Phlébologie

Maladie thromboembolique veineuse

Publié le 26/02/2010
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Il est nécessaire de penser au risque thromboembolique et de l’évaluer chez tout patient en médecine de ville, de plus de 40 ans, ayant une affection médicale aiguë nécessitant un alitement de plus de trois jours.

La maladie thromboembolique veineuse (MTEV), qui comprend la thrombose veineuse profonde (TVP) et l’embolie pulmonaire (EP), est fréquente, potentiellement mortelle et de diagnostic difficile. C’est une urgence thérapeutique. On estime en France que l’embolie pulmonaire est responsable chaque année de 5 à 10 000 décès. L’incidence de la MTEV augmente avec l’âge dans les deux sexes, ainsi avec le vieillissement de la population, le nombre absolu des MTEV augmentera dans les prochaines années. Un médecin généraliste est confronté en moyenne dix fois par an à une suspicion de thrombose veineuse profonde.

Dans la plupart des cas, la cause de survenue demeure inexpliquée, la plupart des décès survenant en milieu médical.

Quand instaurer une prophylaxie de la MTEV en médecine de ville?

L’évaluation systématique du risque thromboembolique (TE) devrait plus souvent permettre la mise en route d’une prophylaxie. Son efficacité a été prouvée en milieu médical hospitalier avec une réduction significative de 51 % des évènements thromboemboliques asymptomatiques et une réduction significative de même ampleur des embolies pulmonaires cliniques (1). Les études en médecine de ville sont très rares, cependant l’Afssaps (6, 7) estime que le risque de MTEV est le même à l’hôpital ou en ville, à facteurs de risque identiques. Les résultats d’une étude française récente (2) ayant suivi prospectivement plus de 16000 patients en médecine générale montrent que l’incidence de la MTEV symptomatique est de 1,1 % trois semaines après une affection médicale aiguë entraînant une réduction de mobilité. Ce chiffre est à prendre en considération, compte tenu du nombre d’affections médicales aiguës à risque de TVP. La prophylaxie médicamenteuse par HBPM diminuerait sensiblement le risque thromboembolique, à condition de la prescrire à bon escient, c’est-à-dire aux patients dont le risque de TVP et le risque de saignement ont été correctement évalués.

Les facteurs de risque artériels que sont l’hypercholestérolémie, l’hypertension artérielle et le diabète ne sont pas associés au risque de thrombose veineuse profonde (TVP) et ne justifient donc pas en soi de prophylaxie antithrombotique veineuse. Le tabac est un facteur mineur de TVP.

Les affections médicales aiguës à risque thromboembolique

En pratique, dans certaines situations aiguës, il est impératif d’évaluer chez tous les patients, le niveau de risque de TVP afin d’envisager une prophylaxie antithrombotique médicamenteuse ou mécanique après l’âge de 40 ans lorsque l’affection nécessite un alitement de plus de trois jours.

• Situations médicales aiguës sévères à risque élevé de TVP - âge › 40 ans et alitement › 3 jours

- décompensation cardiaque aiguë (classe III ou IV de la NYHA)

- décompensation respiratoire aiguë

- AVC ischémique avec hémiplégie

Dans ces situations une prophylaxie antithrombotique est recommandée.

• Situations médicales aiguës à risque moyen ou modéré de TVP - âge › 40 ans et alitement › 3 jours

Infection sévère, poussée inflammatoire d'une maladie intestinale, syndrome néphrotique

Dans ces situations une prophylaxie antithrombotique est recommandée en présence d’un facteur de risque de TVP associé :

- âge › 70 ans, antécédent personnels de MTEV, thrombophilie avec MTEV, syndrome myéloprolifératif, alitement total récent, plâtre du membre inférieur, cancer évolutif, chirurgie thoracique, abdominale, pelvienne ou orthopédique, récente (< 1 mois)

La prophylaxie est à discuter en présence des facteurs de risque suivants notamment : antécédent familiaux de MTEV, obésité, syndrome inflammatoire, déshydratation, insuffisance veineuse avec varices, insuffisance cardiaque chronique, bronchite chronique, grossesse ou post partum, alitement chronique, traitement hormonal, intervention chirurgicale récente…

La prophylaxie antithrombotique

La durée recommandée de la prophylaxie antithrombotique est de 7 à 14 jours. Elle est ensuite stoppée.

Une prophylaxie par compression veineuse élastique (classe 2 française, 15 à 20 mmHg à la cheville) est suggérée dans tous les cas pour la même durée (7 à 14 jours), surtout en cas de contre-indication au traitement médicamenteux, mais les données d’efficacité en milieu médical manquent cruellement..

Précaution :

Avant l’instauration d’une prophylaxie médicamenteuse par héparine la fonction rénale doit être évaluée ainsi que le risque hémorragique.

En l’absence de risque hémorragique, une héparine de bas poids moléculaire ou du fondaparinux est utilisé lorsque la clearance de la créatinine est supérieure à 20-30 ml/mn. Lorsqu’elle est inférieure l’héparine non fractionnée est utilisée.

En présence d’un risque hémorragique la mobilisation et la contention élastique sont les seuls traitements possibles.

Le risque hémorragique existe en cas de thrombopénie < 100 000 mm3, d’insuffisance hépato-cellulaire, de trouble connu de la coagulation ou de saignement récent. Il contre-indique l’utilisation d’héparine.

Diagnostic d’une maladie veineuse thrombo-embolique

L’examen clinique ne permet jamais à lui seul d’affirmer ou d’exclure le diagnostic de MTEV. Parmi les patients chez qui on soupçonne une thrombose veineuse profonde, 30% seulement en sont atteints. La manifestation clinique la plus fréquente de la MTEV est la thrombose veineuse (2/3 des cas), mais la majorité des thromboses veineuses s’accompagne d’une embolie pulmonaire asymptomatique, et la majorité des embolies pulmonaires s’accompagne d’une thrombose veineuse asymptomatique.

Thrombose veineuse profonde

Le score de Wells permet de calculer une probabilité diagnostique de TVP, le calcul automatique sur internet est disponible : http://www.sfmu.org/calculateurs/TVP.htm). Il est applicable pour les patients ambulatoires. Une TVP est authentifiée dans respectivement 3 % pour un niveau du score faible, 17 % pour un niveau intermédiaire et 74 % pour un niveau de probabilité forte. Une fois évoqué, le diagnostic doit être confirmé par des examens complémentaires. Le score de Wells est utile pour décider si la mise en route du doit être immédiate (probabilité forte) ou doit attendre le résultat des examens complémentaires.

Embolie pulmonaire

Les principaux symptômes de l’EP sont la dyspnée (› 70 % des cas), un douleur pleurale (58 %), une toux, un œdème ou une douleur des membres inférieurs et plus rarement une hémoptysie. Le diagnostic clinique d’EP est très difficile. L’examen clinique permet d’établir une probabilité diagnostique d’embolie pulmonaire en trois niveaux : faible, intermédiaire, fort. L’emploi d’un score (cf tableau) est utile. Parmi 100 patients cliniquement suspects d’EP : 45 % ont une probabilité clinique faible, 45 % intermédiaire et seulement 10 % ont une forte probabilité clinique.

Le calcul automatique du score est disponible sur internet : http://www.sfmu.org/calculateurs/EP.htm

Une probabilité forte nécessite de commencer le traitement antithrombotique immédiatement et la réalisation d’un angioscanner pour confirmation.

Les examens complémentaires

L’écho-Doppler veineux est l’examen de première intention pour le diagnostic des TVP proximales avec une sensibilité de 97 % et une sensibilité de 98 %. Le critère principal de thrombose est la perte de compressibilité totale ou partielle de la veine sous la sonde d’échographie. Pour les thromboses distales la sensibilité et la spécificité de l’échographie sont faibles. Une échographie veineuse normale n’exclut pas le diagnostic d’EP. En médecine de ville, cet examen est à réaliser en urgence lorsque le diagnostic est évoqué quel que soit le niveau du score de Wells.

Les D-dimères (produit de dégradation de la fibrine) sont presque constamment élevés en présence d’une TVP ou d’une EP. Leur valeur prédictive négative est très forte. Des D-dimères < 500 µg/l exclut le diagnostic de MTEV à 95 %. En revanche un taux élevé de D-dimères n’a aucune valeur prédictive de MTEV.

Angioscanner ± phléboscanner : le couplage dans un même temps radiologique d’un l’angioscanner spiralé thoracique est aujourd’hui l’examen de référence pour le diagnostic d’EP. Il peut être couplé au phléboscanner. Il est contre indiqué en cas d’insuffisance rénale.

Scintigraphie ventilation/perfusion sa valeur prédictive positive est forte en présence de plus de 2 défects de perfusion sans défect de ventilation chez les malades ayant une radio thoracique normale. Sa valeur prédictive négative est forte en l’absence de défects de perfusion (risque d'avoir une embolie : 0,2%)

Elle est peu utile chez le malade ayant des antécédents broncho-pulmonaires. Ses indications sont désormais limitées.

La phlébographie est coûteuse, invasive, désagréable pour le patient et associée à une certaine morbidité. Elle n’a plus que des indications d’exception.

L’angiographie pulmonaire est abandonnée au profit de l’angioscanner.

Le traitement de la MTEV

Lorsqu’une EP ou une TVP est suspectée, une anticoagulation doit être débutée avant même que le diagnostic ne soit confirmé dès lors que la suspicion clinique est importante et qu’il n’y a pas de contre-indication. Le traitement est stoppé si le diagnostic n’est pas confirmé.

Quand la probabilité clinique est faible, il n’est pas souhaitable de mettre en route un traitement avant confirmation diagnostique, ce traitement étant probablement inutile et comportant toujours un risque hémorragique.

En l’absence de signe de gravité, le traitement repose sur l’utilisation d’une Héparine de Bas Poids Moléculaire (HBPM) ou de fondaparinux. L’héparine non fractionnée est utilisée en cas d’insuffisance rénale. Le traitement ambulatoire des EP non graves et des TVP est possible à condition d’un respect strict des contre-indications. Une contention élastique associée est indispensable.

Les HBPM permettent un traitement ambulatoire des TVP, un traitement relais par antivitamine K est institué dès le premier jour. La fonction rénale doit être évaluée et une numération plaquettaire est nécessaire deux fois par semaine pendant trois semaines.

Quand rechercher une thrombophilie ?

Cette recherche concerne essentiellement les patients de moins de 50 ans en cas de TVP sans cause retrouvée. Chez la femme des pertes fœtales récidivantes doivent évoquer une anomalie de l’hémostase. Les phlébites superficielles sur des veines non variqueuses peuvent être la manifestation d’une thrombophilie.

La recherche d’une thrombophilie peut être proposée dans certaines circonstances :

MTEV récidivante, histoire familiale de MTEV, thrombose aiguë après un voyage, au cours de la grossesse, sous contraceptif oral, thrombose avant 50 ans, association thrombose veineuse et artérielle, perte fœtale récidivante, perte fœtale + thrombose, thromboses superficielles….

Quand rechercher un cancer ?

Environ 10 % des patients ayant une TVP idiopathique ont un cancer qui apparaît dans l’année suivante.

Il faut dans ce cas réaliser une imagerie abdominale (écho ou scanner), une mammographie et une échographie pelvienne chez les femmes, un dosage du PSA chez les hommes. L’examen clinique complet et les touchers pelviens sont indispensables. Les autres examens sont nécessaires en fonction du contexte clinique ou d’un point d’appel clinique.

Dr Emmanuel Cuzin, rédacteur sous la responsabilité scientifique du Pr Jean-François Bergmann (hôpital Lariboisière – Paris) mel : jf.bergmann@lrb.aphp.fr

Source : Le Généraliste: 2516