgA totaux pour mettre en évidence un éventuel déficit en IgA, présent chez environ 2 à 3 % des cœliaques. Si ce déficit en IgA existe, il faut alors doser les anticorps de la classe des IgG anti-transglutaminase.
La biopsie
Chez l’adulte, le diagnostic doit toujours être confirmé par la réalisation de biopsies duodénales au cours d’une endoscopie digestive haute (figure 1).
Le diagnostic histologique repose sur la mise en évidence d’une atrophie villositaire de degré variable (partielle, subtotale ou totale), associée à une augmentation des lymphocytes intraépithéliaux et d’une hyperplasie des cryptes. La maladie cœliaque est la cause la plus fréquente d’atrophie villositaire, cependant il existe d’autres causes d’atrophie villositaire qu’il faudra rechercher en l’absence de marqueurs sérologiques : giardiase, maladie de Whipple, une entéropathie auto-immune, maladie de Crohn, déficit immunitaire commun variable, origine médicamenteuse (exemple : olmésartan…).
Dans les cas douteux, comme en cas de formes séronégatives, il peut être utile de déterminer le HLA de classe II qui a essentiellement une valeur prédictive négative. En effet, la détection d’un haplotype à risque (HLA DQ2/8) ne permet pas d’affirmer le diagnostic de maladie cœliaque compte tenu de leur grande fréquence dans la population générale (30 à 40 %), mais leur absence permet d’éliminer ce diagnostic avec une valeur prédictive négative proche de 100 %.
Enfin, l’amélioration clinique, sérologique et histologique sous régime sans gluten permet de confirmer le diagnostic.
TRAITEMENT
Le seul traitement actuel de la maladie cœliaque est un régime sans gluten strict à vie. Le blé, l’orge et le seigle contiennent du gluten et doivent donc être exclus. L’aide d’un diététicien compétent est indispensable. Ce régime peut être contraignant pour les patients et être source de frustration. Seuls 50 % des patients cœliaques le suivent correctement, d’où l’importance du suivi diététique (17).
Le régime sans gluten (RSG) permet la rémission des symptômes digestifs, mais également extradigestifs telles que la déminéralisation osseuse ou les cytolyses hépatiques (6, 18). Une diminution progressive des titres sériques d’anticorps cœliaques et leur négativation à un an de régime sans gluten est en général un signe de bon suivi du RSG (19). Néanmoins, une négativité de ces tests ne permet pas d’éliminer des erreurs minimes qui pourraient suffire à entretenir les lésions intestinales. Alors que l’amélioration clinique est rapide, l’atrophie villositaire intestinale ne régresse généralement pas avant 12 à 24 mois de régime sans gluten. Dans environ 30 % des cas, la repousse villositaire peut être encore plus lente.
Le RSG prévient le risque de complications : osseuses (apparition d’une ostéopénie/ostéoporose) (20), les maladies auto-immunes (21) et les complications malignes (maladie cœliaque réfractaire de type II ou lymphome de bas grade, lymphome T de haut grade, adénocarcinome du grêle) (22). Ces complications malignes sont rares mais graves. Il est donc indispensable de suivre le régime même en l’absence de symptômes.
En cas de persistance des symptômes malgré le régime sans gluten, il convient d’éliminer une mauvaise compliance au régime, ainsi qu’une erreur diagnostique (nécessitant d’exclure les autres causes d’atrophie villositaire, voir sous-chapitre La biopsie). Si le diagnostic initial de maladie cœliaque est confirmé et que le régime est bien suivi, il faut rechercher une cause associée, en particulier une colite microscopique (collagène ou lymphocytaire) qui peut être associée à la maladie cœliaque (1). Dans ce cas, un traitement par budésonide peut être instauré. Enfin, une résistance primitive ou secondaire au régime sans gluten doit faire suspecter une complication grave telle que la sprue réfractaire, voire un lymphome T intestinal (23).
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
Les motifs de consultation pour des troubles digestifs imputés au gluten sont de plus en plus fréquents. Le spectre des pathologies digestives liées au gluten comprend trois entités cliniques aux mécanismes physiopathologiques différents : la maladie cœliaque, l’allergie au gluten et l’hypersensibilité au gluten non cœliaque.
• L’allergie au gluten est une réaction d’hypersensibilité immédiate médiée par les IgE et qui s’observe essentiellement chez les enfants.
• L’hypersensibilité au gluten non cœliaque se manifeste par des symptômes digestifs et extra-digestifs déclenchés par l’ingestion de gluten et semblables à ceux observés au cours de la maladie cœliaque et du syndrome de l’intestin irritable. En revanche, il n’y pas d’atrophie villositaire dans ce syndrome et les anticorps spécifiques de la maladie cœliaque sont toujours négatifs (24). à ce jour, aucun biomarqueur spécifique de l’hypersensibilité au gluten non cœliaque n’a été identifié. Le diagnostic est donc essentiellement un diagnostic d’exclusion établi après avoir éliminé une maladie cœliaque et une allergie au gluten. La physiopathologie de ce syndrome n’est pas connue et est controversée, et l’imputabilité du rôle du gluten reste à démontrer. En effet, d’autres protéines du blé (comme les inhibiteurs de l’alpha-amylase et la trypsine), ou encore les FODMAPs (Fermentable Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides and Polyols : sucres fermentescibles, peu absorbés, pouvant être à l’origine des symptômes digestifs dans le syndrome de l’intestin irritable) pourraient être incriminés. L’exclusion du gluten permet l’amélioration des symptômes bien qu’aucune complication évolutive liée à la consommation du gluten n’ait été décrite dans ce syndrome (25).
EN RÉSUMÉ
• L’expression symptomatique de la maladie cœliaque est très hétérogène, avec une prédominance des formes atypiques, paucisymptomatiques et silencieuses. Ainsi, le diagnostic de maladie cœliaque doit être évoqué en cas de symptômes digestifs frustes ou de manifestations extra-digestives.
• Le diagnostic repose sur la présence d’anticorps sériques spécifiques et la mise en évidence d’une atrophie villositaire sur les biopsies duodénales. Ces examens doivent être réalisés avant l’instauration du régime sans gluten. Le dosage des anticorps IgA anti-transglutaminase est recommandé, en l’absence de déficit en IgA.
• Le régime sans gluten reste actuellement le seul traitement de la maladie cœliaque et doit être prescrit à vie. Ce régime permet de prévenir les complications de la maladie cœliaque : déminéralisation osseuse, survenue de maladies auto-immunes et néoplasies (dont le lymphome T intestinal).
• Environ 50 % des malades cœliaques sont compliants au régime sans gluten.
• La maladie cœliaque doit être distinguée de l’allergie au gluten et de l’hypersensibilité au gluten non cœliaque. L’hypersensibilité au gluten non cœliaque est définie comme un trouble fonctionnel intestinal amélioré par l’exclusion du gluten.
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Liens d'intérêts
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts relatif au contenu de cet article.
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