INTRODUCTION
Afin d’éviter la persistance d’un surpoids ou d’une obésité infantiles à l’âge adulte, et les complications qui en découlent, la Haute Autorité de santé (HAS) recommande un dépistage précoce assorti d’une prise en charge globale et multidimensionnelle. Dans le cadre de la stratégie « Ma santé 2022 », en lien avec la feuille de route interministérielle sur l’obésité (2019-2022), l’instance a publié en février 2022 un guide pour accompagner les professionnels de santé dans leur prise en soins des enfants et des adolescents en situation de surpoids ou d’obésité (1).
La prévalence du surpoids et de l’obésité reste importante chez les enfants à partir de l’âge de 6 ans, respectivement de 17 % et 4 % (2). Elle augmente tout particulièrement chez les adolescentes (respectivement 20 % et 5,4 %) (3). Détecter précocement les enfants obèses ou à risque d’obésité par la saisie régulière dès le plus jeune âge du poids et de la taille et leur report sur la courbe de croissance, afin de repérer le rebond d’adiposité notamment, est un message essentiel, si ce n’est le message clé du Guide du parcours de soins : surpoids et obésité chez l’enfant et l’adolescent(e) de la HAS. En effet, la probabilité qu’un enfant obèse le reste à l’âge adulte varie, selon les études, de 20 % à 50 % avant la puberté jusqu’à atteindre entre 50 % et 70 % après cette période (4).
L’obésité infantile est également un facteur prédictif d’augmentation du risque cardiovasculaire et de celui de décès prématuré à l’âge adulte (5), l’obésité pouvant être à l’origine de difficultés respiratoires, de troubles musculosquelettiques, d’un risque accru de fractures, d’une hypertension artérielle, d’une apparition des premiers marqueurs de maladie cardiovasculaire, d’une résistance à l’insuline et de problèmes psychologiques (3). Sur ce dernier point, pour les enfants ou les adolescents déjà en surpoids, les conséquences psychologiques et sociales, comme la mésestime de soi, la dépression, la stigmatisation, sont conséquentes et délétères. De fait, ces enfants sont généralement moins épanouis et plus souvent stigmatisés, harcelés et ont de moins bons résultats scolaires que ceux qui ne présentent pas de surpoids. Il faut rompre ce cercle vicieux dans lequel s’engagent ces enfants et qui aggrave encore la prise de poids.
ÉPIDÉMIOLOGIE
Près de 2 % d’enfants obèses en plus en 2020-2021
C’est un nouveau dommage collatéral de la crise sanitaire liée au Covid-19 qui se confirme, selon Santé publique France : l’incidence du surpoids a augmenté chez les jeunes enfants pendant la pandémie (6). Les mesures sanitaires ont eu un impact sur leur quotidien et leur mode de vie, favorisant la sédentarité, la consommation de produits transformés et le grignotage. Dans l’échantillon considéré, le nombre d’enfants en surpoids est passé de 8,6 % de l’effectif en 2018-2019 à 11,2 % en 2020-2021. De même, alors que 2,8 % des enfants étaient en situation d’obésité en 2018-2019, 4,6 % étaient concernés en 2020-2021. Ces données françaises font écho à celles émises par la branche européenne de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui s’inquiète, elle aussi, d’une « épidémie » de surpoids et d’obésité en Europe ces dernières années, tout en reconnaissant l’effet « pandémie » de Covid-19 : près d’un enfant sur trois (29 % des garçons et 27 % des filles) est en surpoids sur le Vieux Continent : un tiers des mineurs et 8 % des enfants de moins de 5 ans sont en surpoids (7).
Des inégalités sociales fortes
Selon la classification révisée de l’International Classification of Diseases 11, l’obésité est une maladie chronique complexe et ses déterminants sont multiples, associant environnements obésogènes, facteurs psychologiques et sociaux, origines génétiques. Certaines situations particulières (prise de médicaments, immobilisation, obésité de cause rare) peuvent à elles seules entraîner une prise de poids iatrogénique. Mais l’obésité est très corrélée au gradient social. Les situations de surpoids ou d’obésité sont presque quatre fois plus fréquentes chez les femmes et les enfants défavorisés socialement (13) et lorsque la personne de référence du ménage n’a pas de diplôme ou un diplôme inférieur au baccalauréat (1). Par exemple, dès l’âge de six ans, les enfants d’ouvriers sont quatre fois plus touchés par l’obésité que les enfants de cadres (16 % sont en surcharge pondérale et 6 % sont obèses contre respectivement 7 % et 1 %). Néanmoins, les rédacteurs du guide du parcours de soins de la HAS (1) ont souhaité éviter les raccourcis, d’une part entre surpoids/obésité et précarité car le lien n’est pas systématique, même si cette tendance est réelle, et, d’autre part, entre surpoids/obésité et maltraitance, là aussi sans nier ce lien qui peut exister.
MESSAGES CLÉS
Ce guide s’adresse principalement aux médecins généralistes (1), dans le cadre de soins coordonnés et pluriprofessionnels, la plupart des enfants et adolescents en situation de surpoids ou d’obésité étant suivis en médecine de ville, loin devant les pédiatres et les services de la protection maternelle et infantile (PMI) jusqu’à l’âge de 6 ans.
Suivre régulièrement l’évolution de la corpulence
Mesurer l’indice de masse corporelle (IMC, en kg/m2) tout au long de l’enfance et de l’adolescence est un moyen simple pour dépister et diagnostiquer précocement un surpoids ou une obésité. À cette intention, les courbes de référence du carnet de santé permettent au médecin de constater une ascension continue de la courbe de corpulence depuis la naissance, un rebond d’adiposité précoce (en particulier avant l’âge de 3 ans ; plus le rebond est précoce, plus le risque de développer une obésité est élevé) ou encore un changement rapide de couloir de la courbe de corpulence vers le haut. De la naissance à l'âge de 6 ans, le calendrier des examens obligatoires de santé suffit au suivi de la corpulence et de la croissance staturo-pondérale. Au-delà de l’âge de 6 ans, un suivi annuel est préconisé, plus fréquent que les examens obligatoires.
Chez certains enfants ayant des facteurs prédisposants ou de risque de développer un surpoids ou une obésité (problème pondéral parental et/ou dans la fratrie et famille proche, nouveau-nés macrosomes, handicap, trouble des conduites alimentaires, prise de corticoïdes, de neuroleptiques, d’anti-épileptiques, d’antipsychotiques, etc.), le suivi est plus fréquent afin de prévenir une évolution vers le surpoids (les examens de santé obligatoires suffisent avant l’âge de 3 ans, puis un bilan tous les 6 mois).
Prescrire des examens biologiques de manière ciblée
Deux situations sont à distinguer : le surpoids sans signe clinique évocateur d’une complication de la situation d’obésité (mauvaise tolérance à l’effort, avec dyspnée, sensation de palpitations, malaise ; sahos, etc.) où aucun examen biologique n’est nécessaire, et lorsque le médecin constate une obésité avec un IMC supérieur à 30 kg/m2. Dans ce second cas, un bilan biologique est alors à réaliser sans urgence, selon les antécédents familiaux, l’historique et la dynamique de la courbe de croissance ainsi que l’histoire clinique de l’enfant/adolescent. Il est conseillé de rechercher une dyslipidémie en cas d’antécédents familiaux, une insulinorésistance, une intolérance au glucose, un diabète de type 2 en cas d’antécédents familiaux de diabète de type 2 aux 1er et 2e degrés, un bilan perturbé des fonctions hépatiques (ASAT, ALAT). En l’absence d’anomalie au premier bilan, un contrôle peut être renouvelé au minimum tous les 2 à 3 ans.
Engager le dialogue sur la corpulence
Tout professionnel, par son attitude et le choix de ses mots, évite de blesser, de culpabiliser, de stigmatiser et construit un langage commun avec l’enfant/adolescent et ses parents. La HAS préconise une attitude d’ouverture et de non-jugement ; une écoute et une compréhension de ce qui est important pour eux, de leurs attentes et projets ; une attention portée au vécu d’un parcours de soins (valorisation des changements effectués, maintenus ou non, compréhension des difficultés, identification des ressources) ; un accès grâce à un dialogue structuré aux connaissances, aux représentations, aux idées reçues sur le traitement de l’obésité, au ressenti de l’enfant/adolescent et de ses parents, à leurs besoins. Prévenir la stigmatisation est primordial dans les lieux de soins, de vie et d’activités, mais aussi au sein de la famille.
Une évaluation multidimensionnelle dès le diagnostic d’un surpoids ou d’une obésité
L’exploration globale des dimensions possiblement en lien avec la situation de surpoids ou d’obésité est la première étape de la prise en soins. La HAS propose de prendre appui sur un ou plusieurs professionnels de proximité (champ sanitaire, social, médico-social, scolaire) ou sur une équipe spécialisée dans l’obésité. Le médecin s’appuie sur les ressources locales tout en tenant compte de leur accessibilité (géographique et/ou financière) et dispose pour cela du répertoire opérationnel des ressources (ROR) décliné par région.
L’exercice coordonné est valorisé en maison de santé par exemple. Des binômes médecin/infirmier sont probablement une bonne solution en premier lieu, puis en complétant l’équipe selon les besoins de l’enfant/adolescent. À ce titre, les structures spécialisées dans l’obésité constituent une ressource importante.
En France, il existe des expérimentations article 51, par exemple « Mission : retrouve ton cap », centrée sur la prévention et la prise en charge du surpoids et du risque d’obésité infantiles. Elle vient d’être généralisée à une partie du territoire français. Cela permet de forfaitiser la prévention et des soins multiprofessionnels.
La complexité de la situation de surpoids guide la gradation des soins
La consultation médicale d’évaluation globale est mensuelle au moins pendant 3 mois, puis trimestrielle pendant 2 ans si l’évolution est favorable. Tous les enfants ne nécessitent pas forcément de consulter l’ensemble des intervenants ; il y a une gradation dans la sévérité des cas et donc dans l’investissement du médecin généraliste, dans les soins et l’accompagnement. Il n’y a pas de prise en charge standardisée. Il est ici question de mobiliser les compétences professionnelles à bon escient, les moyens pour répondre aux besoins établis lors du diagnostic et des réévaluations ultérieures.
La coordination et la concertation des professionnels de proximité impliqués
Le référent de proximité organise la mise en œuvre des soins, leur coordination et participe à l’évaluation des actions mises en place. Choisi par la famille et par l’enfant, il matérialise le lien entre eux et les divers intervenants. Ce professionnel est particulièrement utile dans certaines situations d’obésité complexes, des cumuls de facteurs en lien avec l’obésité, etc. Le médecin traitant, le pédiatre, un infirmier (dans le cadre de l’exercice coordonné), etc., peuvent endosser ce rôle.
Différents intervenants peuvent être sollicités : médecin, infirmier ou encore puéricultrice et, selon les besoins, enseignant en activité physique adaptée, diététicien, psychologue, pédopsychiatre, kinésithérapeute, ergothérapeute, psychomotricien. Des fiches détaillées sur le rôle des professionnels impliqués dans le parcours complètent le guide (8).
En complément du suivi médical, une séance dédiée d’éducation thérapeutique est recommandée, si possible tous les 2 mois pendant 6 à 12 mois avec, si besoin, un suivi éducatif entre les séances (en présentiel ou en télésoin) pour accompagner les changements des habitudes de vie.
Quant aux séjours courts en soins de suite et de réadaptation pédiatrique, ils permettent de créer une dynamique chez l’enfant et d’impliquer la famille à condition qu’ils soient poursuivis ensuite en ambulatoire afin de capitaliser sur ce qui a été appris en séances d’éducation thérapeutique avec une meilleure implication des parents. Les séjours longs, rarement avant l’âge de 12 ans, restent intéressants dans les situations très complexes d’obésité, où l’éloignement de l’enfant de sa famille est probablement nécessaire, tout en gardant un contact étroit. La décision doit être collégiale.
Perdre du poids n’est pas un objectif prioritaire, sauf complications
Il s’agit d’infléchir la courbe de corpulence tandis que la croissance se poursuit et, en fin de croissance, de stabiliser le poids. Aussi, l’objectif principal des soins et de l’accompagnement est de modifier certaines habitudes de vie en cause dans la prise de poids, aider la famille au rééquilibrage alimentaire (aider l’enfant à manger en quantité adéquate et autoriser les parents à refuser de la nourriture à un enfant qui réclame trop fréquemment), à la diminution des comportements sédentaires voire à la reprise de l’activité physique.
Préparer la transition vers l’âge adulte dès le début de l’adolescence
La démarche de transition doit commencer tôt, entre 11 et 14-15 ans, et se poursuivre jusqu’à l’âge de jeune adulte. Cela consiste aussi à mettre en œuvre de manière concrète le passage des soins pédiatriques aux soins adultes (entre 16-18 et 21 ans). Des ponts entre les soins pédiatriques et adultes devraient être systématisés pour fluidifier la transition entre les équipes. En médecine générale, cela consiste à accompagner la famille et l’enfant pour éviter au maximum les ruptures de prise en charge, potentiellement catastrophiques.
Hélène Joubert (rédactrice), Anne-Françoise Pauchet-Traversat (coordinatrice du projet à la HAS) et Dr Barbara Chavannes (médecin généraliste, membre du groupe de travail)
BIBLIOGRAPHIE
1. HAS. Guide du parcours de soins : surpoids et obésité de l’enfant et de l’adolescent(e). 3 février 2022.
2. Verdot C, Torres M, Salanave B, Deschamps V. Corpulence des enfants et des adultes en France métropolitaine en 2015.
Résultats de l’étude Esteban et évolution depuis 2006. Bull Epidémiol Hebdo 2017 ; (13) : 234- 41.
3. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, Guignon N, Delmas MC, Fonteneau L. En 2017, des adolescents plutôt en meilleure santé physique mais plus souvent en surcharge pondérale. Études et Résultats 2019 ; (1122).
4. Ministère des Solidarités et de la Santé. Obésité : prévention et prise en charge. 12 septembre 2019.
5. Assurance maladie (ameli.fr). Prévention du surpoids et l'obésité de l’enfant. 13 décembre 2021.
6. Santé publique France. Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 26 avril 2022 (n°8).
7. WHO European Regional Obesity report 2022. Mai 2022.
8. HAS. Surpoids et obésité de l’enfant et de l’adolescent(e) – Rôle des professionnels impliqués dans le parcours. Fiches. 3 février 2022.
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