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Dossier

Les pièges de la PDS

Gardes, trop de mises en cause, pas assez de vocations ?

Publié le 22/03/2013

Ces dernières semaines, plusieurs affaires impliquant des généralistes de garde ont alimenté la chronique judiciaire. La Rochefoucauld, Bordeaux, Bourges… Parmi ces récentes mises en cause de confrères, régulateurs ou effecteurs, l’une connaîtra son épilogue la semaine prochaine. Toutes rappellent que la permanence des soins n’est pas tout à fait une activité comme les autres au plan de la responsabilité.

La PDS est-elle devenue trop risquée pour un médecin lambda ? On peut légitimement se poser la question au regard des récentes affaires judiciaires qui ont impliqué des généralistes de garde. Les régulateurs sont apparus les plus touchés. À Bordeaux, Le Dr Bernard Plédran (voir entretien p. 10) a été condamné en appel à six mois avec sursis. En 2007, alors qu’il régulait les appels du centre 15 Gironde, ce responsable régional de MG France avait refusé d’envoyer une équipe mobile du SAMU au domicile d’une patiente se plaignant de douleurs thoraciques et qui était décédée quelques heures plus tard d’une rupture de l’aorte. Un peu plus tard le mois dernier, une femme enceinte est morte avant d’atteindre les urgences de Bourges. Appelé en milieu de matinée, le médecin régulateur du SAMU du Cher l’avait orientée vers son médecin traitant avec qui elle avait rendez-vous en fin de matinée. Sa responsabilité sera peut-être engagée. En tout cas, la justice a ouvert une enquête.

Les effecteurs sont aussi parfois dans le collimateur des juges. La semaine prochaine, le Dr Géraldine Murault devrait être fixée sur son sort. Généraliste à La Rochefoucauld (Charente), elle ne s’était pas déplacée au chevet d’une fillette de six ans qui souffrait de douleurs abdominales. La petite devait succomber à une occlusion intestinale dans la nuit du 6 au 7 décembre 2006. À l’audience le mois dernier, si les experts saisis ont parlé d’une « contre-régulation », ses avocats, Thomas Drouineau et Florent Bacle se sont employés à démontrer qu’il n’y avait pas de « faute caractérisée ». Autrement dit, leur cliente n’avait pas conscience qu’il s’agissait d’une situation d’urgence. « Je ne savais pas que l’appel était régulé », s’est d’ailleurs défendue la généraliste à la barre du tribunal. C’est, en effet, la permanencière qui lui a donné l’adresse et le téléphone de la famille de la petite.

Un flou juridique persistant

Simples faits divers ou tendance de fond ? Le Dr Plédran n’est pas le premier généraliste à avoir été condamné au pénal pour une erreur de régulation. Avant lui, en 2003, le Dr Claude Bronner (Strasbourg), chef de file d’Union Généraliste, a pris trois mois avec sursis pour une affaire qui remonte à 1995. C’était la première fois qu’un généraliste régulateur libéral était jugé comme un hospitalier. Et la cour d’appel a estimé ensuite que le Dr Bronner devait être considéré, en qualité de régulateur du centre 15, comme un agent du service public et donc dégagé de toute responsabilité civile personnelle. À ce titre, il n’a donc pas eu à payer les indemnités de dommages et intérêts (10 000 francs, soit 1 500 euros environ).

L’affaire a, depuis, fait jurisprudence. Et les régulateurs sont désormais couverts par la responsabilité administrative de l’établissement public. Mais pas les effecteurs qui ne peuvent compter que sur leur assurance privée. En dépit des alertes de la FMF, qui continue à militer pour une couverture RCP pour le médecin effecteur des gardes à la charge de l’établissement public, « la situation n’a absolument pas changé depuis l’année dernière » selon le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp (UG, Lyon). Et la disparité entre régulateur et effecteur demeure. « Le cas de l’effecteur est plus compliqué », confirme le directeur du Sou médical, Nicolas Gombault. Dans certains cas, la RCP de l’effecteur est engagée et si les assureurs privés continuent de payer, ils se réservent néanmoins « la possibilité de pouvoir se retourner contre l’État pour obtenir le remboursement des sommes engagées pour indemniser le préjudice ». En 2011, une proposition de loi avait même été déposée par Jean-Pierre Door, pour résoudre ce flou juridique, mais elle était passée à la trappe : « L’État a peut-être pensé que ça lui aurait coûté cher ! », suggère Nicolas Gombault, qui convient que la situation actuelle « n’est pas satisfaisante ».

Judiciarisation et médiatisation

Le dernier rapport du Sou médical sur la RCP des médecins rapporte que, sept généralistes qui ont été mis en cause au pénal en 2011 l’ont été principalement dans le cadre de leur activité de médecin de garde. De son côté, l’Ordre estime que des mises en cause de praticiens lors de la PDS ont eu lieu dans la moitié des départements français. Alors, la garde serait-elle plus risquée qu’avant ? Pas sûr. Car les conséquences judiciaires sont peu fréquentes. « Très peu de plaintes sont allées au delà de la conciliation », affirme le « Monsieur PDS » du CNOM, François Simon. En 2012, le nombre d’affaires impliquant des médecins en lien avec la garde est de dix en tout, « qui ne concernent pas toutes des erreurs médicales, mais également des refus de réquisition ». Si le régulateur est plus exposé aux plaintes que l’effecteur du fait des particularités de cet exercice : « un interrogatoire sans examen » et un « nombre d’appels considérables », les quelques plaintes enregistrées par le CNOM seraient néanmoins « exceptionnelles » au regard de l’activité. Quant à l’effecteur, le nombre d’actes pratiqués s’est effondré depuis la mise en place de l’activité de régulation en 2006. Le Dr Simon met en garde, cependant, contre le risque que représente le fait de court-circuiter la régulation en donnant au patient le numéro de téléphone du médecin effecteur.

Même si les cas sont relativement peu nombreux, la « judiciarisation de la PDS » est une donnée de base de ces dernières années. Un paradoxe pour Luc Duquesnel, « alors que ces dernières années, cette activité s’est énormément structurée et améliorée grâce au référentiel de la HAS ». Secrétaire général à l’UNOF, le généraliste mayennais est également coordonnateur de l’association de PDS libérale ADOPS 53. Ce « phénomène sociétal généralisé » ne serait pas, selon lui, « spécifique de la PDS » même s’il l’« impacte ». Il estime que, si dans la plupart des cas, la régulation a été bien maîtrisée, les patients ont parfois l’impression d’avoir été victimes d’une mauvaise prise en charge. Il est donc primordial que le régulateur « tienne compte du fait que la situation médicale du patient peut évoluer à tout moment et qu’il laisse la porte ouverte à un rappel. Par ailleurs, on leur conseille de s’assurer que le patient soit d’accord avec la décision prise par le médecin avant de raccrocher ».

Et si les généralistes laissaient tomber…

Des patients moins tolérants, mais aussi des médecins plus inquiets… La judiciarisation de la PDS – et, surtout, sa médiatisation – pourrait-elle accentuer l’effritement du volontariat ? « C’est une évidence », répond le Dr Duquesnel. Pour sa part, le Dr Garrigou-Grandchamp ne voit pas d’autre solution qu’une « professionnalisation de la garde par des médecins salariés », tandis que pour le Dr Simon la peur de l’erreur médicale n’a aucune raison « objective » d’être responsable du désengagement des médecins. Cependant, admet-il, la garde s’exerçant « bien au-delà du périmètre de la patientèle habituelle du médecin qui l’assure », cet exercice peut générer « l’appréhension et l’incertitude chez certains, l’angoisse ou la peur chez d’autres ».

C’est le cas du Dr Jean-Baptiste Harriague. Ce généraliste girondin n’a pas attendu de rentrer dans une mauvaise passe pour arrêter les gardes. Installé depuis deux ans à peine à Cadillac, il craint de ne pas être correctement couvert par son assureur. Toujours inscrit sur le tableau des gardes, il se fait régulièrement remplacer. « Qui me garantit qu’on ne pourra pas me reprocher un surcroît d’activité ou un manque de sommeil ? » Si les hospitaliers sont tenus de respecter le repos compensatoire, les libéraux touchent, eux, une astreinte pour leur activité de garde. Mais ces généralistes se réveillent souvent avec la gueule de bois : « Croit-on que 50 euros d’astreinte peuvent suffire pour compenser le manque à gagner d’une journée de travail ? » D’autant plus que certaines ARS, demandent aux médecins libéraux de couvrir des secteurs de plus en plus vastes. « La responsabilité de ces ARS est grande. Elles font prendre des risques sanitaires à la population, exposée aux erreurs médicales et aux médecins dont la vigilance est atténuée par la fatigue », s’enflamme le président de la FMF, Jean Paul-Hamon.

La PDS est-elle un exercice trop risqué ?