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Marilyn Baldeck (Collective des droits) : « Certains hôpitaux protègent les agresseurs en raison de leur notoriété »

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Publié le 26/04/2024
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Cofondatrice de la Collective des droits, Marilyn Baldeck pointe la responsabilité des établissements hospitaliers dans la lutte contre les violences sexuelles. Elle appelle à davantage de prévention et de formation.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Existe-t-il un schéma « type » d’agressions ou de harcèlement au sein de l’hôpital ?

MARILYN BALDECK : Je m’inscris en faux avec l’idée qu’il y a un profil d’agresseur au sens psychologique du terme. Toutefois, il est vrai qu’à l’hôpital, comme ailleurs, les agresseurs vont cibler les personnes qu’ils considèrent comme plus vulnérables qu’eux. L’hôpital est un lieu où les écarts de pouvoirs sont extrêmement importants, ce qui explique que ce soit un terrain de violences privilégié. Les victimes, quand elles s’en plaignent, vont souvent mettre en cause des supérieurs hiérarchiques ou en tout cas des soignants qui appartiennent à une autre catégorie que la leur. L’inverse est extrêmement rare. Le harcèlement sexuel peut aussi prendre une forme environnementale, ce qui est tout aussi condamnable par la loi. Dans ce cas, il se caractérise par des ambiances de travail sexualisées et misogynes. Ce n’est pas une soignante qui est ciblée mais les femmes en général ou des soignants en raison de leur orientation sexuelle. Ces situations peuvent devenir légitimement insupportables pour une partie du collectif.

LE QUOTIDIEN : La culture carabine, propre à la médecine française, favorise-t-elle ces situations ?

C’est en effet un des facteurs de risques. Pendant très longtemps, la culture carabine a été considérée comme un patrimoine à protéger. Il y a 10 ans, lorsque l’idée de retirer les fresques pornographiques dans les salles de gardes a été évoquée, il y a eu une levée de boucliers d’une grande partie du milieu médical, y compris des associations d’internes qui sont aujourd’hui très moteurs dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Aujourd’hui, je ne suis pas sûre qu’il y ait autant de personnes qui soient capables d’assumer publiquement la nécessité de défendre cette culture grivoise. Je ne sais pas si c’est le corps médical qui s’est amélioré ou si c’est juste plus difficile à assumer publiquement.

Les hôpitaux prennent-ils suffisamment au sérieux les plaintes des victimes lorsqu’elles mettent en cause des agresseurs ou des harceleurs ?

Dans de nombreux cas de figure, lorsqu’un agresseur est mis en cause, les hôpitaux mettent rarement des mesures visant à garantir aux victimes des conditions de travail exemptes de danger. Certains établissements protègent même les praticiens agresseurs en raison de leur notoriété. J’ai notamment en tête l’affaire d’un éminent chirurgien de l’AP-HM, chef de service de neurochirurgie pédiatrique de La Timone, reconnu coupable en 2022 d'agression sexuelle aggravée par abus d'autorité sur une des infirmières de son service. L’AP-HM n’a pas cessé de rappeler la nécessité de respecter la présomption d’innocence pour justifier qu’il ne soit pas tout de suite mis à pied. Mais cet argumentaire ne tient pas la route puisque la suspension d’un praticien est tout à fait compatible avec la présomption d’innocence. Le chirurgien a continué de travailler et la victime a fini par quitter l’hôpital. Aujourd’hui, ce qu’on attend des employeurs, c’est qu’ils mettent en place activement de la prévention et de la formation pour ces questions-là. Cela relève de leurs obligations.

Propos recueillis par Aude Frapin

Source : Le Quotidien du Médecin